Philippe Parola – Le devoir de soigner

Portrait

Par Karine Casalta

Chef du service des maladies infectieuses aiguës à l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée infection, dirigé par le professeur Didier Raoult à Marseille, le professeur Philippe Parola a œuvré durant la dernière crise sanitaire du Covid-19 à la prise en charge et au traitement des patients hospitalisés au sein de l’IHU. Mobilisé pour soigner, loin du débat qui a cristallisé durant cette période un lot de polémiques, il n’a pas manqué d’être attentif à la situation sanitaire en Corse où il a ses attaches familiales.

Issu d’une famille corse de la diaspora originaire du Valincu, Philippe Parola est affectivement très attaché à la Corse où, dès que son emploi du temps lui en laisse le temps, il se rend volontiers pour voir sa famille et ses parents installés depuis leur retraite à Propriano. Né à Marseille, il a baigné toute son enfance dans l’univers de la médecine de famille, entre un père généraliste proche de ses patients, et une mère infirmière de formation. Un univers qui va naturellement influencer sa conception de la médecine, et l’orienter vers des études de médecine. Son souhait d’avoir une spécialité au panorama assez large, renforcé par une attirance pour le monde tropical et méditerranéen, va dès lors le conduire à se spécialiser dans les maladies infectieuses et tropicales qui lui offrent de pouvoir toucher à d’autres spécialités transversales, mais aussi d’aborder des aspects plus sociaux et humains, dans le cadre de missions ou de séjours prolongés qu’il a pu avoir à effectuer dans certaines zones du monde.

Médecin, chercheur et enseignant

Située au sein de l’IHU, qui héberge les services de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille (APHM) dans sa spécialité, son activité de soin est adossée au laboratoire de bactériologie, virologie et parasitologie du professeur Didier Raoult, sans doute le meilleur du monde. « J’ai la chance d’évoluer dans ce centre d’excellence où est également située l’unité de recherche que je dirige au sein de l’IHU qui réunit 8 équipes réparties en France, en Algérie et au Sénégal et l’une militaire. J’ai la chance de pouvoir allier dans ce bâtiment ultra-moderne mes activités de soin, de recherche et d’enseignement. » Il intervient ainsi tout aussi bien sur des patients communautaires, immunodéprimés, sur des voyageurs, des épidémies, des maladies d’écosystème qui varient selon où l’on est, selon les saisons, et touchent aussi bien à la santé humaine, la santé animale, et l’environnement. Un champ d’exploration très large qui le passionne.

En première ligne durant la crise sanitaire engendrée par le coronavirus, les 75 lits d’hospitalisation de son unité de soin étaient évidemment dédiés à la gestion des malades infectés par le Covid-19. « Deux mois intenses vécus avec toutes les équipes sans un jour de repos. » Et bien que confronté à des épidémies de toute nature tout au long de sa carrière, cette expérience a été singulière.

Les épidémies, la base de son métier

« La notion d’épidémie, et notamment d’épidémies saisonnières que nous avons en France chaque année avec des formes plus ou moins sévères, est la base de mon métier. Les affections respiratoires et leurs conséquences représentent la moitié des patients hospitalisés dans mon service. L’originalité de l’épidémie que nous avons vécue cette année se situe plutôt, dans la dimension de la crise sanitaire et politique qu’a vécu le pays, et dans ce qu’elle en a révélé. C’est là quelque chose d’unique que nous n’avions en effet encore jamais vécu. Et autant gérer les épidémies, j’en ai une grande expérience, autant gérer une épidémie sur fond de crise sanitaire et politique, ça c’était inédit ! Je me garderai de juger car je n’ai pas tous les éléments de la gestion d’une crise comme celle-ci. Il y a des paramètres d’ordre économique ou politique que je n’ai pas, d’autant plus dans un contexte d’opinions médicales divergentes. Mais des questions commencent à être soulevées auxquelles il faudra répondre, notamment pourquoi n’a-t-on pas généralisé les tests au niveau national ? Était-ce par manque de moyens ? Manque de machines ? Manque de déploiement ? De réactifs ? Ou bien était-ce un choix stratégique et politique de ne pas le faire ? Je n’ai pour l’instant pas entendu de réponses à ces questions. Mais il faudra l’expliquer. »

Tester, isoler et soigner

« À l’IHU, nous sommes des spécialistes de la contagion : comprendre une maladie au plus vite et prendre les décisions que nous jugeons les plus adaptées pour soigner, c’est notre métier de médecin renforcé par notre expérience de chercheur pour comprendre les choses et en tirer au plus vite les conclusions pour soigner et conseiller les autorités compétentes. Ainsi, il nous est apparu indispensable de mettre en place un dépistage massif pour diagnostiquer – comme cela est fait dans toutes les maladies infectieuses quand on a des tests –, isoler les malades et les traiter à un stade précoce. Cela a demandé des efforts importants mais c’est ce que nous avons fait avec le soutien de l’APHM. Nous nous sommes mis en ordre de bataille, nous avons réorganisé nos plateaux techniques pour, à l’encontre de la doctrine nationale, tester en masse pour prendre en charge les malades. De fait, nous avons fait plus de 120 000 tests et nous avons soigné plus de 4 000 patients positifs – ceux présentant des formes sévères ont été hospitalisés, les autres ont été soignés à distance mais tous ont été suivis. Ce qui nous a permis d’avoir une vision globale de la maladie, des formes les plus légères aux formes les plus graves. Nous nous sommes ainsi aperçus qu’il pouvait y avoir une discordance chez des patients qui avaient l’air bien mais qui présentaient néanmoins des lésions importantes décelées au scanner, et manquaient d’oxygène. Avec un état qui peut alors se dégrader très vite. Ce que l’on appelle l’hypoxie heureuse, que les Chinois et les Américains ont également pu constater. C’est pourquoi il faudra ainsi s’interroger sur le message adopté par le pays de dire aux gens de rester chez eux et d’appeler le Samu en cas de difficultés respiratoires. On entre alors dans une phase tardive et grave de la maladie ! Ce qui explique les réanimations saturées à certains endroits. Et évidemment, il est à déplorer qu’on ait exclu ceux qui sont en première ligne, à savoir les médecins de ville ! Se greffe à cela la question des traitements et des essais cliniques. »

Le discours de la méthode

Fort de son équilibre familial et de la sérénité de ses équipes, en dépit des polémiques soulevées autour du protocole mis en place à l’IHU, il a fait ce qui lui semblait nécessaire. « Ces attaques étaient conceptuelles sur la méthode. On nous a dit vous auriez dû faire un essai clinique au lieu de traiter les gens. Mais on n’était plus à l’heure des essais cliniques. Il en allait de mon devoir de soigner ! C’est ce que j’ai fait du mieux que j’ai pu, en mon âme et conscience, c’est pourquoi dès le diagnostic posé, nous avons proposé un traitement par association d’hydroxychloroquine et azithromycine, en prenant bien sûr toutes les précautions d’usage. Nous avions en effet suffisamment d’arguments pour l’utilisation de ces deux médicaments peu chers et connus depuis plus de 40 ans. Un traitement qui permet aussi de limiter le portage du virus et la “tempête immunologique” pouvant survenir chez les patients. Nous nous sommes basés sur les retours d’experts chinois, mais aussi sur le constat que cela détruisait le virus in vitro et les résultats positifs obtenus sur les premiers patients inclus dans un essai thérapeutique autorisé. Ainsi sur plus de 4 000 patients diagnostiqués, traités et soignés, nous avons eu une mortalité très basse, de l’ordre de 0,5%.Et alors même que nous sommes leaders dans les maladies infectieuses, ce protocole n’a pas été intégré à l’essai discovery qui n’associait pas ces deux médicaments. » Il souligne que cette polémique sur le traitement a surtout masqué la question de l’accès aux soins pour les personnes fragiles et isolées, qui peuvent très vite manquer d’oxygène ou faire des embolies pulmonaires. « J’ai des parents âgés qui vivent en Corse, alors cette problématique des personnes âgées isolées me touche de près. J’ai été très tôt en contact avec les médecins, les représentants politiques de l’île, qu’ils relèvent des institutions nationales ou des autorités insulaires, et qui se sont comme moi préoccupés de cette question. Heureusement, il y a le bon sens du docteur et des autorités, qui à l’échelle locale ou régionale ont agi. En Corse mais ailleurs aussi sur tout le territoire. Beaucoup à travers le pays nous ont écrit pour demander ce que nous faisions. Nous n’avons pas fait de recommandations mais nous avons partagé notre expérience. Nous savons que beaucoup s’en sont servi pour prendre en charge leurs patients du mieux qu’ils l’ont pu. » Et de s’interroger : « Aurait-on eu la même catastrophe sanitaire si les médecins de famille avaient pu soigner ? »

Pour l’heure, Philippe Parola est heureux d’avoir fait son métier de médecin en accord avec l’idée qu’il s’en est toujours fait, et d’avoir fait le maximum pour ses patients. Fier aussi de ses équipes. Pour le reste, dit-il, l’Histoire fera le tri !

« Nous verrons avec le recul, le bilan sanitaire, économique et politique qu’il faut tirer de cette épidémie dans le pays. »

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