La rock’n’corse attitude

L’esprit rock c’est tout de suite ce qui émane de Pierre Gambini, auteur, compositeur, interprète et multi-instrumentiste. Mais derrière l’image de cet artiste émouvant, romantique et résolument pop-rock-électro, se cache une autre facette de sa personnalité, celle d’un chef d’entreprise ancré dans la réalité économique de l’île. Il est aujourd’hui conseil du moteur de recherche alternatif Qwant Music et développe Polytopes, une application mobile permettant de générer à l’envie des lieux musicalisés.

Par Anne-Catherine Mendez

 

Rendez-vous pris au sein des bureaux de Qwant Music, une bande de jeunes garçons et filles qui pourraient être largement mes enfants lèvent à peine les yeux, tant ils sont concentrés chacun sur leur écran. Pierre boit un café, il les domine tous d’une tête, et fait figure de patriarche dans ce monde de la jeune startup en développement. Mais dès qu’il se pose en face de moi, prêt au jeu de l’interview, ses yeux s’éclairent, son visage s’anime, et lui aussi revêt son habit de lumière pour me faire partager cet univers très particulier des entreprises du numérique.

Comment avez-vous débuté l’aventure de votre vie de musicien ?

Dès les années 90, je crée Isula, une formation qui souhaitait afficher une volonté manifeste de proposer une scène alternative au répertoire traditionnel insulaire. En 2000, je fonde Cantelli, véritable groupe de rock corse avec lequel très vite en dehors de mon rôle d’auteur-compositeur, je deviens administrateur d’une structure de production, j’ai les mains dans le cambouis ! À mon activité de musicien, j’adosse dès lors celle de jeune entrepreneur, moins sexy et moins « glam » mais qui vient palier aux carences du milieu artistique insulaire de l’époque. Ce binôme artiste indépendant-entrepreneur sera mon leitmotiv pendant toutes ces années. Je me bats à la fois contre l’immobilisme, j’essaie de faire tomber les barrières mentales avec pour seul objectif le développement de la création musicale corse. Avec Albe Sistematiche en 2011, j’enregistre mon premier disque en solo, un chemin complexe, une période difficile. Sans écosystème favorable, il est laborieux de pouvoir percer, la Corse reste un marché restreint, peu de concerts, pour ma part en plus de ces contraintes, mon public est un public averti, un peu élitiste. Dix mois après, l’album n’est toujours pas sorti. Je pars donc avec ma maquette sous le bras pour la déposer dans les studios de RCFM. Nicole Collet et Pierre Leccia entendent l’album, coup de cœur, ils font appel à moi pour la bande originale de Mafiosa – saison 4 et 5. Cette expérience m’a conforté dans ma démarche créatrice, j’ai enchaîné ensuite d’autres docs pour Arte, un autre albumLa création de Polytopes et mon implication dans Qwant Music sont aujourd’hui mes derniers faits d’arme.

Quelle est donc cette nouvelle application que vous sous-titrez « la bande originale du réel » ?

Rapidement j’ai eu l’impression de vivre dans un monde de plus en plus uniforme, j’ai eu l’impression de m’appauvrir culturellement. Face à ce constat, l’idée de Polytopes est née dans ma tête en 2013. En 2015, l’incubateur INIZIA m’a permis de développer cette application et très vite, un partenariat s’est instauré avec Qwant Music qui m’a proposé d’héberger ma startup.

L’idée maîtresse de ce projet est de lier la musique et le patrimoine. Le concept est de poser une musique originale sur un lieu, site naturel, rue, musée… et de permettre à tout utilisateur de pouvoir l’écouter dès qu’il télécharge l’application sur son mobile. J’ai eu envie de créer un assistant culturel, touristique personnel, qui en dehors de la musique que vous pouvez entendre en étant sur le lieu, ou même à distance, vous donne également à travers des photos, des vidéos, des textes, des informations sur le site lui-même mais également sur le compositeur qui a créé cette ambiance originale.

Aujourd’hui, nous faisons appel à une plate-forme de crowfounding spécialisée dans les domaines artistiques et culturels, Ulule, afin de pouvoir mettre en œuvre notre plan de communication national et international, qui est pour moi, la seule clef de développement d’une startup dans le domaine du numérique et en Corse en particulier.

Actuellement, trois partenaires musiciens me suivent dans l’aventure, Nano, Tommy Larson et A filetta, et j’espère également pouvoir signer quelques contrats avec des acheteurs publics ou privés (ville, musée, région), qui souhaitent musicaliser des sites emblématiques.

Cet outil peut redonner du sens au territoire.

Vous êtes également salarié de Qwant Music, est-ce que votre statut d’entrepreneur ne va pas vous manquer ?

En effet c’est un peu compliqué pour moi, le cadre ne me dérange pas mais le fait d’être nombreux au sein d’une équipe, prolonge les délais d’action. J’ai la fonction de conseiller, donc je reste indépendant et forcément je garde mon esprit d’entrepreneur, d’ailleurs mes idées, mes rapports sont présentés de façon très formelle comme si j’étais un consultant externe…

Il y a longtemps j’ai refusé d’être professeur de chimie, j’avais l’impression d’être contre-productif. Aujourd’hui au côté de cette fameuse génération Z, j’ai l’impression de me sentir libre, même si je n’ai pas leur âge, j’ai l’impression de faire partie de la même (r)évolution, j’en fais partie par la pensée.

 

Que pensez-vous de l’environnement économique insulaire ?

J’ai toujours privilégié le risque de l’entreprise, la richesse que j’ai pu en retirer, est avant tout l’expérience acquise. Si l’on veut se libérer d’un écosystème pauvre, il faut entreprendre mais notre environnement en Corse est précaire. Les fonds publics et privés ne sont pas adaptés, ils soutiennent essentiellement les entreprises qui ont déjà les moyens de se développer. On a besoin de partenaires financiers mais on a besoin également d’un réseau capable de nous ouvrir des portes. Nous avons sur notre territoire, un potentiel d’investisseurs privés mais qui ne connaissent même pas les domaines dans lesquels ils pourraient investir. Est-ce que Messieurs Padrona, Rocca ou Cappia pensent à investir dans le numérique ?

Notre fonds de commerce est avant tout notre environnement, plus on le préservera, plus des gens avertis viendront nous voir. Le « AO » nustrale n’a plus lieu d’être, je ne veux pas que mon île devienne un musée à ciel ouvert où l’on viendra visiter les idiots que nous sommes devenus.

À ce jour, qu’est-ce qui vous fait avancer ?

La tolérance, la bienveillance, l’accès à la différence de l’autre. C’est un enrichissement personnel inestimable, c’est l’ouverture vers le partenariat, les opportunités. Aujourd’hui, nous sommes dans un monde d’acculturation, de précarité intellectuelle en particulier en Corse. On ne peut pas se contenter de ça, il faut créer un contre-pouvoir social, culturel. Il faut trouver d’autres canaux de diffusion, le numérique permet cela, avec des idées, de la matière grise, on peut renverser les choses du jour au lendemain.

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