La nouvelle donne

Edito

par Jean Poletti

Le bruit et la fureur. Au-delà d’une situation délétère se pose avec acuité l’avenir d’une île. Des chemins de traverse à la route bordée par l’apaisement, la frontière est ténue. De quoi demain sera-t-il fait ? Telle est l’angoissante interrogation qui taraude la société au-delà de ses différences politiques. Le dossier des prisonniers politiques, avec en point d’orgue la sauvage agression d’Yvan Colonna, plaça brutalement le gouvernement devant ses contradictions majeures sur la gestion du problème corse. Toutes les explications du monde ne pourront pas trouver un écho favorable dans le cheminement juridique et intellectuel qui refusa trop longtemps le rapprochement du commando Érignac. Évoquer ce mortel guet-apens n’est pas synonyme d’adhésion. Mais au-delà du légitime jugement de valeur, chacun peut admettre que les élémentaires principes du droit et des procédures pénales furent sacrifiés au nom d’une raison d’État confinant à la vengeance. Détenus particulièrement signalés ? La fallacieuse qualification devint le paravent officiel et le leitmotiv de ceux qui sur les bords de la Seine campaient sur l’arbitraire. Dans un inlassable théâtre d’ombres s’activaient des forces dont la préfectorale n’était vraisemblablement pas éloignée. La célèbre formule « pire qu’une faute, c’est une erreur » s’applique sans l’esquisse de l’ombre d’une hésitation à ceux qui jouèrent les apprentis sorciers. Ce n’est pas faire injure de souligner que l’hôte de Matignon hérita en l’occurrence d’une prérogative qui le dépassait. Dans ce sillage du questionnement, il n’est pas usurpé de supputer que ceux qui le désignèrent comme gestionnaire de cette responsabilité savaient qu’il demeurerait inerte et mutique. Et se plierait de bonne grâce au front du refus. D’ailleurs, il s’extirpa de son trop long silence par une incongruité blessante en levant précipitamment le statut de DPS d’un prisonnier plongé dans un coma post-anoxique. En d’autres circonstances une telle décision s’apparenterait au grotesque, si elle n’était le signe d’une inquiétude aux lisières de l’affolement. Ce panel d’intransigeances confinant à l’aveuglement rebat singulièrement les cartes insulaires. Oublié l’esprit girondin. Aux calendes grecques la simple équité. Du factuel au général, l’impression diffuse ou affirmée s’abreuva ici d’un sentiment d’injustice. Dès lors, sans flots de mots et d’emphases, il convient d’admettre en toute lucidité que hors les murs d’une prison se joua en onde de choc un épisode sur devenir des relations avec l’actuel gouvernement ou le prochain. En Corse, le fil jusqu’alors ténu se rompit. Le désaveu couvait tel un feu sous les cendres d’un mince espoir. Il rejaillit dans une révolte exacerbée de la jeunesse, irradiant l’ensemble de la société. Qu’elle soit agissante ou diffuse, pétrie d’actions rebelles ou lors de banales conversations, une communauté se soude autour de l’impression d’être reléguée au rang de citoyens de seconde zone. Quelle que soit l’amplitude ou la nature de la revendication. Aussi dans un paradoxe qui n’est apparent, la tragique scène d’Arles devient fait de société. Et exutoire débridé au veto de ceux qui dans les cénacles du pouvoir dénient la singularité d’une communauté tout à la fois semblable et différente de l’Hexagone. Des lendemains qui chantent sont-ils à remiser dans le tiroir des espoirs déçus pour certains ? Grossiront-ils chez d’autres les rangs des chimères pour ne pas dire les poubelles de l’histoire ? Il faudra pourtant panser les plaies, ouvertes par trop d’ignorances étatiques, souvent teintées de condescendance. Si les actuels princes qui nous gouvernent, ou aspirent à revêtir cette mission, ont la mémoire qui flanche, ils auront tout loisir de se replonger dans les faits et arguments d’un prédécesseur nommé François Mitterrand. Les statuts Defferre et Joxe pouvaient alors être qualifiés dans un camp de trop audacieux et insuffisants dans l’autre. Ils avaient en toute hypothèse l’insigne mérite de considérer la Corse comme un interlocuteur digne de respect. L’amnistie en corollaire. Certains s’escrimèrent à détricoter la formule présidentielle d’alors « Corses, soyez vous-mêmes. » Non par des déclarations coupantes et acérées, mais par petites touches discrètes. Un douloureux facteur humain, agissant tel un boomerang, brisa ce scénario. Incitant ceux qui crurent persévérer dans une écriture erronée à revoir leur copie. L’apaisement, que chacun appelle de ses vœux, passe par la volonté élyséenne d’ouvrir un nouveau chapitre. Celui de l’authentique dialogue chevillé de justice. Cinq jours d’émeutes suffirent à transformer les pyromanes en pompiers, qui désignèrent Darmanin pour éteindre l’incendie. Chacun en tirera les enseignements qu’il souhaite. Et les leçons qu’inspire cette volte-face. 

Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.