L’Ora di a Rientrata

Cela fait maintenant un peu plus d’un an que Julie Benetti a pris ses fonctions à la tête de l’académie de Corse. Une année consacrée aux échanges et aux rencontres avec l’ensemble des acteurs de l’éducation, sur le terrain, la rectrice y tient particulièrement, pour enrichir le projet académique. Un projet qui doit intégrer aux côtés des spécificités régionales les enjeux du train de réformes de cette rentrée 2019/2020. Langue corse, école inclusive et baccalauréat nouvelle version sont au programme.

Par Caroline Ettori

Quels seront les grands chantiers de la rentrée ?

Ils sont nombreux et l’un des chantiers prioritaires porte sur l’école inclusive. L’académie de Corse est engagée depuis plusieurs années dans l’accueil des élèves en situation de handicap. Néanmoins de nombreuses attentes subsistent, c’est pourquoi nous mettons en place un service public de l’école inclusive dans chaque département avec une cellule d’accueil et d’écoute de manière à pouvoir mieux accompagner les élèves et leurs parents. Cette initiative répond à la feuille de route ministérielle ainsi qu’à l’objectif de mutualisation des moyens dans le cadre des PIAL, les pôles inclusifs d’accompagnement localisés, qui prévoient entre autres un meilleur accompagnement des professeurs en termes de formation et une meilleure intégration des AESH qui accompagnent les élèves en situation de handicap.

L’académie de Corse est-elle bonne élève en la matière ?

L’académie de Corse se classe deuxième académie de France pour la prise en charge des élèves en situation de handicap. Cela signifie que nous répondons à la quasi-totalité des besoins tels qu’ils nous sont notifiés par la MDPH. Soit 97% des demandes. L’école inclusive en Corse concerne 719 élèves dans le premier degré et 520 élèves dans le second degré ; près de 500 élèves sont accompagnés par un AESH, ce qui représente l’équivalent de 173 emplois à temps plein mobilisés sur l’ensemble du territoire. Par ailleurs, nous disposons de 47 Ulis, des unités qui permettent l’inclusion des élèves en situation de handicap dans un environnement scolaire ordinaire, de classes de SEGPA et d’un Erea à Ajaccio. Nous avons déjà conduit un très grand travail dans l’académie que nous allons poursuivre et amplifier à la faveur de cette réforme voulue par le ministère.

L’autre grand défi de cette rentrée sera la mise en œuvre de la réforme du baccalauréat…

Oui, les séries telles que nous les connaissions, L, S ou ES sont supprimées. Les élèves accueillis en classe de première générale à la rentrée vont suivre un tronc d’enseignements commun pour la moitié du temps global, l’autre moitié sera consacrée à trois spécialités qu’ils ont librement choisies parmi celles proposées par leur établissement. L’autre nouveauté, c’est l’introduction d’une part de contrôle continu à hauteur de 40% de la note finale du baccalauréat. Des épreuves communes de contrôle continu qui seront organisées dès l’année de première puis en terminale.

Nous souhaitons aussi revaloriser la voie professionnelle et développer en parallèle l’apprentissage avec cette idée à laquelle je tiens beaucoup : il n’y a pas une seule voie de la réussite, la voie professionnelle est aussi celle de l’excellence pourvu que les élèves soient bien orientés et que ce ne soit pas un choix par défaut.

L’académie de Corse a-t-elle pour autant les moyens de ses ambitions ? Sera-t-elle en mesure de proposer toutes les options et spécialités prévues par la réforme du bac général ?

Il y a onze spécialités : sept « classiques »*, quatre dites rares**. Nous avons veillé, dans un souci d’équité territoriale, à ce que les « petits » établissements, les établissements du rural puissent tirer parti de la réforme du baccalauréat général autant que les établissements de centre-ville. Les sept spécialités classiques sont proposées dans tous les établissements de l’île et les onze spécialités tant en Haute-Corse qu’en Corse-du-Sud. Par ailleurs, nous avons encouragé les établissements, quelles que soient leur taille ou leur localisation, à ouvrir des spécialités rares lorsque bien sûr, ils disposent du personnel et des équipements nécessaires à leur enseignement. Ces choix, ce positionnement participent à l’attractivité de l’établissement, à la valorisation de son image et de son identité. Je crois beaucoup en un lycée des arts, un lycée des humanités ou des sciences pour notre académie. Une carte des spécialités a été établie en lien avec les chefs d’établissement pour la prochaine rentrée. Néanmoins cette carte n’est pas figée et a vocation à évoluer chaque année en fonction des demandes des établissements.

Continuons cette « revue de chantier » avec un point sur le dédoublement des classes de CP et de CE1 : le dispositif va-t-il s’étendre à d’autres niveaux, d’autres zones d’éducation ?

En effet, le dispositif concerne toutes les classes de CP et CE1 en réseau d’éducation prioritaire et d’éducation prioritaire renforcée. En Corse, toutes les classes ont été dédoublées sans exception. Et sans problème particulier. Le soutien des maires a été très précieux. En outre, le président de la République a pris l’engagement qu’à l’horizon de la rentrée 2022 et cette fois hors éducation prioritaire, toutes les classes de grande section de maternelle ainsi que les CP et CE1 n’excèdent pas 24 élèves. C’est un projet très ambitieux sur lequel nous sommes déjà mobilisés.

La scolarisation obligatoire dès l’âge de trois ans est une autre nouveauté de cette rentrée. En pratique, elle est déjà effective…

Même si cette scolarisation est quasi généralisée, en Corse, le taux d’élèves scolarisés entre 3 et 6 ans est un peu plus faible que la moyenne nationale. Cette année, les oisillons partiront un peu plus tôt du nid ! Cela implique qu’un plus grand nombre d’élèves seront accueillis à l’école maternelle. Et là aussi, nous avons trouvé l’appui des maires concernés.

La rentrée est souvent un moment de tensions entre l’administration et les personnels de l’Éducation nationale, les élus locaux ou encore les parents. Une des principales crispations est la fermeture de classes notamment dans le rural…

Conformément à un autre engagement pris par le président de la République, aucune école ne peut plus fermer sans l’accord du maire. En Corse, non seulement aucune école est menacée mais de surcroît, on rouvre une école dans le rural, à Valle-d’Alesani, avec un effectif qui devrait être de l’ordre de 8 à 9 élèves. C’est une victoire symbolique formidable. La fermeture d’une école est toujours un malheur, aussi le fait de pouvoir rouvrir une école après plusieurs années, c’est exceptionnel même à l’échelle nationale. Cela participe de notre volonté de soutenir le rural. Pour dire les choses très simplement, dans l’allocation des moyens, la prise en compte des spécificités, liées au statut d’île-montagne et de l’éducation prioritaire, a dominé très largement.

Est-ce suffisant pour réduire la fracture territoriale ?

Il y a deux fractures : la fracture sociale et la fracture territoriale qui représentent un enjeu considérable en Corse. C’est pour cela que nous avons le souci d’un traitement en équité des établissements de centre-ville et du rural. À titre d’exemple, nous avons revu la carte des infirmiers scolaires. Les professionnels de santé seront présents au moins deux jours par semaine dans tous les collèges, quel que soit l’effectif des élèves. Cette présence renforcée est essentielle en matière de prévention et de détection des troubles de l’apprentissage, spécialement dans le rural où il peut manquer de services médico-sociaux de proximité. D’une certaine façon, il faut sans doute pratiquer une sorte de discrimination positive pour rétablir une égalité réelle.

Le numérique tient une grande part dans cette stratégie visant à garantir la justice sociale et territoriale…

Le plan numérique représente un enjeu tout particulier. Nous travaillons de concert avec la Collectivité de Corse, et l’académie de Corse est la seule de France où se poursuit le déploiement du « Plan tablette » pour les collèges. Nous sommes très engagés pour prévenir la fracture numérique.

L’enseignement de la langue corse a-t-il, enfin, trouvé sa place dans le projet académique ?

Oui, assurément. Plus de la moitié des écoles maternelles de l’académie sont aujourd’hui bilingues. Nous proposons également un enseignement de langue et culture corses suivi par la quasi-totalité des élèves depuis l’entrée à la maternelle jusqu’à la fin de la 6e. Par ailleurs, 40% de nos élèves du premier degré sont en filière bilingue, ce qui représente 10 000 enfants. Dans le second degré, la quasi-totalité des collèges proposent une filière bilingue et nous avons veillé à assurer le continuum de l’enseignement de la langue corse au lycée à travers notamment, mais pas seulement, la mise en place de la spécialité « langue, littérature et culture régionales ». Spécialité à coefficient 16 et qui comptera donc pour 16% de la note finale du baccalauréat. Son enseignement prévoit 4 heures en Première et 6 heures en Terminale avec l’objectif au sortir du lycée d’avoir formé des élèves parfaitement bilingues. Au-delà de la seule compétence corsophone, l’enjeu de cet enseignement est aussi d’ouvrir nos élèves aux autres langues et littératures romanes et aux cultures méditerranéennes.

Une spécialité régionale qui n’était pas prévue dans la réforme et finalement repêchée…

L’arrêté ministériel publié en juillet 2018 établissant la liste des spécialités ne mentionnait pas les langues régionales. J’ai donc porté cette demande auprès du ministre au nom de l’académie de Corse. L’assemblée de Corse, elle-même, avait adopté une motion à l’unanimité de ses membres demandant la création de cette spécialité. Et nous l’avons obtenue. Du coup, toutes les langues régionales en profitent ! Il faut maintenant construire cette spécialité au long cours et l’objectif ici n’est pas quantitatif mais bien qualitatif. Un tel enseignement peut être utile aux élèves qui veulent acquérir une haute compétence en langue corse et se destinent par exemple aux carrières dans les médias et la communication, aux métiers du patrimoine ou de la culture, ou qui souhaitent se diriger vers des facultés de lettres ou de langues ou envisagent encore de se présenter aux concours du professorat. Cette année encore, nous avons ouvert 30 postes de professeurs des écoles au concours externe bilingue et les besoins de professeurs corsophones existent aussi dans le second degré dans les disciplines dites non linguistiques (SVT, histoire-géographie…). Nous espérons aussi avec cette spécialité former les futurs enseignants bilingues de l’académie.

Plus largement, comment est abordée la question de l’identité à l’école en Corse ?

Toute culture porte en elle une part d’universel. Il est important qu’on puisse diffuser cette culture en la rattachant aux valeurs et aux grands principes de l’école républicaine : principes de liberté, d’égalité et de fraternité. Il est essentiel que la culture participe à la fois du socle de connaissances des enfants et qu’au-delà elle soit une ouverture au monde. Ce que je peux regretter c’est qu’il y a sans doute dans l’île une trop faible culture de la mobilité, avec des élèves qui ont des appréhensions, partagées sans doute par leurs parents, à quitter leur région d’origine. Ce qui n’est pas sans incidence sur la poursuite de leurs études et le choix qui peut être fait d’une formation de proximité aux dépens d’un cursus qui réponde vraiment à leurs attentes et à leurs ambitions.

(…)

La suite de cet entretien est à retrouver dans le mensuel Paroles de Corse du mois de septembre en vente chez votre marchand de journaux

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