Jean-Marie Colombani – D’un Monde à l’autre

Il a longtemps été la figure emblématique du journal Le Monde où il a passé près de trente ans. Aujourd’hui, si le journaliste s’est éloigné de l’univers de la presse papier, c’est à travers le développement du « pure player » Slate.fr qu’il continue de vivre sa passion pour l’information.

par Karine Casalta

C’est à Nouméa, que Jean-Marie Colombani débute sa carrière, après des études de droit et un diplôme de
« Sciences Po ». Il fait ses classes à la télévision locale où il a la chance de pouvoir se frotter à différents exercices journalistiques, du reportage au documentaire ou encore de la radio, tout en se confrontant à la réalité d’un environnement insulaire qui lui est familier.

Profondément insulaire
Né à Dakar en 1948, le journaliste d’origine corse, conserve en effet de fortes attaches avec cette île où il a vécu plusieurs années de son enfance. « Un lien charnel » qui lui vaut sans doute aussi sa sensibilité régionaliste. De cette enfance entre une mère institutrice, issue d’une famille de notables de Sainte-Marie-Figaniella et un père de milieu très modeste, natif de Poggio-di-Nazza, devenu, par la seule force de l’instruction, administrateur des colonies, il tient aussi une grande tolérance d’esprit et une ouverture sur le monde, aux antipodes du repli identitaire. À l’image de la famille que lui-même, père de cinq enfants, dont deux ont été adoptés, a su construire. Et déjà durant ce premier poste en Nouvelle-Calédonie, il n’a qu’un objectif, celui de devenir journaliste au Monde, emblème de la presse écrite, dont le goût l’a conduit au journalisme. Depuis la Nouvelle-Calédonie, il obtient de devenir leur correspondant avant de réussir, en rentrant à Paris, à en intégrer la rédaction en 1977.
Immédiatement, happé par le service politique, plusieurs rencontres vont alors le marquer et façonner son regard. Celle avec François Mitterrand, notamment, qu’il suivra en Chine durant la campagne des présidentielles de 81, et duquel dit-il volontiers, il prendra « ses premières leçons de politique ».

Journaliste et chef d’entreprise
Peu à peu, il franchit les échelons au sein du quotidien jusqu’à en être élu directeur en 1994, pour relancer le journal alors en grandes difficultés. À 45 ans il succède ainsi aux prestigieux Hubert Beuve-Méry, Jacques Fauvet, ou encore André Fontaine. Mais ce poste lui impose aussi d’adopter une logique et une stratégie de chef d’entreprise qu’il décide ainsi de conduire à l’inverse de la logique de réduction. « Le journalisme de qualité coûte cher – l’économie des entreprises de presse est difficile à trouver, la seule solution est de se diversifier. » Après avoir dépoussiéré la formule du quotidien, il lancera ainsi le journal sur Internet, avant de l’engager dans la construction d’un véritable groupe de presse.
Il ne mesure alors pas totalement à ce moment-là combien le média est un enjeu de pouvoir. Il s’en apercevra plus tard à ses dépens, lors de violentes offensives contre le quotidien, en particulier avec le livre « La face cachée du Monde » signé de Pierre Péan et Philippe Cohen. «Des attaques liées au fait que nous étions devenus trop influents aux yeux de certains. C’est là que l’on mesure le poids que l’on pèse ! »
En parallèle de ce parcours, il signe une quinzaine d’ouvrages autour de la vie politique française. On le retrouve aussi à l’occasion de grands rendez-vous médiatiques à la télévision avec «L’heure de vérité» sur France 2 ou « 7 sur 7» sur TF1 qu’il anime avec Anne Sinclair ou pour la radio avec une chronique politique sur France Inter ou « La rumeur du monde » sur France Culture. Mais en 2007, après treize ans passés à la tête du Monde qu’il a profondément remodelé, il sera finalement désavoué par les journalistes devant lesquels il se présente pour un troisième mandat.

Nouveau média
Co-fondateur de Slate.fr en 2009, son aventure journalistique se poursuit depuis sur le web avec l’ambition affichée de défendre sur Internet un journalisme de qualité. « La principale concurrence des journalistes aujourd’hui est leur propre audience. Le public via les réseaux sociaux passe outre les journalistes. L’information circule très vite, les fausses informations aussi ! Il y a aussi un problème avec le mode de fonctionnement des médias, qui dans un réflexe pavlovien et uniforme répètent en boucle la même chose sur le même événement. Cela crée un bruit collectif anxiogène qui tient le public à distance ; il ne peut y avoir d’autre recours pour les journalistes que de justifier à chaque pas leur légitimité en rapportant des faits vérifiés et en les respectant – cela devient une vraie bataille ! » Et de fait, avec près de 350 000 visiteurs chaque jour, le support connaît aujourd’hui une magnifique réussite éditoriale même si son point d’équilibre économique n’est pas encore atteint. Un prochain objectif que se fixe le journaliste avant de définitivement tourner la page.

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