Les copains et les coquins

Edito

Par Jean Poletti

Alexandre Benalla est passée de la rubrique fait-divers a une affaire d’Etat. L’homme qui molesta en toute illégalité des manifestants, devient le symbole de l’opacité organisationnelle des allées du pouvoir. Celui qui se faisait appeler Mars, en résonnance avec son patron Jupiter, avait la fâcheuse propension à se prendre pour Kevin Costner dans le film bodyguard. Sauf que dans son cas il ne s’agissait pas de fiction mais de réalité. Le scenario est radicalement différent et les critiques ne sont pas cinématographiques mais juridiques. Certes l’opposition s’infiltre dans cette brèche, pour fragiliser davantage encore un président en chute libre dans les études d’opinion. Bien sûr les puristes, sincères ou de circonstance, se drapent dans le costume républicain pour flétrir le microcosme Elyséen.

Mais au-delà des cris d’orfraie, se dessine en toile de fond des pratiques opaques qui ne sont pas l’exception au cœur de l’Etat. Faut-il ici rappeler l’enlèvement en plein Paris de l’opposant Marocain Ben Barka par des barbouzes en service commandé ? Et lorsque des journalistes questionnèrent de Gaulle sa réponse tomba tel un couperet « Je n’étais pas au courant. » Et d’ajouter a la presse sceptique : «Mettez cela sur le compte de mon inexpérience » ! Est-il opportun de rouvrir les archives des Irlandais de Vincennes, et les preuves fabriquées par l’entourage présidentiel ? Doit-on ressasser plus que de raison l’épisode baptisé les écoutes de l’Elysée ? Epiloguer sur la noyade d’un ministre dans vingt centimètres d’eau ? Ou de tel autre assassiné à coups de 11,43, officiellement par un automobiliste irascible ? Sans parler de tel responsable des services de l’armement qui s’opposait à certaines ventes et passa sous les rails du métro ?

Loin de la Corse tous ces mystères ? Nullement. Lors de l’exécution du préfet Claude Erignac, des investigations ciblèrent jusqu’à l’outrance la piste agricole. Contre vents et marées, au mépris des révélations successives, tels hauts responsables de la lutte antiterroriste ne voulaient pas en démordre. Mathieu Filidori, Gérard Serpentini, et d’autres furent mis en examen, dans ce qu’il convient d’appeler une machination. Et des enquêteurs avouèrent qu’ils avaient eux-mêmes placés des explosifs aux domiciles des faux coupables pour nourrir le dossier d’accusation.

Doit-on oublier la fameuse conférence de presse dite clandestine de Tralonca, qui se déroula avec l’accord tacite de la Place Beauvau. Et cerise sur le gâteau, dès le lendemain le ministre de l’intérieur vint à Ajaccio répondre dans le détail aux revendications des séparatistes. Ce qui fit dire, non sans malice, à Jean-Paul de Rocca-Serra «  c’est de la prémonition».

Dans cette liste non exhaustive des mensonges d’Etat figure en bonne place le crash de la Caravelle Ajaccio-Nice qui engloutit dans les flots quatre-vingt-dix-huit personnes. Un demi-siècle après les autorités rechignent à lever le fameux secret défense demandé à cors et à cris par les proches des victimes. Pourquoi ? La question porte en elle sa réponse, aisée a formaliser.

L’histoire serait-il pour les princes qui nous gouvernent un éternel recommencement ? Osons ne pas y croire. Même si l’actualité est parfois rejointe par le passé. A preuve le débat sur les paillotes. Sans verser dans le jugement de valeur qui infirmerait qu’une solution pérenne et équilibrée rencontrerait moins d’obstacles psychologiques si un certain Bernard Bonnet n’avait décidé de jouer les pyromanes au risque d’embraser toute l’ile ?

Le temps polit les mémoires. Et nul ne tire les leçons des foucades de certains puissants qui foulent au pied les libertés publiques. L’impunité est le terreau malsain sur lequel pousse régulièrement les fleurs du mal. La tentation, selon le mot de Jacques Duclos, de former une caste de copains et de coquins.

Brisons cette énumération par une citation de Nietzsche «on commande à qui ne sait pas s’obéir a lui-même. » N’est-ce pas précepte qui renvoie à l’insigne trilogie Liberté égalité fraternité?

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