Une Corse en Kohler 

Edito

Par Jean Poletti

La Corse est tributaire d’une crise politique qui ébranle le sommet de l’État. La réforme des retraites nourrit un ressentiment citoyen qui pourrait paralyser la fin du quinquennat présidentiel. Conseil constitutionnel, référendum d’initiative partagée ne changeront rien ou presque à la fracture démocratique qui risque de perdurer. Dans cette situation qui sculpte l’avenir d’incertitudes, l’île victime en onde choc ? Bannissons les litotes, oublions les formules convenues. La vérité sans fards ni euphémisme conduit à suggérer que le dossier de l’autonomie bat lui aussi en retraite dans les préoccupations gouvernementales. Si tant est que d’emblée elles le furent véritablement. Darmanin qui rêve déjà de présidentielle pourrait rechigner à s’aventurer davantage dans le guêpier insulaire. Il sait d’expérience que tous les ministres de l’Intérieur qui s’y sont aventurés se brûlèrent les ailes. Et son ami Sarkozy ne dut vraisemblablement qu’à sa côte de popularité de ne pas être déboulonné par ses « amis » au lendemain de son échec du référendum local. Certes Defferre et Joxe persistèrent contre vents et marées, mais il faut rappeler à cet égard qu’ils n’avaient aucune velléité élyséenne. Et surtout que Mitterrand avait à cœur de concrétiser les deux statuts tant il croyait au droit à la différence. Un credo illustré par sa formule « Corses soyez vous-mêmes. » L’eau a coulé sous les ponts, et la nouvelle réforme ne rencontra pas une volonté gouvernementale aussi prégnante. Dramatique pied de nez à l’histoire, l’assassinat dans une prison d’Yvan Colonna et les remous de la jeunesse exhumèrent le dossier de sa torpeur. Depuis, malgré les accrocs et atermoiements, les négociations semblaient progresser. Indubitablement le climat social et un pouvoir présidentiel en perte de légitimité mettent en sommeil la requête initiée par la majorité territoriale. Le pire n’est jamais sûr professeront les optimistes. D’autres, ici comme ailleurs, se réjouiront sous cape du plausible coup d’arrêt, tant leur hostilité diffuse ou affirmée alimente depuis toujours les projets évolutionnistes. Tout est perdu fors l’honneur ? C’est aller un peu vite en besogne. Mais dire qu’aujourd’hui plus qu’hier le processus ne sera pas un long fleuve tranquille relève de l’évidence. Le contester équivaudrait à verser dans l’optimisme béat et se faire le disciple de l’inénarrable Coué et sa stupéfiante méthode. Dans une séquence, qui passa inaperçue, la Première ministre lors de son discours de politique générale avait évoqué la Corse. Une incidence peu commune quand l’hôte de Matignon officialise sa fonction devant les parlementaires. Était-ce pour signaler que Beauvau n’avait pas toute latitude ? Comparaison n’est pas raison, mais en probante illustration elle reçut récemment à Paris une délégation de Nouvelle-Calédonie, comprenant légitimistes et indépendantistes du FLNKS, dans le cadre des discussions sur l’avenir institutionnel de l’archipel ! Qui a forcé pour qu’Élisabeth Borne soit nommée ? Alexis Kohler, l’influent secrétaire général de l’Élysée, le « jumeau » du Président. Son alter ego de l’ombre. Celui qui dit-on dans le cénacle fait ou défait une carrière ministérielle. Dès lors la curiosité intellectuelle pousse à imaginer ce que pense en son for intérieur ce personnage secret. À l’évidence son analyse sur la Corse ne peut tomber dans l’oreille d’un sourd. Même jupitérienne. Est-ce à dire que son avis a plus d’envergure que celui d’un ministre, fut-il le premier d’entre eux ? Les allées du pouvoir le murmurent avec des accents de méfiance aux lisières de la crainte. Faisons un peu de politique fiction. Et si c’était en épilogue ce haut-fonctionnaire qui avait véritablement les clés du processus de l’autonomie ? Certains qui osent parler, sous la protection de l’anonymat, le disent omnipotent. Dès lors, si tous ceux qui à des degrés divers sont partisans d’une nouvelle étape vers la spécificité tentaient de prendre langue avec cette éminence grise ? L’entreprise ne s’annoncerait pas aisée, tant l’homme dit-on est muré dans sa tour d’ivoire. Ombre au tableau, Kohler, le bien nommé, aurait confié à quelques députés de la majorité : « Ne vous inquiétez pas, ils n’auront rien. » Peut-il revenir sur ce diktat ? Comment le persuader ? Rien n’interdit de rechercher des canaux officieux pour plaider et tenter de le circonvenir. Extrapolations ? Sans doute. Vaine hypothèse ? Peut-être. Procédé irréaliste ? Nul ne l’exclut. Pourtant, n’est-ce pas lors des crises de régime, ou qui leur ressemblent étrangement, que des initiatives singulières peuvent parfois être couronnées de succès. Quel risque y a-t-il de jouer cette carte qui sans être orthodoxe peut se révéler un atout ? Plutôt qu’être suspendus aux aléas qui agitent les allées du pouvoir, cette stratégie peu académique pourrait être un des moyens de reprendre la main. Voilà qui nous ramène à une période encore récente où des relais discrets pouvaient jouer les bons offices. Cela n’était pas l’apanage des « Monsieur Corse » successifs et officiels. Mais de personnes qui sans tambour ni trompette négocieraient dans un bénéfique huis clos. Faut-il le préciser, qu’il n’obèrerait nullement le fameux dialogue à ciel ouvert, mais œuvrerait en complémentarité avec une liberté de ton, et l’absence de postures que permettent la confidentialité. Chez nous, ce créneau fut parfois utilisé. Sous la gauche mitterrandienne, ce furent notamment Bastien Leccia, Laurent Croce et un préfet de Haute-Corse. Avec la droite, un maire d’une petite commune et quelques autres anonymes furent ce que l’on nomme les visiteurs du soir. Retour vers le futur ? 

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