Le spécialiste

Aucun sport mécanique ne lui résiste mais c’est en moto que Bruno Langlois repousse toujours un peu plus ses limites. Des sommets rocheux de Pikes Peak au circuit Paul Ricard du Castellet, l’Ajaccien n’a qu’un seul moteur : l’adrénaline.

Propos recueillis par Caroline Ettori

 

Comment êtes-vous venu à la moto ?
C’est une passion d’enfance. Je suis passé du vélo à la mobylette puis à la moto en étant très tôt, très attiré par la vitesse. J’ai fait ma première course à l’âge de 16 ans. C’était une course de cross à Casatorra mais je n’étais pas vraiment doué pour cette discipline. Dès que j’ai mis les roues sur le bitume, j’ai compris que c’était ce que j’aimais. Et c’était parti pour la vie ; 2018 est ma 40e année de course !

Votre passion pour la moto a également été façonnée par un film…

J’avais 11, 12 ans lorsque j’ai vu pour la première fois le film (Challenge One en France ndlr) avec Steve McQueen et d’autres pilotes américains. Pour moi, cela a agi comme une révélation. J’aimais déjà bien sûr les courses, j’aimais aussi les ambiances de bandes de copains, le côté convivial de la moto, l’idée de partir pour de grosses balades… Tout était là, dans ce film. Quelques années plus tard, à l’occasion d’une de mes participations à Pikes Peak dans le Colorado, la plus grande course de côte du monde, la deuxième plus importante des États-Unis après Indianapolis, j’ai pu figurer dans On Any Sunday : The Next Chapter, la suite de On Any Sunday. C’était furtif, on me voit à peine démarrer et partir. Mais quel bonheur et quelle chance d’apparaître d’une certaine manière dans le film qui a été le déclencheur de ma passion.

Avant la consécration à Pikes Peak, vous avez gravi toutes les marches de la compétition moto… mais pas seulement.
J’ai commencé par des petites courses de côte en Corse. J’ai été champion de Corse, puis champion de France et j’ai basculé sur le circuit. C’est vrai- ment ça qui me plaisait. J’ai été vice-champion de France en 350, champion de France en 750, classé dans les 5 premiers au championnat du monde d’endurance. Pendant quatre ans, j’ai été pilote officiel Honda en endurance. Je me suis bien
amusé ! Après m’être fait « un peu » mal, j’ai dû lever le pied… Mais le démon de la compétition n’a jamais cessé de me tirailler. Je suis donc parti faire des courses de jet ski, du championnat de Corse au championnat du monde où j’ai fini dans les 10 premiers. Puis j’ai participé à tous les rallyes auto en Corse durant huit ans. Cela doit représenter 60 courses. J’ai repris la moto à 50 ans avec les copains pour rigoler. J’ai recommencé à gagner, et nous voilà ! Rapidement sur le circuit, un ami pilote italien, Romano Laghi, m’a conseillé de participer à la course de Pikes Peak, il a été bien inspiré…

Depuis votre retour sur les circuits après vingt ans d’absence, les sensations sont forcément différentes…

C’est mon ancien coéquipier, Pascal Guigou qui n’a plus l’usage de ses jambes, qui m’a demandé de participer aux 24 Heures du Mans pour lui avec le club Honda. J’ai fait ça par amitié. C’est ce qui m’a redonné le goût de la moto. Si à 30 ans je courais pour faire carrière, à 50 ans, c’est juste pour le plaisir. On rencontre des gens passionnés et passionnants, on voyage… Sans pour autant se passer de l’adrénaline que donne le chrono. C’est ma drogue. Elle me transforme et me fait me dépasser. C’est inexplicable. Mais attention, ça reste un sport dangereux. En six ans, je me suis quand même cassé le bras, le poignet, les deux épaules, un pied… C’est ça, aussi, la moto. C’est important de le dire.

Depuis votre retour, vous avez également signé le plus beau palmarès de Pikes Peak avec 6 participa- tions, 5 podiums dont 2 victoires dont celle du centenaire en 2016…

Je n’y avais jamais pensé jusqu’à ce que Romano Laghi m’encourage. Je me suis dit qu’à 50 ans, c’était le moment ou jamais de le faire. N’étant ni coureur professionnel ni riche, m’aligner au départ de cette course, c’était déjà une course avant la course. Je suis parti tout seul aux États- Unis avec ma moto, j’ai loué un pick-up à Denver, direction Colorado Springs. C’était vrai- ment l’aventure avec un grand A et un anglais… scolaire. Mais lorsque vous êtes seul, à l’étranger, les gens n’ont pas peur et viennent vers vous. Je me suis fait des amis formidables qui m’accueillent depuis de manière incroyable.

Qu’est-ce qui fait que Pikes Peak est si particulier ?

C’est « la montée dans les nuages », une course de côte qui démarre à 3 000 mètres et finit à 4 300 mètres sur 20 kilomètres et 156 virages. Tous les gestes que je fais en course, je les ai pensé, il n’y a pas de hasard. Je connais les bosses, les trous, là où il faut aller ou pas.

Vous arrive-t-il d’avoir peur ?
Même si on dit qu’on n’a pas peur, quelque chose fait qu’on en tient compte. J’aime la moto mais je ne suis pas fou. Je fais ce qu’il faut pour éviter le pire. En 2016, l’année du centenaire et de ma deuxième victoire, une marmotte a traversé juste devant moi. J’ai pu l’éviter mais si j’étais tombé à cet endroit-là, c’était fini. Ma fréquence cardiaque est montée de 130 à 180 en une fraction de seconde.

Pas de Pikes Peak cette année mais vous participez à l’European Endurance Legend Cup…

C’est un championnat d’Europe d’endurance classique qui se court avec d’anciennes motos d’usine des années 80 toilettées pour la compétition. On est dans les 280 km/h, les courses durent 4 heures, entre 20 heures et minuit. Le plateau est très relevé, on retrouve des champions du monde de l’époque. Avec mon coéquipier, Christian Haquin, nous roulons sur Kawazaki préparée par Godier Genoud. Nous avons fini sur le podium, roue dans roue avec les seconds à la Sunday Ride Classic au Castellet, circuit Paul Ricard le 24 mars dernier. En mai, nous serons au Donington Park près de Manchester et en juin, au Speedweek d’Oschersleben en Allemagne et à Spa Francorchamps en Belgique.

Quelle course vous fait encore rêver ?
Le Bol d’Or, j’y ai participé à sept reprises et six fois aux 24 Heures du Mans. Le Bol d’Or, ce serait bien…

..De quel trophée êtes-vous le plus fier ?
Fierté, je ne sais pas mais je suis très heureux d’avoir été élu meilleur sportif corse en 1991, l’année où j’ai remporté le championnat de France de moto et fini 5e aux 24 Heures du Mans et au Bol d’Or, et d’avoir été distingué de nouveau en 2013 pour ma première victoire à Pikes Peak. Ça prouve qu’on peut traverser la vie en étant toujours performant grâce à sa passion. C’est quelque chose que j’ai envie de transmettre aux plus jeunes.

Quelle place la moto occupe-t-elle en Corse ?
En Corse, il y a le football et les sports mécaniques. La Corse a toujours eu de très bons pilotes moto. Je pense à Christophe Charlier qui réalise actuellement des performances exceptionnelles en cross. Pour ma part, j’ai toujours été licencié en Corse, je suis au JMP Racing avec Jean-Mathieu Padovani qui va organiser l’étape insulaire du Tour de France moto en juin, et je porte le numéro 20 depuis 30 ans. Pourtant, la Corse est la seule région qui n’a pas de circuit. Nous pourrions penser à un pôle mécanique évolutif avec des préparateurs, des manufacturiers, des loueurs, des formateurs, il y a tant de passionnés qui pourraient l’utiliser… Ce serait merveilleux. Et je ne parle pas des jeunes que je vois rouler trop vite. S’ils étaient encadrés, accompagnés, ils seraient peut-être plus tranquilles sur la route.

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