Les beaux jours reviendront…

EDITO

Par Jean Poletti

La Corse n’en finit plus de geindre et se lamenter. Entre confinements et couvre-feu, espérance et désillusions, elle s’engonce dans une léthargie à l’image des régions de France et de Navarre. L’insularité aurait dû être une protection géographique. Elle fut battue en brèche par l’absence initiale de réels contrôles sanitaires. Et la conscience toute relative du réel danger. Le temps des polémiques ne doit pas avoir voix au chapitre. Mais dire que durant la saison estivale les visiteurs entraient chez nous à leur guise relève de l’implacable évidence. Dans le même temps, trop nombreux furent chez nous les habitants qui, sans être véritablement réfractaires aux contraintes, les appliquaient fréquemment avec dilettantisme. Ces facteurs, aggravés par une doctrine gouvernementale aléatoire et les réactions locales, se conjuguèrent pour décupler une propagation virale qui s’apparente au désastre sociétal. Chez nous plus qu’ailleurs sans doute, la situation a la fragilité du cristal, reflet d’une dualité trop souvent relativisée. D’abord, la faiblesse structurelle de l’offre hospitalière et la modicité des services de réanimation. Ensuite l’importance d’une population âgée, cible prioritaire du virus. Cela renvoie, ici plus qu’ailleurs, à la débâcle de la politique publique de soins, qui fut au long des années amputée au nom de la rentabilité et les économies d’échelle. Il eut fallu inverser le précepte du libéralisme et dire : la santé a un coût mais elle n’a pas de prix. Est-il normal par ailleurs que la Corse soit la seule région encore privée d’un Centre hospitalier universitaire ? En ces temps incertains, il aurait eu l’insigne avantage de coordonner, optimiser et territorialiser la stratégie médicale. Cette création réclamée à cors et à cris laisse étrangement dans une totale anesthésie les autorités concernées. Dans le même temps et en chassant de l’esprit toute acrimonie, il paraît opportun de rappeler la volée de bois… vert que reçut l’idée de Gilles Simeoni d’instaurer le « green pass ». Voué aux gémonies par le ministre Olivier Véran, et nombre de réactions locales. Certes, il est aisé rétrospectivement de jouer les censeurs. Mais entre les philippiques et le fatalisme béat existe sans doute le chemin de l’examen de conscience. Individuel et collectif. Il passe par une appréciation moins factuelle et corporatiste de la situation. Et le constat d’un plateau thérapeutique insuffisant. Voilà deux raisons cartésiennes qui auraient dû privilégier dans les cœurs et les esprits l’idée magistrale que nous n’avions pas le droit à l’erreur. Et flétrir en incidence les propos officiels erratiques, dévolus à dissimuler au grand public de coupables carences. Ou ceux, par exemple, du secrétaire d’État au tourisme, annonçant en toute irresponsabilité que rien n’interdisait de partir tranquillement en vacances pour les fêtes de la Toussaint ! D’autant que cette fois, il faudra faire litière d’éventuelles évacuations d’envergure de patients sur le continent. Car tous les sites hospitaliers risquent d’être saturés. L’opération Tonnerre ne pourra sans doute pas être rééditée. À l’exception de transferts marginaux, dictées par l’extrême urgence, il faudra exclusivement compter sur notre propre logistique que l’on sait étriquée. Et s’en remettre une fois encore au dévouement sans faille du personnel soignant, déjà exténué par la première vague.

Les ombres au tableau sont multiples et d’intensités similaires. Elles dessinent encore un avenir incertain. En riposte à cette adversité qui rejaillit sur notre psychologie, Paul Valéry susurre à nos oreilles « Le vent se lève… ! Il faut tenter de vivre ! » L’essentiel étant de recouvrer l’espoir dans une démarche volontariste ou le pire ne serait pas sûr. Dans cette épreuve qui touche ruraux et urbains, villes peuplées et villages désertiques, un front uni est non seulement souhaitable mais nécessaire. Se protéger soi-même et préserver autrui. Respecter plus que jamais les mesures de distanciation et porter le masque. Ne pas baisser la garde à la moindre embellie. De salutaires rappels qui reviennent en leitmotiv, presque jusqu’à saturation. Mais qui pour l’heure sont les seuls connus afin de tenter d’éviter d’être admis sur des lits de douleur. Ou pis encore d’égrener au fil des jours un macabre décompte.

Sortir de cette longue nuit et restaurer notre île, clouée au pilori par ce que Pascal nommait l’infiniment petit. L’implacable virus, que s’efforce de juguler la science de l’homme, nous renvoie collectivement à cette humilité. Trop rapidement chassée de notre esprit. Pourtant, comme l’affirme Maurice Carême dans Le printemps reviendra, sorte de Germinal qui, chez nous et sous d’autres cieux, chassera enfin le morbide adversaire. Il sera temps alors de panser nos plaies, médicales, économiques, sociales et comportementales. Et pouvoir dire avec Samuel Beckett Oh les beaux jours.

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