Renommée internationale

Un antidote aux incendies nommé Goliat 

L’île paie annuellement un lourd tribut aux feux de forêts. Milliers d’hectares ravagés, spectacles de désolation. Populations parfois en danger. Tel un rituel sans cesse recommencé, la saison estivale apporte son lot de dégâts que des chercheurs de l’université de Corse réfutent d’assimiler à la fatalité. Leur réflexion les conduisit à concrétiser une stratégie de prévention, dont l’efficience connaît une renommée internationale. 

Par Jean Poletti

Qui n’a pas en tête les images de flammes destructrices parcourant la végétation, ceinturant des habitations ou provoquant la mort du bétail. Aux préjudices environnementaux s’ajoute la crainte de victimes humaines. Un fléau qui implique la mise en œuvre d’importants moyens de secours, notamment aériens. Ces derniers provoquant fréquemment des polémiques sur leur insuffisance ou leur disponibilité relative. L’importance de ce scénario de cendres est conditionnée à maints égards par les inconnues météorologiques et l’état de la végétation. Que sévisse la sècheresse et la forêt sera ceinturée par un tapis d’amadou. Propice aux alertes rouges. Plus généralement, le dérèglement climatique, qui n’épargne nullement la Corse, aggrave encore les risques qui deviennent une épée de Damoclès sans cesse plus visible. 

Sans verser dans l’explication qui renvoie à l’aménagement du territoire, nul n’infirmera que des évolutions majeures sont le fertile terreau des incendies. Elles s’inscrivent dans deux faits radicalement différents, mais pourtant complémentaires. L’urbanisation galopante souvent ceinturée d’arbres qui génèrent un réel danger pour les habitants. Et en contrepoint, la désertification rurale qui laisse herbes et maquis prospérer dans les campagnes, parfois à proximité des communes. Faut-il rappeler ici la maxime de spécialistes « Une forêt entretenue ne brûle pas. » En toute hypothèse chacun perçoit que d’une année, l’autre, le feu acquiert une dangerosité qui n’existait pas dans une époque encore récente. Certes des foyers étaient à déplorer. Mais désormais aux arbres et sous-bois détruits s’ajoute le spectre des maisons calcinées, parfois la nécessaire mise en sécurité des habitants. Les sauveteurs nomment cela faire la part du feu. En clair, protéger les personnes et les biens en légitime priorité, laissant à contrecœur conifères et feuillus être la proie du sinistre. Sans atténuer l’espace d’un instant le courage et l’efficience de ceux qui prennent des risques sur terre et dans les airs, il est de notoriété de dire que jusqu’à un passé récent, la stratégie privilégiait la lutte à la prévention. Cela valait sous tous les cieux. Et dans ce droit fil impliquait des moyens sans cesse plus nombreux. À telle enseigne que certains n’hésitaient pas à dénoncer ce qu’ils nommaient une industrie du feu. Elle alliait engins spéciaux, et autres produits retardants utilisés sans parcimonie puisque mille quatre cents tonnes sont annuellement larguées en France. Dire que des entreprises n’en tiraient pas partie et verraient d’un bon œil cette manne se tarir équivaut à se ranger dans la catégorie du béotien. 

Nul n’est responsable. Les sauveteurs appliquaient une doctrine globale essentiellement conditionnée par la vision réductrice, laissant l’anticipation à la portion congrue. 

Approche scientifique 

La philosophie change. Une approche nouvelle se profile. Au toujours plus de la logistique réactive se dessine celle qui tend à instaurer une politique qui peut se résumer par l’adage mieux vaut prévenir que guérir.

C’est assurément dans ce creuset que s’inscrit la démarche baptisée Goliat. Il ne s’agit pas d’un ersatz de quelque héros de l’Antiquité, mais simplement d’un acronyme signifiant Groupement d’outils pour la lutte incendie et l’aménagement du territoire. L’université de Corse en est l’initiateur et le chef de file, en symbiose avec le CNRS. 

D’emblée, l’initiative s’apparentait pour certains à une douce utopie de chercheurs enfermés dans leurs laboratoires. Au fil du temps, ces détracteurs furent contraints de revoir leur position, tant ces travaux rencontrèrent une attention pour ne pas dire une renommée internationale. 

Sans verser dans le détail technique disons pour fixer les esprits que le groupe s’accorda sur un constat, en tant que tel, incontournable. En règle générale, l’expertise est basée sur des connaissances empiriques relatives aux anciens feux voire sur des expériences personnelles. Pour schématiser, faisait défaut des éléments d’aide à la décision qui n’inséraient pas le lien permettant de passer des cas particuliers à une équation générale. Rejoints par leurs collègues d’Aix-Marseille, les universitaires insulaires scrutent les incendies, les modélisent et s’évertuent à les prédire. À l’évidence, à bas bruit sans tambours ni trompettes, l’équipe soudée autour des coresponsables Lucile Rossi et Thierry Marcelli emprunte un chemin novateur et à maints égards propice à un écho favorable dans les instances décisionnelles hexagonales et étrangères. 

Simulateurs et géolocalisation 

Ici, nul ne s’y trompa. Les prototypes et innovations présentés aisément utilisables reçurent notamment l’adhésion des deux services départementaux d’incendie et de secours, de l’Office national des forêts, du Parc régional et la société Arobase, agence de création numérique. 

D’ores est déjà, des aides à la décision sont finalisées et d’autres en cours d’achèvement. Dans une vision exhaustive, elles répondent certes aux besoins opérationnels mais également au besoin que de manière générique on nomme la structuration de l’espace. Parmi ces outils figurent en bonne place une base de données associée à un système de visualisation d’informations dédié aux sites parcourus par les sinistres. Un simulateur de comportement et d’impact des feux de végétations. Une géolocalisation des sites à risque à partir d’images prises par drones. Un guide pour les parcours de brûlages dirigés en sous-bois.

Par ailleurs, loin de s’isoler dans une tour d’ivoire, les acteurs de Goliat organisent un grand nombre d’actions de sensibilisation auprès des scolaires, mais aussi du grand public et des élus. 

Au regard des efforts et de la constance déployée, se dessine la volonté de ne plus assimiler une problématique récurrente à la fatalité. Et en corollaire de l’inscrire pleinement dans un fait sociétal. Voilà sans doute la finalité d’où affleure une philosophie d’en finir avec les habituels bilans désastreux, de surfaces transformées en paysages lunaires. En une décennie quelque vingt-deux mille hectares dévastés. Le péril. La désolation. 

Bréviaire des sauveteurs 

Devancer et mieux combattre, telle est la dualité. Elle prit naissance voilà plusieurs années. Et depuis ne cessa de s’étoffer, alimentant des résultats probants à l’aune d’une quête scientifique, soucieuse de vulgarisation afin qu’elle soit disponible et aisément applicable. Ainsi, par exemple fut analysée en temps réel la propagation d’un incendie en regard de sa position et des conditions météorologiques. Cela permis notamment la création du programme DIMZAL, devenu une sorte de bréviaire des sauveteurs quant aux distances de sécurité. Un autre système, nommé Fore Fire, labellise les avancées du front de flammes entre autres les contraintes du relief ou le vent. Ce logiciel est intégré à Google Earth, offrant ainsi aux personnels concernés une aide précieuse dans leurs décisions. Voilà un autre volet de l’apport simple et efficace permettant une gestion rationnelle et en temps réel lors des situations de crise. 

Dire que ce panel d’innovations est salué par l’ensemble des personnes qui de manière directe ou induite ont à combattre les feux relève de l’évidence. Ces données offrent l’avantage d’identifier les surfaces et sites les plus sensibles. Mais également d’organiser avec célérité et efficacité les ripostes. Et l’un des responsables de souligner sans ambages qu’ainsi sont mises en œuvre des infrastructures adaptées dans tout ce qui concerne les zones d’appui.

Ces acquis, déjà utilisés et ayant démontré leur utilité, ne furent pas prétexte pour les initiateurs de se satisfaire de ces lauriers initiaux. « Sans cesse sur le métier, remettons notre ouvrage. » Telle semble être leur maxime. Chercher. Conceptualiser. Améliorer. Enrichir les données. Peaufiner l’existant. Ouvrir d’autres pistes. Voilà leur inlassable labeur. D’ores et déjà, les voilà impliqués dans un ambitieux programme d’envergure européenne. Cette coopération au-delà des frontières a pour finalité l’étude des vulnérabilités des habitations face aux incendies. Du constat aux remèdes, cela permettra à l’évidence de mieux les protéger en cas d’alerte. 

L’Europe conquise 

La ténacité des chercheurs universitaires sera sans doute et si besoin, encore accrue tant en retour ils reçoivent une reconnaissance internationale. Sans ouvrir ici une liste exhaustive, relevons que le projet Goliat fut le mois dernier cité en exemple dans un rapport de la commission européenne. Il intègre et enrichit le dossier intitulé « Wildfire Peer Review Assessment Framework ». Le document porte la marque de Jean-Louis Rossi, qui contribua à son élaboration et apporta ainsi une précieuse contribution, unanimement reconnue par l’ensemble des participants. Toujours au début juin, un symposium qui se tint en Caserta, en Italie, mit à l’honneur ce projet. 

Faisant en quelque sorte feu de tout bois, l’unité mixte de recherche Lisa, placée sous l’autorité conjointe du CNRS et de l’Università Pasquale Paoli organisa dans ses murs un colloque ayant pour thème central « Histoire des feux, feux dans l’histoire ». Ainsi un auditoire concerné, mais également des représentants de la société civile et des représentants de la collectivité purent s’informer ou parfaire leurs connaissances sur une problématique. Tout à la fois prégnante et relativement inconnue.

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