T’as mis ton pull ?

EDITO 

Par Jean Poletti

De Gaulle visionnaire ? N’avait-il pas asséné qu’à trop écouter les écologistes la France reviendrait à la marine à voile et à la lampe à huile ? Il répondait implicitement à René Dumont, premier candidat écologiste à la présidentielle. L’histoire bégaie. Autant en emporte le vent des éoliennes, pseudo remède miracle. L’énergie nucléaire sacrifiée sur l’autel de considérations politiciennes offre le triste spectacle de la moitié des centrales à l’arrêt faute de maintenance. Tandis que la doyenne fut fermée d’un trait de plume. Résultat de cette gabegie aux allures de déroute, l’État s’apprête à réactiver sa production de charbon. Le fameux refrain « au nord, c’étaient les corons » redevient d’une brûlante actualité. Et les gueules noires s’apprêtent à reprendre du service. La guerre en Ukraine a bon dos et se veut un exutoire aisé pour ceux qui ont commis selon le célèbre mot de Talleyrand « pire qu’une faute, c’est une erreur ». Le directeur général d’EDF, à la veille de son limogeage, eut les mots justes et forts pour définir cette grande braderie qui laisse un pays ouvert aux frimas. Voici venir l’hiver terreur des pauvres gens, clamait Hugo, ces vers du passé reviennent dans nos esprits, brisant une stratégie qui fit de la France un pays souverain en énergie. Comme un mauvais vaudeville, les conseils des princes qui nous gouvernent fusent. Baisser le chauffage, parcimonie de douches, éteindre les lumières et autres recommandations aux lisières de l’infantilisation. Et ces augures de circonstance de brandir le bouclier social pour les plus démunis. Sauf que pour eux, qui depuis belle lurette font la chasse au gaspi, la facture sera douloureuse. D’autant qu’au « quoi qu’il en coûte » succède le « combien ça coûte », preuve si besoin que ces mesures seront limitées dans l’espace et le temps. En Corse, où une personne sur quatre vit sous le seuil de pauvreté, le choc sera d’autant plus rude. Se chauffer deviendra parfois un luxe. Ajoutant au malaise social l’inconfort d’un domicile dépourvu de chaleur. La seule chance n’est nullement l’apanage des décideurs. Elle réside dans sa géographie et son climat qui peut se montrer clément. Mais aussi dans le secret espoir que le vrai Jupiter, s’il existe, et Éole nous épargneront frimas, rigueurs et vents mauvais. D’autant qu’ici on attend depuis longtemps déjà les remplacements des deux centrales en bout de vie. Là aussi, il faudra que ces vénérables installations ne se grippent pas quand elles devront tourner à plein régime. Les remplaçantes ne sortiront pas de terre demain, mais dans un propos surréaliste une philippique s’amorce sur leur alimentation. Terminé le gaz, oublié le fuel léger, place à la biomasse. Voilà qui ressemble étrangement à mettre la charrue avant les bœufs. Car prosaïquement l’essentiel est de savoir si aucun aléa d’importance n’aggravera pas le spectre d’un plausible délestage. Ici aussi, tandis que certains dessinent à l’envi des plans sur la comète, le réel bannit toute sérénité. Le climat météo et populaire est lourd d’incertitudes. Les socioprofessionnels, qui chez nous ne sont pas adeptes du Cac 40, sont inquiets d’une inflation pouvant faire le lit de la régression dans une économie baignant déjà dans des étiages bas. Une île à la dérive ? Le terme est vraisemblablement outrancier. N’empêche, il reflète le sentiment d’une communauté dont le regard vers l’avenir est embué de craintes diffuses ou explicites. À l’évidence la crise énergétique est aussi du Cap à Bonifacio, de l’intérieur au littoral, le révélateur d’une extrême fragilité sociétale qui peine à ouvrir la voie de l’essor partagé. Un tourisme qui échappe aux professionnels de l’hôtellerie, le carburant qui joue à saute-mouton à la pompe, le chômage, la réouverture des Restos du Cœur. Autant de signes patents d’une population que l’insularité loin de protéger amplifie. Ici plus qu’en terre hexagonale, la fin de l’abondance annoncée par Emmanuel Macron est perçue comme un non-sens. Voilà bien longtemps déjà qu’elle n’a plus droit de cité. Revenus moindres qu’ailleurs, coût de la vie plus élevé. Tel est le lot de nombreux foyers. Alors cet hiver on enfilera nos pulls en laine sitôt à la maison. Une manière comme une autre de nous faire une nouvelle fois porter le chapeau. Même si certains préfèrent a baretta misgia.

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