Le rideau s’ouvre sur ciné-village

Les handicaps de la ruralité sont nombreux. Pourtant par des actions ponctuelles ils sont partiellement résorbés, au grand bonheur des habitants. Ainsi par exemple, le cinéma itinérant que propose à partir de ce mois les responsables cortenais de l’Alba. Ils sillonneront le Centre Corse offrant ainsi des films à domicile.

Par Jean Poletti

Le projet qui germait depuis quelque temps chez les initiateurs prend forme. Le rideau se lèvera dans les villages aux premiers jours de juin. Le format itinérant sillonnera le Boziu, le Niolu, et autres lieux alentour pour projeter des films aux villageois qui n’auront plus à se déplacer dans la cité cortenaise. L’initiative est d’autant plus probante qu’elle ne se limitera pas à la saison estivale, mais perdurera également l’hiver. Elle répondra ainsi à la demande des communes qui en auront exprimé le souhait. Nul doute que les maires seront nombreux à en faire la demande à la grande joie de leurs administrés. Une telle opportunité réduira sans conteste cette inégalité alliant culture et divertissement. Prendre sa voiture, faire de nombreux kilomètres pour assister à une projection en rebutait plus d’un. Et cela est compréhensible. D’autant que lors des frimas, faire de la route transformait l’hésitation en renoncement pur et simple. Une sorte d’écran noir pénalisant les amateurs du septième art. Désormais, on peut dire que le ciné vient à eux, transcendant ainsi une fracture géographique. Ce beau scénario est à mettre à l’actif des dirigeants de l’Alba, qui est, faut-il le préciser, le seul et unique cinéma de la région cortenaise. Aussi dire qu’ils font œuvre salutaire sans esprit mercantile relève d’une évidence qui mérite des louanges.

L’Extrême-Sud aussi

Une telle réalisation s’inscrit dans le sillage de celle du Galaxy à Lecci. En cela, elle adhéra à l’idée émise par la Collectivité de Corse qui en son temps sollicita les divers cinémas insulaires. L’idée était tout à la fois simple et réaliste. Elle consista à demander aux propriétaires et gérants de salles obscures d’aller au cœur de la ruralité et présenter des films récents, créant ainsi une offre pour ceux qui résident loin des lumières de la ville. Dans ce droit fil, des séances furent organisées à Porto-Vecchio, Sartène, Figari, mais aussi à Tallano et Zonza. Bonifacio fut une première. Et quatre films furent à l’affiche à Saint-Jacques. Certes dans la cité des falaises fonctionne un ciné-club mais les diffusions sont espacées. Ailleurs, par contre et surtout dans les villages même un tel palliatif n’est pas au générique.

Concrètement, l’hiver il conviendra, ici et là, de posséder un espace couvert, ce qui implique une bonne acoustique. Mais l’été des séances en plein air peuvent aisément être organisées, ajoutant une atmosphère bucolique chez les spectateurs, ravis de visionner un long métrage, ceinturés par la végétation. En tout cas, la collectivité territoriale ne rechigne pas à mettre la main à la poche pour subventionner l’achat du matériel adéquat dont ont besoin les programmateurs pour des prestations de qualité.

Avant-première

Idée novatrice ? Sans doute. Mais les plus anciens se souviennent qu’en Haute-Corse, un tragulinu avait initié voilà plus d’un demi-siècle ce mode de ciné nomade. Avec une simple moto, transportant tout l’attirail nécessaire, il arrivait dans les villages. Un drap blanc servait d’écran et muni d’un projecteur peu élaboré, il jouait les techniciens. Parfois les films qui ne devaient pas être de première jeunesse cassaient ou le son se faisait nasillard. Mais ces incidents loin de provoquer l’ire étaient salués par des réactions bon enfant. En définitive, ces incidents faisaient partie intégrante du spectacle. Et pour une modique somme, jeunes et vieux pouvaient participer à un moment ludique et convivial.

Retour vers le futur ? Nullement, désormais le charme discret de l’amateurisme d’antan a laissé place au professionnalisme et des projections récentes. Cette itinérance est d’autant plus importante qu’aujourd’hui elle s’inscrit pleinement dans une réalité rurale qui fréquemment observe en témoin passif tout ce qui concourt au progrès sans pouvoir y accéder. Ainsi, sans revêtir une importance vitale cette sorte de cinéma pour tous est un bienfait qui doit non seulement être développé, mais également pérennisé. À Plus dure sera la chute, La Haine ou De rouille et d’os, préférons sans ambages Chantons sous la pluie,  La vie est belle. Et pour éviter les foudres de la perfide Albion citons également The Full Monty ou Good Morning England. Sans oublier Les Blues Brothers, la liste pouvant bien évidemment être enrichie à convenance.

Silence ça tourne

Toutes ces digressions, tandis que vient de s’achever la dernière édition du Festival de Cannes, ne doivent pas occulter l’essentiel. Les villages ont droit, eux aussi, à faire leur cinéma. Silence ! ça tourne. Puisse une telle intrusion en ces lieux de haute solitude ne pas connaître la dernière séance.

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