L’épée de Damoclès

L’édito de Jean Poletti

Nos penseurs seraient-ils en panne d’imagination ? Celle que Bergson qualifiait de créative ploie et s’effondre laissant affleurer les préceptes de la Grèce antique. Ainsi les évolutions du virus puisent leurs appellations dans l’alphabet de Socrate et Platon. La liste s’allonge comme les interminables discussions sur l’Agora. Voilà qui revisite de façon originale le pays qui fut le berceau de la démocratie. Mais nul n’objectera que le béotien, confronté à ces symboles peu courants, a de quoi perdre son latin. Les dénominations successives s’apparentent à quelque course à l’échalote. Une sorte de compétition où l’intrigant Alpha laisse sa place au redoutable Delta, lui-même concurrencé par le sournois Epsilon. La liste n’est nullement close. Et les initiateurs ancrés dans leurs choix ne sont vraisemblablement pas disposés à changer d’un iota. Pourtant à ce rythme effréné les limites des vingt-quatre lettres seront bientôt atteintes. Le quota est d’ores et déjà bien entamé. Et comme il ne s’agit pas d’un tonneau des Danaïdes, la source risque de se tarir. Faudra-t-il alors que nos baptiseurs en appellent aux dieux de l’Olympe pour trouver d’autres sigles. Par Zeus, Hermès et Aphrodite, que vont-ils nous sortir du chapeau, qu’en grec ancien, cela ne s’invente pas, on nomme pétase ? Les chiffres, inventés par les Arabes ? Des signes cabalistiques puisés dans la tradition mystique juive ? 

Ce florilège de dénominations en ferait presque oublier l’épée, bien évidemment de Damoclès, qui plane sur nos têtes. Il mettrait à maints égards sous l’éteignoir les coupables assertions d’un pouvoir naviguant à vue, fertiles en rebondissements, à l’image de l’Iliade et l’Odyssée. Masques qualifiés d’emblée d’inutiles, vaccinations des jeunes inopportunes, absence de doses lors du lancement de la campagne, déconfinement à l’emporte-pièce. À cela s’ajoutaient des stratégies de communication nébuleuses et sans l’esquisse de l’ombre de l’élémentaire pédagogie, qui fonde la responsabilisation citoyenne et partant l’adhésion. Changement de ton. Alerte rouge. Décisions couperet. Oubliés les fanfaronnades d’un Premier ministre, depuis contraint à l’assourdissant silence. Dans cette guerre contre l’invisible ennemi, la France affichait un handicap majeur. Elle ne brillait pas au firmament des populations vaccinées. Dernière des nations européennes. À mille lieues de la fameuse immunité collective, que seules procurent les injections d’antidote. Pourquoi un tel retard ? Serions-nous, comme l’annonça naguère la voix élyséenne, un pays réfractaire ? Écume des choses. Propos de café du commerce. Les raisons objectives résidaient dans les atermoiements d’un état-major qui décréta la guerre sans moyens logistiques ni doctrine claire. Ce panel de carences et d’hésitations, conjugué avec les lisières du mensonge, ouvrit une brèche dans laquelle s’engouffrèrent les complotistes patentés ou de circonstance. Plus éloquent encore, la tolérance envers ceux qui dans le valeureux univers médical s’obstinaient à ne pas déceler l’incongruité d’accueillir des patients sans être immunisés. Au secours Hippocrate ! Et s’agissant de la Corse, faut-il remuer l’aiguille dans la plaie en rappelant le véto gouvernemental à l’instauration du « green pass » proposé par Gilles Simeoni ? Depuis, nécessité faisant loi, une telle mesure fut validée par maints pays et adoubée, toute honte bue, par le ministre de la Santé ! Ainsi, ce qui relevait de la chimère chez nous, s’avérait excellente et bénéfique quand elle était initiée sous d’autres cieux. 

Dans ces circonstances, qui laissent affleurer de nouveau le spectre des drames, il serait inopportun de crier haro sur le baudet. En cette rentrée, à nulle autre pareille, les moyens de lutte contre la pandémie ont la fragilité du cristal. Aussi, convient-il de mettre toutes les chances de notre côté. Fut-ce en employant des moyens coercitifs. Car comme le disait opportunément Nietzsche : « On commande à celui qui ne peut s’obéir à lui-même. » Nous sommes loin des préceptes de tolérance et de démocratie directe en vigueur dans l’antique Athènes ? Sans doute. Mais sans verser dans la grandiloquence, osons rappeler en contrepoint qu’en son article quatre, la déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen stipule que La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Et sauf à faire preuve de cécité intellectuelle, éthique ou morale, dire non à la vaccination illustre un tel empiètement. Au risque d’insister plus que de raison, le simple bon sens incite à marteler que faute d’avoir tenu d’emblée ce langage et en surfant sur l’indécision, les comités Théodule et surtout la puissance étatique ont favorisé l’émergence d’un front du refus. Comme si le fameux concept du vivre-ensemble, usé jusqu’à la corde, leur avait cette fois brûlé les lèvres. Stupéfiant ? Ou plus inquiétant, ùn sapè truvà un boie ind’un aghja ! Si tel était le cas, rien n’interdirait de clamer sous l’air du sirtaki, allez-vous faire voir… chez les Grecs ?

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