L’affari so in francese

Au milieu du gué. Telle est l’actuelle position précaire de la Corse. Le processus institutionnel qui s’effiloche paraît élargir les brèches d’une situation délétère. Un blocage qui remet sur l’avant-scène turpitudes et exactions mises sous le boisseau lors des discussions sur une plausible autonomie. Réveil brutal. Réalité criante. Menaces, prévarications, incendies criminels. Telle est la triste réalité qui nourrit les éventuelles manipulations pouvant forger des drames. 

Par Jean Poletti

Viendra. Viendra pas ? Régulièrement les atermoiements de Darmanin alimentent un feuilleton digne de la Comedia dell’arte. Comme si cela était d’une singulière importance. On sait pertinemment que de tels déplacements sont fréquemment poudre aux yeux, sans une authentique volonté politique d’aboutir. Sauf à honorer un rituel médiatique, nul besoin de fouler régulièrement notre sol pour ciseler un dossier. Pis encore, la Corse en a soupé de ces visites officielles riches en annonces qui ne valent que le temps d’un discours. 

Le pensionnaire de Beauvau, si prolixe au lendemain d’une colère juvénile liée à la tragédie de la prison d’Arles, semble avoir révisé sa copie. Sans doute eut-il rétrospectivement le sentiment d’avoir d’emblée mit la charrue avant les bœufs. Bref, d’être allé trop loin en terrain miné. Simple supputation ? Nul n’en disconvient. Cependant, mettre systématiquement en avant les turbulences pour repousser une venue peut tout autant être l’arbre de l’excuse qui cache la forêt du recul. Que l’on sache, Jospin ne mit pas à l’époque sa démarche corse en parenthèse, même si à l’époque le climat n’était pas d’une angélique douceur. Précédemment, qui oserait affirmer que les statuts Defferre et Joxe s’élaborèrent dans la quiétude d’un soir d’été ? 

Est-ce à dire qu’alors existait une réelle perception de la spécificité ? Osera-t-on suggérer qu’alors ces trois ministres avaient au creux de l’oreille cette adresse de François Mitterrand « Corses, soyez vous-mêmes. » Ou encore que « le particularisme insulaire peut et doit être reconnu dans les faits et en droit ». 

L’obscure clarté

En tout état de cause, la valse-hésitation de Gérald Darmanin a enrayé le choc de son effet d’annonce. D’aucuns ici entrevoyaient un remède pour solde de tout compte. D’autres disaient en termes explicites ou voilés le refus d’une autonomie. Certains, enfin, livraient leur scepticisme sur un concept vide de contenu et sans sérier les pourtours et attributs. 

Se contenter de l’écume des choses, équivaudrait à faire table rase d’une problématique qui court sur plusieurs décennies. L’analyse factuelle qui prévaut occulte le long chemin d’une idée décentralisatrice qui, d’acquiescements en soubresauts, d’adhésions en hostilités, jalonna durant près d’un demi-siècle notre histoire contemporaine. 

Tout est dans tout. Et même si les situations sont différentes au regard du temps écoulé, une interrogation magistrale perdure. Intemporelle et incontournable. Une Corse autonome fut-elle souhaitable est-elle possible ? Et nous revoilà dans le strict giron de la perception étatique d’une telle réforme.

Pour schématiser existe-t-il en haut lieu une claire connaissance de « la question Corse »Et dans l’affirmative, question subsidiaire, quelle réponse apporter. Il convient désormais que le pouvoir emprunte à cet égard les chemins de la clarté. Dire une bonne fois pour toutes s’ils agréent la proposition du président du Conseil exécutif, relayé par l’Assemblée territoriale, ou à l’inverse apposent leur véto.

La tutelle de Matignon

Nul ne doit se méprendre le ministre de l’Intérieur n’a pas toute latitude dans ce chapitre insulaire. Tant s’en faut. Cela l’arrange peut-être tant ses assertions initiales n’ont pas fait que des heureux dans les hautes sphères politiques et administratives. Et cela est compréhensible, il n’aspire plus à travailler sans filet. 

D’ailleurs, un fait est singulièrement passé quasiment inaperçu chez nous. Lors de sa déclaration de politique générale, Élisabeth Borne évoqua la problématique Corse. Cela est une exception dans la bouche d’un chef de gouvernement lors d’une telle séquence devant le parlement. 

Sans en conclure hâtivement que le dossier passait subrepticement de Beauvau à Matignon, rien n’exclut une sorte de tutelle qui ne dit pas son nom. Allons plus loin dans les hypothèses. Quel est le poids politique que la Première ministre ? Modeste. Quels sont ses réseaux ? Insignifiants. Ses qualités intellectuelles n’étant nullement en cause, le simple bon sens incite à penser qu’elle est à cette place par le fait du prince, et dans ce droit fil la voix de son maître. 

Voilà qui nous ramène à Emmanuel Macron. Il a les clés de la réponse. Même s’il n’est pas omniprésent dans les questionnements, doutes et expectatives, qui animent davantage le microcosme politique insulaire que la société civile. 

De quoi demain sera-t-il fait ? Voilà ce qui doit prévaloir à la lumière de cette digression qui campe une perception enracinée dans la réalité.

Néfastes inconnues 

Sauf à penser que tout est coïncidence et fruit de hasard, il est loin d’être utopique d’imaginer que cette période pétrie d’inconnues réactive et met en exergue des travers que certains ne voulaient déceler sous l’actualité omniprésente du débat évolutionniste. Ils rejaillissent tels les feux sous la cendre, pour nous replonger dans la triste réalité. Elle est symbolisée par les menaces exercées à l’endroit de Gilles Simeoni. Peu prolixe sur la nature et la teneur de ces pressions, ses révélations lapidaires sont pourtant le signe patent que la Corse n’en a pas fini avec ces vieux démons. Bien au contraire. Comme en écho reviennent avec instance les commentaires liés aux commerces incendiés par des mains criminelles, quand ce n’est pas une concession automobile ajaccienne, pour la seconde fois proie des flammes. La méthode de l’allumette, comme moyen d’exaction, paraît depuis deux ans le moyen pour des voyous tapis dans l’ombre d’intimider leurs victimes. Appropriation des biens, bannir la concurrence ? Les conjectures sont multiples. Mais pour certains elles ne sont que la partie visible d’un iceberg que peuple le milieu, qu’il se nomme grand banditisme ou mafia.

L’affari so in francese, dit la maxime pour qualifier un contexte tenu. Il s’impose actuellement à l’évidence. D’autant qu’à ces méfaits à caractère purement insulaire, se superposent des errements externes qui ajoutent si besoin était aux appréhensions ambiantes. Portant, pour reprendre une phrase de Léon Blum, la violence comme les nuages portent l’ondée. 

Nébuleuses carcérales 

À cet égard, citons notamment la nébuleuse qui entoure les explications sur le guet-apens mortel subi par Yvan Colonna par un codétenu se disant sous l’emprise d’une motivation islamiste. Les arguties de la directrice de l’établissement carcéral ne laissent pas pantois que la commission d’enquête parlementaire. L’entendement chancelle et le doute s’instaure devant ce déni de vérité. Laissant affleurer l’idée de connivences, diverses et variées dans une stratégie assassine menée de longue main. Sans qu’il faille échafauder des scénarios complotistes, nul doute que l’audition à huis clos de deux agents des services de renseignement de l’administration pénitentiaire ajoutent une nouvelle ombre au tableau déjà obscur. Ainsi lorsque Jean-Félix Acquaviva les interroge sur l’éventualité que le meurtrier Elong Abé soit une source d’information voire un indicateur de cette officine parallèle, le couperet tombe. Immédiat. Hâtif. Définitif. Secret défense ! Circulez, il n’y a rien à voir.

Voilà qui ne peut empêcher les supputations et amorcer une plausible explication sur le régime carcéral, étrangement favorable, dont bénéficiait celui qui durant de longues minutes s’acharna sur sa victime. Sans que personne ne perçoive le drame qui se déroulait. 

Au nom de la vérité, le collège de députés en appelle désormais à la levée du secret défense. Et par ailleurs demandent instamment la déclassification du rapport administratif de la DGSI concernant le prisonnier-meurtrier. Notamment afin de connaître dans le détail son parcours en Afghanistan. Faut-il souligner qu’il avait été appréhendé et jeté dans une geôle par les combattants américains, avant d’être réclamé instamment par les autorités françaises ?

Quid par ailleurs du sort judiciaire des détenus pour complicité l’assassinat de Claude Érignac, éligibles depuis cinq ans à une libération conditionnelle ? 

D’un cas, l’autre 

Que nul ne se méprenne. Loin de nous la volonté d’être les supplétifs des thuriféraires du commando qui ôta la vie du préfet. Pour autant, nul ne contestera qu’en l’occurrence la gestion des divers éléments de ce dossier semble occulter les procédures administratives ou judiciaires, pour atteindre les lisières de ce que d’aucuns nomment de longue date une vendetta politique. 

Dans un même ordre d’idée, et là aussi sans verser dans le jugement de valeur, ne convient-il pas de se poser la question sur l’opportunité de l’incarcération de Charles Pieri ? Âgé et surtout malade, fallait-il l’embastiller à Fleury-Mérogis, au seul motif d’avoir trouvé des armes à son domicile ? Ne lui fait-on pas payer un militantisme agissant passé. Et en incidence certains tweets ? 

Au moment où les fils du dialogue entre les élus insulaires et Paris sont effilochés, nul doute que ces deux affaires, sans parenté patente, ne sont nullement propices à atténuer l’expectative. Avec en filigrane, les questionnements qui désormais se propagent à bas bruit sur la volonté gouvernementale de persévérer sur ses annonces décentralisatrices. 

Responsabilité politique 

Dans ce domaine, le parler-vrai, cher à Michel Rocard, doit impérativement être de mise sur les bords de la Seine. Il appartient à nos gouvernants de dire s’ils persévèrent dans leur stratégie d’autonomie qu’ils avaient annoncée. Ou à l’inverse s’ils se rétractent. 

Cela relève de la responsabilité politique aux antipodes avec les échappatoires de circonstance et d’opportunité. Au risque de forcer le trait, n’est-ce pas Darmanin qui évoqua officiellement le concept d’autonomie ? 

Car ici, plus qu’ailleurs rien ne serait pire que les faux-fuyants et autres préalables, qui s’ajoutent au gré des mois, pour rendre la Corse collectivement responsable de l’échec. 

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