Air Corsica : Un tour de cadran sur les ailes de la Corse

La compagnie aéronautique qui fête en septembre ces trente ans fait partie du quotidien des insulaires. Voyage pendant douze heures aux côtés du personnel d’Air Corsica. Prière d’attacher vos ceintures…

Par Diana Saliceti

Il est 5h30 du matin et nous sommes sûrement devant un des établissements les plus matinaux d’Ajaccio : l’aéroport Napoléon-Bonaparte. Le bruit des roulettes de valises réveille et rappelle au visiteur qui serait encore endormi qu’il est sur le départ. Le bâtiment fait de verre et d’acier fourmille déjà de nombreux voyageurs plus ou moins à l’heure. Campo Dell’Oro, aéroport numéro un de Corse en terme de trafic voit son premier vol de la journée décoller pour Paris à 6h du matin. Nous voici en compagnie des équipages des vols à destination de Marseille et Lyon. Il est six heures et c’est dans une bonne humeur ambiante que l’on commente, entre une dizaine de salariés tirés à quatre épingles, les parcours du jour.

Bruno, commandant de bord et son co-pilote Louis-Philippe, respectivement vingt et un et quinze ans de pilotage chez Air Corsica, récupèrent leurs informations de vol dans le bureau du coordinateur. « Comme la météo, les particularités du parcours, la quantité de carburant… », expliquent le commandant et son co-équipier qui rejoignent sans plus attendre, dossier sous le bras, l’avion qui stationne sur le tarmac, dans les couleurs de l’aube.

« Siate i benvenuti ! » 

Avant de quitter le bureau, l’œil est attiré par une horloge qui indique qu’il est 4h15, c’est l’heure GMT (Greenwich Mean Time) l’horaire référence dans l’aérien. 6h20, le catering (approvisionnement de marchandises) est livré par un binôme d’employés très souriants, les fameux canistrelli et leurs boissons montent à bord avant les 139 passagers. Le co-pilote fait un tour de l’aéronef, une inspection déjà effectuée en amont par les mécaniciens de la compagnie. À 6h30, alors que la cheffe de cabine, les deux hôtesses et le steward font un briefing sur le vol, les deux pilotes font un cross-check dans le cockpit. « C’est-à-dire que le co-pilote vérifie tout ce que je fais et vice-versa lorsqu’au trajet retour ce sera lui aux commandes »,commente le commandant de bord. « Ladies and gentlemen, good morning »… « Siate i benvenuti » : la voix douce de l’hôtesse est annonciatrice d’un départ imminent, une dizaine de minutes tout au plus.

« Aspetta o Mà »*, souffle la dernière passagère à embarquer : une dame accompagnant sa mère âgée qui a nécessité une assistance fauteuil pour embarquer. Dans le cockpit, le binôme de pilotes réalise de nombreux calculs notamment pour vérifier les performances nécessaires au décollage. La tour de contrôle leur indique qu’ils peuvent se rendre désormais sur le point d’arrêt delta. « Le décollage et l’atterrissage se font manuellement »,indique Bruno. « Nous sommes en pilotage automatique pour la navigation ou également pour des atterrissages par temps de brouillard mais uniquement sur le continent pas en Corse. » Alors que l’on nous explique que dans l’avion tous les circuits électriques et instruments de navigation sont doublés voire triplés pour éviter toute panne, une question est posée au nom des phobiques de l’aéronautique : « Mais, commandant, l’avion c’est sans danger ? »

« Si on regarde les chiffres, c’est bien moins dangereux que la voiture ! Et puis, chez Air Corsica il n’y a pas d’économies faites au sujet du suivi des avions », répond le pilote. « Sans parler d’accident, on a une vraie responsabilité au titre du service public mais également pour les enfants seuls que l’on transporte ou encore les personnes qui voyagent pour raisons médicales. Air Corsica annule très rarement un vol, nous faisons en sorte de toujours ramener les gens sur leur île. »

L’équivalent d’un long-courrier

C’est maintenant avec le centre de contrôle régional d’Aix que s’entretiennent les deux professionnels. En une journée, un pilote d’Air Corsica fait environ quatre étapes. « S’il s’agit de quatre liaisons avec Paris, ça représente vite jusqu’à sept heures de vol ce qui correspond à un vol long-courrier mais avec quatre décollages et quatre atterrissages »,rappelle le commandant de bord. Pendant ce temps-là, entre 7h10 et 7h25, l’équipage composé de Lois, Guillaume, Patricia et Marina sert une collation aux 139 passagers. « Le vol est de 45 minutes, il faut donc faire vite », rappelle Patricia, cheffe de cabine qui regagne son siège à l’avant de l’appareil. Cela fait 28 ans que son quotidien est aux couleurs d’Air Corsica. « C’est un métier qui m’a toujours fait rêver notamment vis-à-vis de la richesse des contacts et qui m’a permise de vivre chez moi », raconte avec conviction la salariée. « Je n’ai pas fait ce métier par défaut et après toutes ces années, je mets toujours mon vernis et mon rouge à lèvres avec le même plaisir ! »Il est 7h45, l’avion se pose en douceur sur ces mots de passionnée.

Ange Basterga, comédien insulaire, fait partie de la file de passagers prêts à débarquer dans la cité phocéenne. « Sans Air Corsica, je ne pourrais pas exercer mon métier d’artiste », déclare cet intermittent du spectacle.« J’effectue entre deux et trois allers-retours par mois ce qui me permet d’être connecté au milieu artistique. Même s’il se développe en Corse, il est toujours centralisé. Le service est top et il y a très peu de retard sur cette compagnie. »Le vol semble bel et bien mériter un sans faute ! Nous voici dans l’aéroport de Marseille où le dépaysement n’a pas lieu d’être tant l’équipe au sol d’Air Corsica est composée d’insulaires. Ils sont une quarantaine sur Marseille et une vingtaine sur Nice.

« On va s’en occuper de A à Z »

Entre les membres de l’équipe marseillaise, les macagne** vont bon train. « Miss Stragna, je vais t’appeler », souffle Thibault, le chef d’escale adjoint à une des deux hôtesses pourtant très souriantes qui procèdent aux enregistrements sur les vols de Bastia et d’Ajaccio de 8h40 et 9h15. « Nous sommes une compagnie régionale et nous avons un traitement du passager particulier », explique le responsable originaire de Casabianca en Castagniccia.

« Nous sommes capables de traitements spéciaux en tentant toutefois de ne pas mettre l’avion en retard. Mais quand on a un petit pépé par exemple et bien on va s’en occuper de A à Z. »

Deux sortes d’agents composent la « squadra*** » de Marseille, les agents de passage et les agents de trafic. « Les premiers procèdent aux enregistrements et aux embarquements, les seconds coordonnent toutes les activités autour de l’avion, des bagages au ravitaillement en fioul en passant par les chaises médicalisées nécessaires. Par contre, les agents de trafic peuvent faire du passage mais par l’inverse », résume Thibault qui reçoit un appel au sujet d’une demande très spéciale. Un couple de futurs mariés a acheté l’ensemble des places d’un ATR pour les convives de leur mariage, Thibault cherche à rendre le hall d’enregistrement accueillant pour leur arrivée prévue dans deux jours. « On va mettre leur photo en grand dans la salle d’enregistrement, ça risque d’être fou la mariée va arriver avec sa traîne et tous ses invités ! »,commente le responsable qui promet de prendre des photos de ce vol affrété par l’amour à destination de Figari.

Il est 10h30 et une des trois équipes de Marseille fait une pause en attendant les futurs vols, on parle des dernières séries télévisées, on rigole, on échange au sujet du lunch. «Il n’y a que des femmes, ça piaille »,plaisante Alexandre, agent de trafic qui vient de signer un CDI chez Air Corsica. « L’entente est très bonne et on s’entraide, il faut dire qu’on passe énormément de temps ici. » Niveau parcours, Alexandre a bourlingué de steward en CDD à commercial indépendant jusqu’à agent de passage lors de son retour à la compagnie… « Je n’ai pas volé pendant cinq ans donc j’ai perdu mon diplôme de steward qui est assez complexe : il y a une partie vraiment axée sur l’avion et une autre sur le secourisme où tu apprends à faire face à toute situation de quelqu’un qui s’est brûlé avec du café à une dame qui doit être accouchée en plein vol ».L’agent de trafic poursuit ses calculs pour l’étude du placement des charges bagages et cargo de l’avion dont il est responsable aujourd’hui. « Le cargo représente le frêt, les colis Amazon ou autres, le sang, les chiens, les oiseaux… C’est une sorte de Tétris à renouveler à chaque chargement, l’avion est une balance s’il n’est pas équilibré il peut finir dans l’étang de Berre »,explique Alexandre dans un sourire.

« Elle est là la mission de service public ! »

Après le déjeuner partagé dans la convivialité, Jeannette et Clarisse à l’instar de toute l’équipe partent regagner leur poste en attendant la relève de l’équipe de l’après midi. François, un des agents de trafic, vient d’arriver à son poste, il prépare le vol Bastia XK255 de 17h30 : « Je mentionne toutes les particularités comme les chaises médicales, appelées C, R ou S selon le niveau de mobilité de la personne, ou encore les enfants voyageant seuls qui sont souvent à l’avant afin que l’hôtesse puisse mieux les encadrer. » La responsable de l’après-midi, Julie, nous entraîne avec elle dans sa tournée des différents postes de l’escale. C’est un personnage haut en couleurs, un peps certain souligné par la couleur fuchsia de son rouge à lèvres assorti à son pull. « Chaque jour, nous devons traiter des cas incongrus comme les personnes voulant embarquer sans carte d’identité. Il y a en une dizaine par jour au moins ou encore ceux, plus rares, qui veulent monter sur le tapis bagages ! »Il y a également les mécontents ou les « complotistes » : « Parfois si un vol ne part pas, on nous soupçonne de l’annuler par manque de passagers, or nous faisons partir des vols Marseille-Calvi pour un seul passager en période hivernale », se défend la responsable.« Elle est là la mission de service public ! »Encore une fois, revient la notion de familiarité avec les passagers : « Ce sont les nôtres qu’on transporte, il y a donc une empathie naturelle. Il nous est arrivé plus d’une fois de retarder le vol pour attendre la famille d’un défunt insulaire. Impensable dans une autre compagnie. »

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