Simplification de l’achat public

Un coup de pouce pour l’économie insulaire

Voici une nouvelle qui devrait réjouir à la fois élus locaux et chefs d’entreprises : le seuil en deçà duquel un marché public peut être librement conclu est sur le point de passer de 25 000 € hors taxes (HT) à 40 000 € HT. Un décret modifiant le code de la commande publique est actuellement en cours d’élaboration et devrait entrer en vigueur début 2020.

Par maître Isabelle Leca, avocate au barreau d’Ajaccio

Quel est l’objectif poursuivi par le gouvernement ? Le montant de ce seuil a connu des fluctuations au fil des ans, passant successivement de 20 000 € à 4 000 €, puis à 25 000 €.La difficulté que comporte la fixation de ce seuil tient dans la conciliation de deux dimensions de l’achat public.D’un côté, il s’agit de simplifier la passation des marchés de faibles montants. En effet, ces « petits » marchés sont, le plus souvent, passés par des acheteurs de dimension réduite qui sont dépourvus de services internes dédiés à la passation des marchés publics.De l’autre côté, l’enjeu est de veiller au respect des principes fondamentaux de la commande publique que sont la transparence, la liberté d’accès et l’égalité de traitement entre les candidats.

En décidant de relever le seuil actuel de 25 000 € HT à 40 000 € HT, le gouvernement fait le choix de se rapprocher de la moyenne des pays de l’Union européenne, pour les marchés de fournitures et de services.

Son objectif, clairement affiché, est le suivant : « simplifier l’application du droit de la commande publique pour les acheteurs et (…) favoriser l’entrée sur le marché des petites et moyennes entreprises (PME) dans l’objectif de faire passer leur part de marché de 32% à 50% (en valeur), la commande publique constituant un levier potentiel de croissance pour les PME »*. Ainsi, cette mesure d’assouplissement à destination des acheteurs publics est utilisée comme un outil de politique économique en faveur du développement des PME.

Un tissu régional propice 

Cette mesure pourrait avoir un impact important au niveau local, compte tenu du tissu économique et de la taille des collectivités locales. En effet, le tissu productif insulaire est constitué quasi-exclusivement de micro-entreprises et de PME**. Ce sont ces entreprises qui concentrent fortement l’emploi salarié. Elles représentent pas moins de 79,1% de l’emploi privé au niveau régional.

Quant aux acheteurs publics, ils sont très majoritairement de petite taille, du point de vue démographique. Si l’on s’en tient aux communes, la Corse en compte 360 au total. Seulement 58 d’entre elles ont plus de 1 000 habitants, soit 20%. On en dénombre à peine 14 de plus de 3 500 habitants, soit 3,8%***.

Notre île constitue donc le cœur de cible de cette mesure de simplification de la commande publique, au même titre que d’autres régions. Gageons donc que l’abaissement de ce seuil de passation stimulera l’économie insulaire tout en simplifiant la tâche des collectivités locales.

Toutefois, pouvoir passer les marchés de moins de 40 000 € HT sans publicité ni mise en concurrence n’est pas synonyme d’absence totale de règles. La vigilance s’impose.

Trois règles fondamentales

Les marchés de travaux, de fournitures ou de services, dont le montant estimé est inférieur à 25 000 € HT aujourd’hui – 40 000 € HT d’ici peu – sont dispensés de la mise en œuvre de formalités de publicité et de mise en concurrence. Cependant, ils n’échappent pas à l’application des règles fondamentales de la commande publique.

Première de ces règles : la définition préalable des besoins. Quel que soit le montant du marché à conclure, l’acheteur public doit être capable de définir précisément ce qu’il veut acheter. Cela peut sembler évident. Or en pratique, cette phase de préparation du marché est particulièrement complexe à mettre en œuvre pour les collectivités de petite taille. Cette définition préalable des besoins est une étape nécessaire pour garantir le choix d’une offre répondant de manière pertinente au besoin de l’acheteur public. Sans besoin identifié, comment choisir la meilleure offre ?

Deuxième règle : veiller au bon usage des deniers publics. Il est recommandé à l’acheteur de se comporter « en bon père de famille ». Cela signifie effectuer notamment des comparaisons afin de prendre connaissance de l’offre existante sur le marché, pour faire son choix de manière éclairée.

Troisième règle : éviter de contracter systématiquement avec le même prestataire lorsqu’il en existe plusieurs sur le marché.

Efficacité et rigueur

Lorsqu’il passera un marché de moins de 40 000 € HT, l’acheteur public devra non seulement veiller à respecter ces trois règles fondamentales, mais en plus il devra scrupuleusement conserver la trace des mesures mises en œuvre, telles que des échanges de courriels, des devis ou encore des comparatifs de prix.

Si l’achat public gagne en souplesse, il ne doit pas, néanmoins, perdre en efficacité et en rigueur, et ce d’autant plus que le risque pénal pèse sur les élus, y compris pour ces marchés de faibles montants. La sécurisation juridique des achats publics reste donc de mise.

*Conseil national d’évaluation des normes, délibération n°19-09-12-02073 du 12 septembre 2019, Projet de décret modifiant le code de la commande publique.

**Données Insee (source : insee.fr) : 95% de micro-entreprises et 4% de PME.

Micro-entreprise : « entreprise occupant moins de 10 personnes, et qui a un chiffre d’affaires annuel ou un total de bilan n’excédant pas 2 millions d’euros ».

PME : « entreprises qui occupent moins de 250 personnes, et qui ont un chiffre d’affaires annuel inférieur à 50 millions d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 43 millions d’euros. »

***Données Insee (source : insee.fr), populations légales en vigueur à compter du 1/01/2017. 

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