RETOUR DE L’ÉCOLE

Une fois de plus la presse s’empare avec gourmandise de la baisse du niveau scolaire français. On pourrait même dire qu’il s’agit d’un marronnier éditorial, ce sujet qu’on reprend régulièrement pour être dans l’air du temps et se joindre à la complainte des lecteurs. 

Par Michel Barat, ancien recteur de l’académie de Corse 

C’est bien un marronnier mais le marronnier décrit une réalité. Cette réalité du déclin de l’École n’est pas un phénomène récent, cela date depuis trois décennies si ce n’est plus au point qu’il est légitime de se demander si l’École n’est pas devenue l’exutoire de tous les mécontentements d’autant plus qu’on perd le souci du savoir dans notre société de consommation.

Mais si ce déclin vient de loin c’est peut-être parce qu’il n’est que le sombre signe d’un déclin de notre civilisation moderne tardive ou postmoderne. L’École est malade de la société contemporaine alors qu’on voudrait croire en nous fuyant nous-même que c’est notre société qui serait malade de son école. 

Si cela fait longtemps, très longtemps, que cela dure, les médecins qu’auraient dû être les ministres successifs de l’Éducation n’auraient pas su en trouver les remèdes, faute d’en avoir fait ou simplement avoué le diagnostic dont la lecture engage la totalité de notre vie sociale. Pour certains le mal réside dans les méthodes pédagogiques, en particulier d’apprentissage de la lecture : combien de fois entendons-nous dire depuis des années et encore aujourd’hui que c’est la faute de la méthode globale, alors qu’une méthode globale pure n’est quasiment plus utilisée dans les écoles publiques depuis de très longues années. 

Illusion pédagogique 

Remarquons que l’usage de la méthode globale vit le jour pour, à l’époque, pallier les échecs estimés nombreux de la vieille et chère méthode syllabique. Il est vrai que ce fut une grave illusion qui aggrava encore l’échec. Malheureusement, on pourrait affirmer que l’illusion se répéta avec chaque nouvelle initiative. 

Nous sommes confrontés à l’illusion pédagogique qui fit défiler les réformes de l’École sans jamais trouver la bonne. Cette illusion pédagogique s’accéléra avec, sous le gouvernement Jospin, la fin des Écoles Normales et la création des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (IUFM) autour des prétendues sciences de l’éducation, puis par les Écoles Supérieures du Professorat (ESPE), puis encore en 2020 par les Instituts Nationaux Supérieurs du Professorat et de l’Éducation. Cette déclinaison de la succession au rythme rapide des différentes structures de formation des maîtres témoigne qu’il n’y a plus d’institution permanente pour les métiers de l’éducation même se rénovant. En un mot, il en serait fini de la tradition de l’École. On voit tout de suite l’énormité de la difficulté. L’enseignement est d’abord une transmission, il n’est donc possible qu’avec une tradition, une tradition bien entendu évolutive. Les associations d’anciens élèves s’efforcent de le dire avec plus ou moins de succès.

L’inconsistance de l’éphémère 

De 1989 à 2020 trois structures différentes pour former les maîtres, on a assisté à un vrai tricotage de Pénélope. Ce maelström est à l’image de notre modernité tardive qui obéit à la loi de Schumpeter, celle qui démontre que le capitalisme vit des innovations détruisant le plus rapidement possible l’existant pour accélérer la circulation des valeurs, au point qu’il finit, pourrait-on dire, par détruire toute valeur. La cause profonde de l’affaiblissement de l’École est bien ce cyclone d’innovations-destructions qui chasse la vérité de la réalité devenue au mieux virtuelle quand elle n’est pas aussi trompeuse que des fake news, des fausses nouvelles. Cet affaiblissement de l’École va de pair avec celui de la République se dissolvant dans une démocratie aussi molle que Les Montres de Dali. On peut d’ailleurs se demander si le mouvement surréaliste dans les années 1920 n’avait pas anticipé ce que serait notre modernité tardive ou postmodernité. Le rythme des temps contemporains fait que « la destruction créatrice » cesse de l’être pour ne laisser place qu’à l’inconsistance de l’éphémère.

Ainsi la plainte répétitive de l’affaiblissement de l’École, accompagnée généralement d’un dédain et d’un mépris pour le savoir et ceux qui le produisent ou le diffusent, n’est qu’un prétexte pour ne pas voir le déclin d’une civilisation qui fut celle des Lumières et qui devient celle des réseaux sociaux. 

Les critères de la réforme 

Le retour de l’École préparera celui de la République. Notre société n’est donc pas en fait malade de son école mais l’École est vraiment bien malade de la société : il ne pourra pas y avoir de réforme réussie de l’École qui ne soit en même temps une réforme sociale et politique.

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