Edito – Octobre 2015

Le retour des illusionnistes

Par Jean Poletti

Les périodes électorales sont propices aux annonces spectaculaires. Des âmes supposées altruistes distribuent des pochettes surprises renfermant les solutions pour la Corse. Ces Pères-Noël n’ont pas attendu les frimas des urnes pour multiplier les cadeaux. Les emballages sont séduisants, mais le contenu fréquemment décevant. Revitaliser l’intérieur? Simple comme un colloque dans une commune rurale. Relancer l’agriculture ? Aussi facile que suivre le bœuf. En deux coups de cuiller à pot des spécialistes autoproclamés délivrent les remèdes salutaires. Mais c’est bien sûr ! Pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt ! Penauds et confus citoyens et élus seraient-ils à l’aube du mea culpa collectif ? Trêve de plaisanterie. Et si ces annonceurs de bonnes nouvelles cessaient de confondre possible et souhaitable ? Face à une crise insulaire majeure il est urgent de ranger les illusions dans le tiroir de l’oubli, d’où elles n’auraient jamais du sortir. Faire rêver, asséner des faux remèdes, verser dans l’utopie alors que le réel est tellement angoissant s’apparente à une curieuse alchimie. Celle qui voulait transformer l’or en plomb. La vérité est autre. Complexe, ardue, difficile. Elle conjugue des aspects économiques, sociaux et démographiques trop aisément oubliés par ceux qui délivrent le discours de la méthode. Dans des annonces aux tonalités de cours magistraux.
Toutes les contributions sont bienvenues pour sortir notre communauté de l’ornière. Aucune idée ne doit être laissée sur le bord du chemin. A condition qu’elle réponde au principe de réalité. La Corse n’a que trop souffert des sornettes clamées sous l’air des lampions avec en refrain : Demain on rase gratis. Elle paie au prix fort les viles assertions d’une l’insularité nous protégeant des intenses mutations qui secouent le monde. Cette conjugaison de dénis d’évidence cloue une communauté au pilori. Collectivement engagée dans une impasse, elle ne devra pas son salut à des mages et sermons, fussent-ils sur la montagne. Dans sa grande sagesse le peuple sait inconsciemment que les bateleurs d’estrade ne sont pas les charpentiers dont nous avons l’urgent besoin pour bâtir l’avenir. L’imagination au pouvoir, disait-on en soixante-huit. Mais faut-il pour autant marteler l’autre slogan qui fit florès à cette époque : soyons réalistes, demandons l’impossible ? Le temps des rêveries n’a plus droit de cité. Le réveil est brutal. L’ile, cette belle endormie dans les bras de faiseurs de songes, ouvre des yeux inquiets face à l’avalanche de déconvenues. La lucidité commande d’initier une opération vérité, aux antipodes des propos lénifiants qui assènent que la remise à flots sera d’une facilité enfantine. Comment et pourquoi en est-on arrivés là ? Quelles mesures efficientes privilégier ? En un mot quel développement pour la Corse ? Voilà l’enjeu. Il implique de hiérarchiser les priorités, en finir avec le saupoudrage, et les opérations ponctuelles aux destins improbables.
Les citoyens en ont vraiment soupé de ces diseurs de bonne aventure qui au hasard des scrutins résolvent la quadrature du cercle ou percent le mystère de la poule et de l’œuf. Leurs annonces s’apparentent, parfois involontairement, à du populisme. Dont les effets pervers accentuent le climat délétère.
Bannir le y’a qu’a faut qu’on. Tourner le dos a ces pseudos génies qui ont la science infuse et la vérité révélée. Tel est le prélude à une reconstruction de la maison Corse qui menace ruines. Sans emprunter à Churchill et son illustre « du sang et des larmes », chacun doit s’imprégner d’une dualité fondamentale : la survie nécessitera un véritable plan de bataille. Elle sera collective ou ne sera pas. Tans pis pour les magiciens, qu’il convient de renvoyer à leurs chères études.

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