Lettre ouverte au think tank Convergence en réponse à la tribune « Pour un territoire sans terreur »

Antonia LUCIANI

Géographe urbanisme

Secrétaire générale Fondation Coppieters

                                                                                             Bastia, le 27 janvier 2020

Cher Monsieur Milanini, chers auteurs de la tribune « pour un territoire sans terreur », chers membres du think tank Convergence,

La terreur ce n’est pas de savoir que quelques bombes ont refait surface pour viser les villas Ferracci; la terreur qui règne est plus profonde, plus pernicieuse, plus vicieuse. Elle a commencé, si on ne parle que de l’histoire contemporaine, par la ruine de l’économie et l’émigration massive des forces vives, l’installation des rapatriés en plaine orientale, elle a continué avec l’affaire de l’Argentella et des boues rouges, elle s’est affirmée avec l’avènement d’un modèle de développement prédateur des ressources, des territoires et des hommes et elle s’est installée avec le triptyque infernal consommation / construction/ importation.

Quoi de plus prévisible, dans ce contexte de paupérisation et de délitement social que la tentation à la captation facile des niches de richesses, et la montée en puissance d’une voyoucratie locale surfant tantôt sur la cause nationaliste, tantôt sur l’intérêt privé pour justifier ses actes ?

Et voilà la Corse corsetée. On parle de maffia sans pouvoir en employer le nom. On parle de résidences secondaires sans pouvoir en limiter le nombre. On parle d’agriculture sans réussir à protéger les espaces agricoles. On parle de littoral sans en protéger la valeur. On parle d’économie productive sans augmenter la part productive du PIB insulaire.

Par contre, on note la prépondérance insistante du modèle résidentiel, toujours plus de tourisme mal maitrisé, toujours plus de consumérisme, et toujours plus de pauvres…

Ce qui est terrifiant dans le cas des villas Ferracci, c’est qu’il appuie là où ça fait mal. Il appuie là où l’illégalité des constructions est confirmée par une amende au montant indécent, il appuie là où la justification de ladite construction par la présence d’un aïeul communiste sur les bancs de l’Assemblée de Corse passe pour une offense auprès de tous ceux qui ne seraient le fils de personne, il appuie là enfin où tous les corses propriétaires de terrains familiaux souhaiteraient pouvoir y construire la leur, sans y être autorisés.

Alors, résumer le problème des villas Ferracci au déplacement des villas de quelques centaines de mètres pour ne pas massacrer la ligne de crête, et suggérer que la terreur sur notre territoire serait le fait d’associations de défense de l’environnement, est une imposture et montre enfin le peu de considération pour ceux qui s’évertuent à défendre ou faire respecter le droit.

Je vous dirai pour finir que les villas Ferracci, même si elles n’ont pas été construites dans un but spéculatif, même si elles ne sont pas le symbole le plus parlant de la Corse qui disparait sous le béton des promotions immobilières et des centres commerciaux démesurés de périphérie, même si elles ne méritaient pas le sort qui leur a été réservé et qu’elles ne justifient en aucun cas un recours à la violence, elles ne sont pas non plus le symbole d’une Corse qui prospère et qui permet à chacun d’y trouver son bonheur.

Vous vous interrogez, à juste titre, sur la meilleure manière d’élaborer ensemble une vision cohérente et durable du développement économique et social de notre territoire.

Je vous répondrai simplement en vous disant que, les jeunes de cette île, ont besoin de justice, de démocratie et de transparence. Nous avons besoin de sentir que les décisions de justice sont à la hauteur des préjudices, ce qui n’est souvent pas le cas. Nous avons besoin que l’intérêt général soit toujours défendu et qu’il prime sur la somme des intérêts particuliers. Nous devons être sûrs enfin, pour que la terreur cesse sur cette île, que nous ne serons plus asservis à la loi du clientélisme, et que nous serons préservés des dérives affairistes et mafieuses. Nul besoin d’aller chercher des formules magiques pour inventer un modèle de développement, nul besoin d’invoquer les experts ou les dieux, nous voulons la justice. Sans justice, il n’y a pas d’espoir de paix durable. Sans justice véritable, la terreur a de beaux jours devant elle.   

Antonia LUCIANI

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