Je t’aime, moi non plus

EDITO

Par Jean Poletti

L’ultime salve de la préfète qui avait déjà fait ses valises engendra une nouvelle polémique. Une de plus. Une de trop ? Sans doute. En ciblant les valeurs morales et éthiques de Gilles Simeoni, elle se dépouilla cette fois de tout artifice administratif, ou aux accents juridiques, pour laisser transpirer son aversion à l’endroit du fait majoritaire. Scène surréaliste, à quelques jours d’intervalle, son successeur la déjugea en mettant sur un piédestal l’humanisme et la grandeur d’âme du président du Conseil exécutif. Il le fit lors de la cérémonie d’hommage à Claude Érignac. Cela n’est nullement anodin, car la philippique de la représentante de l’État portait sur le supposé véto qu’elle essuya sur la participation de l’École de musique. La philippique n’a pas l’apanage de la nouveauté. Elle met en exergue, au fil du temps qui passe, la mission d’un préfet en Corse. Une région à nulle autre pareille à fort particularisme. Et juridiquement la plus décentralisée de France.

Aussi, l’hôte du palais Lantivy doit-il mettre, ici plus qu’ailleurs, ses convictions sous l’éteignoir et se parer officiellement des seuls atours de serviteur de l’État. Et non du gouvernement. Différence de taille. Rôle souvent ardu. Mais aussi parfois volontairement oublié, par ceux qui assument d’être les supplétifs zélés de la doctrine élyséenne ou de Matignon. Certains le firent avec une habileté redoutable, presque invisible, avançant masqués. D’autres avec la grâce des éléphants dans un magasin de porcelaine. Il en fut même qui adoptèrent la prudence du Sioux, bannissant toute aspérité et se limitant au service minimum. Nous avons aussi connu des préfets haut en couleurs, à l’image d’un Yves-Bertrand Burgalat, grand épicurien devant l’éternel, et qui participa même à la farandole dans les rues ajacciennes lorsque le Sporting de Bastia se distingua en coupe d’Europe. Un autre qui affirma officiellement que les incendiaires devaient être tirés comme des lapins. Ses foucades répétées lui valent d’être limogé par un télex de la place Beauvau, alors qu’il tenait une conférence de presse ! La galerie de portraits cocasses, originaux ou inventifs, est longue comme un jour sans pain. En incidence revient en mémoire cette belle formule d’un préfet qui pour vanter le tourisme d’hiver créa la formule « le printemps corse », cela vaut bien celle qui évoque l’été indien. Mais des ombres assombrissent ces images d’Épinal, avec comme chef de file le pyromane des paillotes. Feu de paille ? Nullement. Car il succédait, sous les fortes recommandations d’un Jean-Pierre Chevènement, à celui qui tomba sous les balles d’un commando nationaliste, avec une mission sacrée : restaurer la puissance publique. Fiasco intégral, qui contribua à nourrir la défiance mêlée d’un sentiment de gâchis que le temps n’efface pas. Que l’on nous comprenne bien.

Nulle volonté de flétrir cette profession créée par Napoléon. Mais certains usent et abusent de leurs prérogatives. Ils privilégient leurs sentiments personnels, foulant allègrement aux pieds le cadre de leurs fonctions. Cela est un déni de démocratie, aux lisières de la faute professionnelle. Avec en filigrane, cette velléité d’être plus royaliste que le roi. En clair, de satisfaire et fréquemment d’outrepasser l’attitude momentanée d’une majorité gouvernementale. Qui par définition est susceptible d’évoluer au fil d’une mandature. Cela a-t-il été le cas avec Josiane Chevalier ? Refusons de le croire. Mais en même temps, pour reprendre une expression chère au macronisme, il n’est pas exclu de penser que le propos de Franck Robine soit aussi un message. Une sorte de reflet. Un souhait par Paris de tourner la page d’une période conflictuelle dont sa représentante dans l’île fut perçue à maints égards comme le bras armé. Conjectures ? Peut-être. Hypothèse d’école ? Qui sait. À l’évidence, il serait grand temps que d’un prétexte, l’autre cesse ces antagonismes qui polluent les nécessaires relations entre le représentant de l’État et l’actuelle majorité territoriale. Là encore, personne ne peut dénier à un haut fonctionnaire d’avoir des préférences politiques. À condition toutefois qu’elles soient dissimulées derrière l’inaltérable principe de neutralité, qu’il soit réel ou feint.

Voilà un précepte qui vaut doctrine. Essayer d’être à plein temps un authentique préfet de la République. Tout simplement !

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