Dominique Memmi, l’écriture à fleur de peau

Tout est matière à écriture. À condition de bien regarder autour de soi, de savoir écouter l’autre. L’écrivain, originaire de Corte en centre Corse, ne cesse de multiplier les exemples sur le sujet, tandis que l’imagination mène toujours plus loin.

Par Véronique Emmanuelli

Dominique Memmi, écrivain, a toujours voyagé. La première version du scénario consiste à faire surgir le dépaysement de l’espace romanesque. L’émotion, la force d’évocation, qui se dégagent de l’intrigue et des personnages, propulsent dans des aventures insensées et des atmosphères inattendues. Les pages sont larges, ouvertes sur l’ailleurs, et les siècles finissent par compter pour rien. C’est ainsi, en déchiffreuse d’histoires et de monde que Dominique Memmi, enfant émerveillée qui a trouvé son eldorado, grandit, apprend et se sent vraiment heureuse.

« Le livre est ce qui m’a constituée. Du moment où on ouvre un roman, on débute un grand voyage, à tout petit prix. C’est ce que j’explique d’ailleurs lors des ateliers d’écriture que j’anime », insiste-t-elle. Et, le principe est celui du mouvement perpétuel et divers à la fois. « On va traverser mille expériences différentes. On se projette au Danemark à l’époque contemporaine, on se glisse dans la peau d’un botaniste dans l’Italie du xvie siècle. Selon les jours, on devient coureur cycliste ou encore explorateur au fin fond du Montana », énumère-t-elle. La lecture devient réflexe et antidote à la routine des jours. « C’était pour moi un moyen de vivre d’autres vies bien plus intéressantes que la mienne », raconte-t-elle. Les études supérieures et le départ pour Nice seront aussi, au moment voulu, perçus comme une bouffée d’air. « Je suis originaire de Corte. J’ai fait toute ma scolarité au lycée Pascal-Paoli. En 1985, j’ai eu mon bac et je me suis inscrite en section lettres modernes à l’université de Nice. »

Art et cuisine

Elle aurait, pourtant pu, intégrer la toute jeune université de Corse à quelques centaines de mètres de chez elle et continuer à habiter chez sa mère. Mais la perspective n’est pas compatible avec sa quête de nouveaux horizons et son désir de passer à l’âge adulte. Elle attribue au départ des vertus émancipatrices. « Je n’avais qu’une envie : partir. Aller en fac à Corte revenait à prolonger l’enfance. Dès que je montais à bord du bateau, je ressentais un immense sentiment de liberté », se souvient-elle.

Cette partie de l’itinéraire ne dispense pas de quelques regrets. « En réalité, je voulais aller à Paris pour suivre une formation au sein d’une école d’art. J’ai toujours été imprégnée et passionnée par l’art aussi. Ma famille n’avait pas les moyens de financer mon projet. Je suis issue d’un milieu modeste. J’ai pu faire mes études parce que j’avais une bourse et une chambre à la cité universitaire Baie des Anges. Chaque été, à partir de l’âge de 16 ans, je faisais différents petits boulots. J’ai travaillé dans des restaurants à Corte, dans une coopérative laitière, par exemple », confie-t-elle. Il n’empêche, elle n’a pas complètement abdiqué, sur ce point. « À Nice, je suivais des cours du soir Art Déco. Je prenais des cours de couture aussi », poursuit-elle.

Le programme, à ce stade, laisse peu de place pour une autre de ses passions, omniprésente, toutefois. « J’adore cuisiner. Adolescente, je voulais devenir pâtissière. Lorsque j’étais en première, je me souviens avoir rencontré la conseillère d’orientation sur le sujet. » Celle-ci l’invite à se faire une raison. Toutes les digressions scolaires ne sont pas envisageables. « Elle m’a expliqué qu’il était trop tard désormais pour faire un CAP, que j’aurais dû m’engager dans cette voie à la fin de la troisième. Elle ne m’a pas parlé de formation post-bac. J’ai accepté cette version. » La passion deviendra loisir mais aussi exutoire quelques années plus tard. « Lorsque je suis rentrée à Ajaccio, j’ai pris des cours de cuisine. Dès que je coince sur quelque chose, je me mets à faire la cuisine », reprend la romancière.

Histoire de famille

En attendant, jour après jour, elle s’invente de nouvelles pérégrinations. Celles-ci prendront bientôt une dimension professionnelle. Dominique Memmi bouge, va et vient au rythme d’Euralair, une compagnie aérienne aujourd’hui disparue, puis d’Air Corsica. Entre-temps, elle a bouclé son mémoire de maîtrise à l’université d’Aix-Marseille cette fois. « J’avais décroché la mention très bien. J’en étais particulièrement fière. Lors de cette dernière année universitaire, j’avais fait le choix d’aborder l’œuvre d’Alfred de Musset sous l’angle de la psychanalyse. Ce qui m’avait amenée, entre autres, à considérer la relation entre Musset et George Sand. Un autre volet du cursus portait sur le théâtre. C’est Antonin Artaud qui avait retenu mon attention. » Comme si elle refusait de se laisser enfermer dans un métier, dans une routine. Comme si elle voulait sortir, sans relâche, du périmètre qu’on lui assignait. Elle volera vingt ans, entre Corse et continent.

Elle mettra ses congés à profit pour explorer l’Asie, l’Amérique, l’Afrique à un rythme effréné. « Travailler dans une compagnie aérienne procure de nombreuses opportunités de voyage. J’étais toujours en vadrouille, toujours en déplacement », note-t-elle. Tout en tournant les talons, elle ne cesse de prendre le parti de l’écriture et de la littérature. « J’avais écrit un premier récit lorsque j’étais étudiante. Je l’avais laissé au fond d’un tiroir », commente-t-elle.

À la fin des années 90, ses idées sont plus construites. Elle écrit un texte plus long, plus structuré que d’habitude. « J’étais enceinte à l’époque. Je crois que le fait d’attendre un enfant a servi de déclencheur. » La démarche se solde en 2001 par la parution aux éditions Albiana d’un premier roman, Deux. L’ouvrage est remarqué. « Je parlais de sexualité d’une manière pas du tout lyrique mais plutôt d’une façon que certains ont pensé brutale et qui me paraissait très vraie. Je n’ai pas fait lire le manuscrit avant pour éviter les reproches. Je préférais me confronter à la critique une fois que tout était fait », explique-t-elle.

Dans la foulée, elle met son imagination au service de la littérature jeunesse. Elle puise sans doute dans son expérience de jeune mère de grands sujets. Elle avance de contes en albums jusqu’à se trouver, de son propre aveu « en équilibre précaire entre l’avion et l’écriture ». « J’étais de moins en moins heureuse d’aller voler. Je commençais à éprouver une sorte de culpabilité par rapport à mes textes ».

Elle pense que la sédentarité représente une bonne solution. Elle n’aura pas besoin d’y réfléchir longtemps. L’expérience ne sera qu’une parenthèse éclair. « On m’avait proposé un poste très intéressant à la communication. En définitive, je ne l’ai occupé que pendant deux jours. C’était complètement insensé. Je n’avais plus qu’une crainte, ne pas disposer d’assez de temps pour écrire. J’avais la conviction de mettre mon écriture et, par conséquent, mon identité en péril. L’écriture est un processus très charnel en réalité », analyse-t-elle.

Elle reprend alors le rythme ordinaire, à quelques ajustements près. « J’ai donc continué à voler, mais à mi-temps. Dès que je terminais, je me consacrais à la littérature. »

La suite de cet article est à retrouver dans Paroles de corse #90 de juillet-août en vente sur www.parolesdecorse.fr/boutique

Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.