Le dividende, les salaires et le dividende salarié

Par Sébastien Ristori, analyste financier, directeur du groupe Barnes Corse, professeur de finance à l’Université de Corse, auteur et directeur de collection aux éditions Ellipses.

En 2022, Emmanuel Macron a émis le souhait de mettre en œuvre un « dividende salarié ». Cette idée fait déjà sens : les résultats brillants de plusieurs sociétés cotées, et la distribution exceptionnelle de dividendes à l’instar de notre fleuron LVMH, ont donné lieu à de multiples attaques en règle des syndicats des travailleurs et de certaines branches politiques pour dénoncer « l’absence de partage des richesses » entre les travailleurs et les actionnaires. Voici quelques éléments de réflexions !

Le dividende

Pour percevoir un dividende, encore faut-il être actionnaire ! Un actionnaire est une personne physique ou morale qui détient un certain nombre d’actions dans une entreprise. Le dividende est un détachement de liquidité sur les résultats de l’entreprise. L’actionnaire perçoit un dividende sur la base des résultats restants à l’entreprise après déduction de l’ensemble des revenus salariaux. L’assemblée générale des actionnaires de l’entreprise décide du versement d’un dividende par action à l’ensemble des actionnaires. Un « taux de distribution » est appliqué au bénéfice net par action pour estimer le montant à verser aux investisseurs. Bien évidemment, plus une personne détient d’action, plus elle obtiendra une somme élevée en retour.

Le dividende ne rémunère pas un travail

Le dividende n’enrichit pas un actionnaire. Ce propos qui fait bondir ceux qui n’ont jamais suivi un cours de finance peut être vérifié à l’œil nu : à chaque versement de dividende, le cours de l’action chute du même montant. Autrement dit, le détenteur d’une action d’une valeur de 90 euros qui recevrait un dividende de 7 euros disposera alors de 7 euros de liquidité sur son compte bancaire et d’une action d’une valeur de 83 euros. Sa richesse globale est inchangée (83 + 7 = 90). C’est un transfert de valeur. La création de valeur s’obtient sur la valeur globale de l’entreprise, c’est-à-dire sur la capacité d’une société à obtenir des rentabilités largement au-dessus des rentabilités exigées sur le marché. Les flux de trésorerie sont donc excédentaires ! L’actionnaire court à plein le risque de l’entreprise et la valeur de son titre de propriété –l’action – fluctue au gré des performances de la société. Ces performances sont modélisées dans un calcul de flux de trésorerie prévisionnels. 

La valeur de l’action n’est donc pas garantie à vie ! Un quidam qui possédait en janvier 2022 une action Orpea à 88€ et qui se serait endormi toute une année se réveillerait en janvier 2023 avec une action qui cote à 6,8€*. Ainsi, le dividende est une maigre consolation en liquide pour transférer un peu de la valeur perçue dans son porte-monnaie. L’actionnaire court plusieurs risques : celui de l’activité économique et celui de la structure financière de l’entreprise (l’endettement).

Beaucoup d’économistes viennent pointer du doigt que les actionnaires préfèrent verser des dividendes que de réinvestir dans l’outil productif ou dans le capital humain. D’abord, le versement du dividende est un signal au marché : Il informe de la santé financière de l’entreprise et il permet de restituer un peu de création de valeur sous la forme de liquidité. Prenons l’exemple de LVMH dont la valeur de l’action est de 800€. La société va verser un dividende de 12€ par action… soit un taux d’intérêt de 1,5% de la valeur. Avec cet angle de vue, même le livret A rémunère désormais mieux son détenteur, avec un taux de 3%, pour une prise de risque nulle, puisque la valeur du placement ne chute pas. Un actionnaire serait donc bien sot de faire du dividende une rémunération. Ensuite, sachant que l’actionnaire peut faire croître la valeur de l’entreprise qu’à la condition de performances long terme, il choisira de privilégier l’affectation des liquidités à l’investissement productif plutôt qu’au dividende à outrance.

Autrement dit, si l’on fait du dividende l’outil d’enrichissement de l’actionnaire, c’est ne rien comprendre. En prenant cet angle d’attaque, les détracteurs du dividende mélangent tout : un actionnaire n’est pas un puits sans fond, il a besoin de se voir restituer de l’argent pour lui-même et pour le réinjecter dans d’autres projets d’investissement.

Le salaire rémunère le travail

Selon les données de la DARES**, l’intéressement et la participation ont grimpé de 34% entre 2006 et 2019. En tenant compte des abondements dans les plans d’épargnes entreprises et les plans d’épargne retraite, soit une augmentation de près de 38% sur la même période, pour près de 20 255M€ en 2019 pour 7,2M de personnes (50% des salariés), ce qui équivaut à 2 660 euros par salarié par an. Ces dispositifs sont-ils suffisants ? Les réponses sont partagées. Pour une partie des syndicats patronaux, le dividende rémunère le risque et le salaire rémunère un travail. La rémunération salariale est basée sur la valeur ajoutée de l’entreprise***. L’intéressement et la participation – obligatoires pour les entreprises de plus de 50 salariés –peuvent faire l’objet d’accord d’entreprise pour les TPE. Elles sont déductibles du résultat courant. La rémunération salariale est traditionnellement liée aux primes sur objectifs et augmentation de salaire. Elle peut être complétée de la prime de partage de la valeur (anciennement prime Macron). Toutefois, l’ensemble des dispositifs apparaissent insuffisants au regard des conditions de rémunération de certaines catégories de travailleurs.

Le « dividende salarié » est-il une solution pour répondre au besoin de partage de la valeur ?

Le terme de « dividende salarié » est dès lors impropre puisqu’un dividende n’est pas une rémunération. Le salarié n’est pas propriétaire de l’entreprise. La naissance d’une nouvelle rémunération a bien évidemment du sens dans le contexte sociétal et de progrès actuel où la participation de l’ensemble des parties prenantes à la création de valeur doit être rémunérée. Plusieurs solutions sont envisageables par le gouvernement : la création d’une super participation dès lors que les dividendes versés des 5 dernières années sont supérieures de 20% en moyenne ;  repenser l’intéressement et la participation, en liant la prime de partage sur la valeur sur les résultats opérationnels de l’entreprise. Ces dispositifs pourraient en effet mieux rémunérer la contribution effective des uns et des autres. Toutefois, si l’on souhaite rester conforme aux théories financières et à l’égalité actionnaire – salarié, il n’y a qu’un pas à franchir : la souscription d’action. Le salarié actionnaire qui serait rémunéré en actions gratuites dans son entreprise aurait alors le mérite de corréler la valeur de son action aux performances de la société. Il toucherait les dividendes comme l’ensemble des actionnaires, mais il serait soumis au même risque de la valeur. Par ailleurs, il devrait à son tour diversifier son portefeuille (et ne pas mettre tous les œufs dans le même panier… en cas de faillite, perdre son emploi et observer la disparition de la valeur de ses actions fait beaucoup en une seule fois !). Il existe de beaux exemples : en 2014, les salariés de La Redoute étaient invités à participer à la restructuration de l’entreprise en achetant des actions. Des actions dont la valeur à l’occasion du rachat en 2023 a bondi jusqu’à 625 fois la valeur d’acquisition… Un actionnaire salarié qui a placé tout juste 160 euros par action en 2014 a de quoi être heureux en ce début d’année !

*La restructuration financière de Orpea a conduit à une conversion de dettes en capitaux propres. Les projections de flux de trésorerie instantanée malgré les flux de trésorerie n’ont pas permis de calculer un prix qui laisse entrevoir de belles perspectives pour la société. L’actionnaire prend le risque.

**DARES : Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques.

***La valeur ajoutée est calculée comme la différence entre le chiffre d’affaires de l’entreprise et les dépenses d’exploitation courante telles que les achats de matières et de marchandises des produits vendus et des charges externes de l’entreprise.

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