Gilles Rolland : Élevé au grain


Propos recueillis par Anne-Catherine MendezÀ la tête de l’entreprise Café Corsica, Gilles et son frère Jean-Luc perpétuent pour la troisième génération la tradition familiale de brûleur de grains. Humilité, créativité et minutie : voilà les qualités nécessaires paraît-il pour réaliser un bon café et la maison Rolland a démontré par la longévité de la brûlerie qu’elle n’en manquait pas.

Propos recueillis par Anne-Catherine Mendez

Dès qu’on pénètre dans son bureau, on sent déjà la bonne odeur. Même si les machines ne tournent pas à ce moment, il y a des effluves qu’on devine. Moins fortes certes, mais présentes encore dans les murs. Cette bonne odeur de café, fraîchement torréfié. Dans cet espace discret, niché dans la zone industrielle de Baléone près d’Ajaccio, Gilles Rolland nous accueille avec l’assurance d’un vieil expert de la cerise arabica, et la fierté d’avoir pu poursuivre l’aventure, débutée dans les années 30 par son grand-père.

Adolescent, saviez-vous que vous travailleriez un jour dans l’entreprise familiale ?

À vrai dire, non, je suis un pur produit ajaccien, école primaire à Saint-Jean, lycée Laetitia, puis direction Nice, où en parfait étudiant corse à cette époque, je débute par deux premières années de droit. Ensuite, vu les piètres résultats en la matière, je recherche sans vraiment trop y croire une école de commerce qui pourrait m’accepter. C’est à ce moment-là que mon père n’y croyant plus du tout me donne l’ordre de rentrer avec pour seul objectif : travailler dans l’entreprise de torréfaction dont lui-même a repris la direction.

Je me retrouve donc comme ouvrier de base au service emballage, rue Comte Bacciochi, siège de l’entreprise à l’époque.

La brûlerie a été créée en 1934 par mon grand-père qui tient une épicerie, rue Stéphanopoli, La Corsoise. Il vend à l’époque beaucoup de café en grain et en vrac. Il a donc l’idée de concevoir une petite brûlerie et de proposer à la vente du café en sachet. Le café Corsica voit le jour dans cette petite échoppe de quartier.

Comment arrive-t-on à poursuivre l’aventure ?

Quand j’ai intégré l’entreprise, j’ai fait tous les métiers et gravis tous les échelons, j’ai été livreur, torréfacteur, emballeur, mélangeur, gestionnaire des achats… Mon frère après ses études a décidé de nous rejoindre en remplacement de mon oncle parti à la retraite, et nous avons travaillé pendant quelques années tous les deux, aux côtés de notre père.

Quand ce dernier décide de partir à la retraite, le marché est très tendu. Nous avons donc trouvé un accord de partenariat avec le groupe Segafredo, qui nous a permis de pouvoir poursuivre notre activité dans de bonnes conditions et de bénéficier de toute leur expérience et de leur savoir-faire.

Après avoir poursuivi ma formation en comptabilité, ainsi qu’à l’Institut français du café et du cacao, je suis responsable aujourd’hui de la partie commerciale et mon frère, de la partie administrative. L’entreprise compte 11 salariés, notre marché est partagé entre la grande et moyenne distribution et celui des cafés, hôtellerie et restauration. Pour ce dernier, nous fournissons en plus du café, tout le matériel associé, machines, touillettes, sucre, thé, chocolat, jus d’orange et même des confitures !

Quels sont vos projets d’avenir ?

L’avenir pour nous est de pouvoir développer d’autres marchés sur le continent et à l’étranger. Le Café Corsica est une marque qui possède une très forte identité, mais comme toute marque, nous devons trouver des niches de développement. Le café bio en est une, un réseau de 400 boulangeries bio vient d’ailleurs de s’adresser à nous pour fournir en café en grain, toutes les boutiques dans lesquelles sont installées des machines.

Comment se porte le marché du café ?

Nous souffrons comme les autres structures en Corse du même climat général. Nous sommes confrontés en hiver à un marché restreint, et à une saison de plus en plus courte. Paradoxalement, nous devons avoir une capacité de production qui passe du simple au triple entre février et juillet. Nous sommes donc capables de pouvoir répondre à des marchés extérieurs, et le groupe Segafredo nous permet de pouvoir utiliser la puissance de leur force commerciale.

Quel est votre regard sur l’entreprenariat en Corse ?

J’observe avec bienveillance un certain dynamisme et un professionnalisme au sein de la nouvelle génération d’entrepreneurs. Nous sommes passés dans une nouvelle ère dans laquelle au-delà de la simple transmission, se développe une plus grande créativité en particulier dans l’agroalimentaire, dans le textile, l’artisanat d’art.

Et sur la jeunesse ?

Je ne veux pas jouer à l’ancien combattant mais je préfère la mienne à la leur. Le monde virtuel, dans lequel ils évoluent, n’est pas celui des valeurs que je défends. Ils sont ensemble mais seuls.

Quels sont vos regrets ?

J’ai le regret de ne pas voyager assez mais professionnellement je suis un privilégié, j’ai choisi la facilité mais sans regret. D’ailleurs, j’ai toujours cette petite phrase qui trotte dans la tête dans les moments un peu plus stressants : « c’est pas grave, ça va s’arranger ».

Et votre fierté ?

Je suis fier d’appartenir à la troisième génération de cette entreprise, mes enfants ne vont sans doute pas prendre la suite mais il y a mes neveux qui sont encore jeunes et qui sait peut-être que les miens changeront d’avis.

Quand j’ai commencé dans la brûlerie, j’étais le plus jeune, les anciens m’ont vu grandir, aujourd’hui mon frère et moi sommes les plus âgés, quand j’y pense, je souris et je suis fier du chemin parcouru.

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