Déboulonnage

« La République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire. La République ne déboulonnera pas de statue. » Pour mettre un terme au débat qui secoue l’opinion dans de nombreux pays, Emmanuel Macron a tranché. Avec fermeté, appelant les Français à regarder leur histoire en face.

Par Vincent de Bernardi

Ce débat qui sévit depuis la mort de George Floyd, Afro-Américain asphyxié par un policier blanc lors de son interpellation le 25 mai, des statues honorant des colons ou des figures esclavagistes ont été déboulonnées dans plusieurs pays.

Le 9 juin par exemple, aux États-Unis, à Richmond (Virginie), Christophe Colomb, devenu le symbole du génocide des Amérindiens, a été décapité, incendié et jeté dans un lac. En France, c’est la figure de Jean-Baptiste Colbert – instigateur du Code noir, rédigé sous Louis XIV et publié deux ans après sa mort, cadre juridique de l’esclavage dans les colonies françaises –, dont une statue trône à l’Assemblée nationale, qui est sous le feu des critiques. En Grande-Bretagne, c’est la statue d’Edward Colston, négociant négrier du xviiie siècle qui a été renversée.

Ce n’est bien sûr pas la première fois que ces figures glorifiées dans la pierre tombent de leur piédestal. Ce sont celles qui symbolisent les inégalités enracinées dans les héritages historiques de l’esclavage, du racisme, du colonialisme et de l’impérialisme. Comme le soulignent les historiens Marie-Louise Ryback Jansen et Steven Stegers, la statue de Joséphine Bonaparte (1763-1814) en Martinique, érigée en 1859 en l’honneur de l’impératrice française dans son pays natal, a été décapitée plusieurs fois au cours des dernières décennies pour ses actions présumées visant à convaincre Napoléon de rétablir l’esclavage. Elle reste aujourd’hui sans tête et éclaboussée de peinture rouge, symbole de la culpabilité de la France dans la traite des esclaves.

Pour les deux historiens, l’enlèvement ou l’effacement d’une statue ou d’un monument n’atténuent pas les griefs sous-jacents qui divisent une société. « Sans changements structurels dans les systèmes judiciaires, policiers, sociaux et éducatifs, l’enlèvement est une victoire à la Pyrrhus, un acte purement symbolique. » Ils ajoutent « lorsque la statue aura disparu, comment rappellerons-nous au public les injustices passées et les problèmes connexes et omniprésents qui subsistent ? ».

Peuple sans image

Le déboulonnage qui fut par le passé une marque de basculement politique, depuis la Révolution française jusqu’à la chute des démocraties populaires de l’Est, est aujourd’hui, le signe d’une colère. Et comme le dit Michel Guerrin dans Le Monde : « la figure statufiée ne participe plus d’un roman national mais de fractures communautaires, elle est un symbole inflammable de la colonisation, de l’esclavage et du racisme ».

L’historienne Mona Ozouf expliquait récemment avec la plus grande sagesse qu’il faut accepter de mettre de la complication et de la complexité dans nos existences. En refusant d’avoir une approche brutalement binaire, nous nous éloignons du chemin qui mène vers l’autoritarisme. Hostile à devenir un peuple sans image, sans figure, elle proposait d’expliquer, de commenter pourquoi les personnes avaient été honorées par des statues ou par leurs noms sur des bâtiments ou des rues s’interrogeant sur la nécessité de « purifier » notre passé.

L’histoire en face

Regarder l’histoire en face. Tel est le courage qui doit animer nos démocraties. C’est ce qu’a fait Jacques Chirac en reconnaissant la responsabilité de l’État français dans la collaboration avec l’Allemagne nazie.

Au-delà des revendications antiracistes affichées, le déboulonnage et la destruction de statues ont un point commun : évacuer des lieux publics une mémoire contestée. Ces actes s’effectuent sur fond de remise en question de l’histoire « officielle » en opposition à une « autre » histoire celle que la rue voudrait d’écrire.

Cette situation, loin d’être anodine, réveille la question de la fabrique de l’histoire, de la représentation de certains personnages historiques dans l’espace public. En revenant sans cesse à l’ouvrage de Paul Veyne publié en 1971 : Comment on écrit l’histoire.

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