L’espoir d’un germinal corse 

Edito

Par Jean Poletti

Le printemps corse. La formule était de Maurice Savreux. L’ancien préfet évoquait ainsi la clémence climatique d’une île, peu marquée par la rudesse hivernale. Un slogan touristique renvoyant au célèbre été indien. Mais pas seulement. L’imagination aidant, on se plaît a espérer enfin ce bourgeonnement faisant éclore non pas les fleurs du mal mais celles qui façonnent les bouquets du mieux-être. Une sorte de germinal prisé par Émile Zola. L’urgence commande le sursaut. La situation implique le renouveau. Sous le soleil, la misère, voilà triste rengaine qu’il convient de museler. Rien ou presque ne va plus. Dans une sorte de scénario-catastrophe, une communauté semble amputée de repères et de lisibilité. Étrangement, le fatalisme ambiant se veut compagnon de route de cet étiolement sociétal. Le repliement qui forge l’individualisme s’accroît, obscurcissant l’avenir collectif. Briser cette fuite en avant requiert à l’évidence un changement comportemental. Cela n’est pas aisé. Ici et à Paris, à trop avoir imbibé une communauté de fausses croyances et de dialectiques fallacieuses les apprentis-sorciers ploient sous le joug de la responsabilité. Du dédain de certains au fatalisme d’autres en passant par les adeptes des illusions, naguère et aujourd’hui, alimentent cette chronique d’une île en souffrance. Elle qui a tant d’atouts, est gangrénée par une activité en friche où pousse à l’envi la précarité. Le traitement social est devenu l’antidote récurrent qui n’interpelle plus grand monde. Silence, on trime ! Dans cet appauvrissement collectif nul plan de survie n’émerge véritablement. E la nave va. Les sempiternels disciples de vieilles lunes et ceux qui paraissant frappés de cécité édictent inlassablement que demain on rasera gratis. Alors, dans une unanimité touchante, les grandes revendications consistent à tendre la sébile au bon vouloir de la puissance étatique. Oui la Corse est percluse de maux. Certes, elle ne peut demeurer engoncée dans le droit commun qui la cloue au pilori du marasme. Pour autant, cela interdit-il d’analyser sans faux-fuyant nos propres erreurs ? Plutôt que de tirer inlassablement des plans sur la comète, mieux vaudrait s’appesantir sur le concret. Avec en point d’orgue les raisons pour lesquelles nous sommes devenus la région la plus pauvre de France. Voilà point de départ qui permettrait un diagnostic permettant de sérier les possibles remèdes. Les exemples abondent. Nul besoin de chercher plus que nécessaire pour les dénicher. Certains sont mêmes d’une aveuglante clarté. Ici les prix de l’essence est plus élevé que sur le continent, malgré des taxes minorées. Pour faire ses courses, il faut davantage bourse délier qu’ailleurs alors que le pouvoir d’achat est moindre. Se loger coûte souvent plus cher que sur la Côte d’Azur en regard d’un marché de l’immobilier spéculatif. L’égalité de l’offre de soins joue l’Arlésienne. La liste est longue comme un jour sans pain. Inutile d’insister. Les observatoires, divers et variés, publient régulièrement leurs enquêtes, qui demeurent lettres mortes. Pourtant, il serait à tout le moins judicieux que de telles réalités soient théorisées pour sérier véritablement le possible du souhaitable et proposer des solutions pérennes, fussent-elles dérangeantes en cassant des rentes. Ainsi par exemple, a-t-on besoin d’autant de ports secondaires qui grèvent l’enveloppe de la continuité territoriale ? Pourquoi cet abonnement a la sècheresse alors que l’essentiel des précipitations se perd dans la mer ? Sans conteste ces sujets comme d’autres sont polémiques, mais nos édiles doivent-ils se limiter à des dossiers lénifiants. Ou s’adonner à des philippiques stériles sur des sujets dont n’a finalement que faire la majorité de la population ? Par ailleurs, chacun peut noter qu’il est des tenants du libéralisme pur et dur qui ne vivent que de subventions étatiques et crient au loup sitôt qu’elles risquent d’être réduites. Le beurre et l’argent du beurre, en y ajoutant le lait et la laitière. L’alliance de Guizot et de Marx. Sans doute là aussi une forme cachée du particularisme. Il n’empêche anecdotes et sujets fondamentaux se rejoignent pour qualifier d’inquiétante l’actuelle situation. Elle appelle le sursaut. Car rien ne serait pire de demeurer stoïque ou s’enfermer dans le lascia core. Cette nébuleuse alimente un sentiment diffus d’injustice et fourbit les armes de la révolte. Avec comme triste révélateur la résurgence de la clandestinité. Mais dans une parenté terrible, la crise offre également un champ d’action élargi aux malfrats de tout calibre. Ils progressent indubitablement par l’infiltration dans la sphère publique, l’intimidation ou les attraits de la prévarication. Elle se veut un solennel avertissement d’une île pouvant connaître le sort de la Sicile. Sa sœur voisine, elle aussi victime du non-développement et sous l’emprise de la mafia. Beckett attendait Godot. Nous, on attend simplement de ne plus être bannis des rivages de l’essor, au prétexte d’un fallacieux handicap de l’insularité qui dissimule fréquemment une carence du volontarisme politique. 

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