La méthode Coué 

Par Jean Poletti

C’est nouveau. Ça vient de sortir ! Bercy n’a plus comme référence les grands économistes, fussent-ils libéraux. Aux orties Keynes, Smith et consorts. Marx, n’en parlons pas. Place à des assertions puisées dans l’illusoire qui prennent rang d’évidences. Pour ne pas dire de vérité révélée. La méthode Coué est érigée au rang de doctrine. Bruno Le Maire en est l’illustre porte-parole, aux confins du thuriféraire patenté. L’illustration de son ralliement tient dans un seul de ses slogans. « Il n’y aura pas de mars rouge. » Alors que l’inflation s’élève pour atteindre des sommets inégalés, le grand argentier de la France joue les alchimistes de circonstance en professant qu’il peut transformer le vil plomb en or. Nier à ce point l’évidence s’apparenterait au vaudeville si la situation ne s’avérait pas critique. Certes, les hausses des prix ne seront pas brutales comme un coup de maillet. Bien sûr qu’elles seront lissées dans le temps. Mais il ne s’agit finalement que d’un étalement de la peine pour les consommateurs. En épilogue, la facture devra être acquittée. Et tandis que la population s’apprête à vivre des lendemains qui déchantent, le ministre veut faire passer ses arguties pour de l’argent comptant. Courteline ressuscité. Alphonse Allais aussi. L’un évoquait les ronds de cuir coupés des réalités. L’autre voulait transférer les villes à la campagne. Et voici qu’émerge un curieux disciple de l’improbable, mué en champion de l’absurdité. La folle valse des étiquettes qui projette l’ombre de la récession ne paraît nullement spirale suffisante pour instiller le parler-vrai aux accents pragmatiques. La messe est dite et si le peuple risque de boire le calice jusqu’à la lie, l’oracle persiste dans son sermon. En forçant quelque peu le trait on pourrait l’assimiler au célèbre « tout va très bien madame la marquise ». Nous n’allons pas remuer le couteau dans la plaie. Toutefois le citoyen instruit par le prix n’accepte pas que l’on tente de travestir le cauchemar qui s’annonce en le saupoudrant de faux rêves. 

Bruno Le Maire se garda bien de s’impliquer dans le contestable projet des retraites. Sans doute pour ne pas écorner son image de présidentiable, il laissa ses collègues Dussopt, Attal et accessoirement son ennemie intime de Matignon se dépêtrer dans un dossier, où l’amateurisme le disputait au clair-obscur. Il est vrai que ceux-là n’ayant aucune velléité présidentielle peuvent bien se brûler les ailes en service commandé. Aussi l’interrogation est de mise sur les saillies du pensionnaire de Bercy. Quelle mouche le piqua pour qu’il joue les augures au mépris de l’élémentaire évidence ? Dans les allées du pouvoir, il est des mystères aussi insondables que les profondeurs abyssales. Mais en l’occurrence nous ne sommes pas dans un épisode à la Cousteau et encore moins dans un univers martien sinon jupitérien. La situation est tout simplement terrestre et pour tout dire hexagonale. Mais alors que la population attentait vraisemblablement une réponse politique et sociétale, le responsable des cordons de la bourse nous asséna une théorie qui défie l’entendement et insulte les certitudes. Dans un souci d’équité allons jusqu’à entendre le précepte de Bruno Le Maire. Concédons même, pour faire œuvre magnanime que les trente jours écoulés sans être roses pour le panier de la ménagère ne furent pas forcément écarlates. Cela occulte-t-il pour autant la problématique ? Nullement. Tout au plus est-ce reculer pour mieux sauter dans le marasme. Au-delà des comptes d’apothicaires un fait émerge. En tant que tel incontournable. Aux quelque dix pour cent de hausse des prix, s’en ajouteront quinze autres qui interviendront au fil des semaines. Le douloureux résultat tient en un seul chiffre validé par de nombreux spécialistes. Vingt-cinq pour cent d’augmentations. Lourde facture. Trop pesante pour une majorité qui déjà ne parvient plus à faire face aux dépenses contraintes. Et doit opérer des choix drastiques. Telle est la réalité. Sans fards. Dans sa cruelle vérité. Aussi en ces temps incertains les artifices de communication, aux formules illusoires, ne devraient pas être le vain palliatif à la vacuité des remèdes. Sauf à vouloir faire ployer la franchise sous le joug des désirs. Finalement d’une situation, l’autre, le gouvernement joue une partition aux multiples dissonances consistant à infantiliser, culpabiliser ou faire prendre des vessies pour des lanternes. Comme disait de Gaulle « c’est par gros temps que se révèlent les bons capitaines », ajoutant caustique que « certains feraient mieux de rester au port ». La maxime se veut d’actualité. Elle vaut mieux que l’incantation au parfum de balivernes. Voire les bras d’honneur d’une éminence ministérielle à l’Assemblée nationale. 

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