A la une : De la démocratie en Corse

 

La crise catalane est venue éclairer le positionnement de nombreux partisans de l’émancipation qu’elle soit culturelle, économique ou politique.

Par Vincent de Bernardi

Elle a aussi bousculé ceux qui croyaient aux bénéfices de la politique de cohésion de l’Union européenne et dans sa capacité à construire une communauté de destin. Elle a enfin inquiété de nombreux responsables politiques dont les réactions tardives ont souligné le malaise.

Cette crise a, par ailleurs, alimenté le débat sur la démocratie et la République face à deux mouvements contradictoires, le désir d’indépendance contre la volonté de préserver l’unité. Ce débat est au cœur du dernier livre de Dominique Schnapper, «De la démocratie en France ». Elle y a regroupé vingt années de réflexions sur la liberté, l’identité, la crise du modèle républicain, les discriminations… Ses travaux permettent d’analyser un certain nombre de phénomènes politiques observés en particulier en Corse ces dernières années.

Le rapport à la nation en et un. Il est depuis longtemps un sujet de tension entre l’île et le continent, et entre les Corses eux-mêmes. Il prend depuis quelques mois un relief particulier. Il anime les conversations, provoque des controverses. Il s’exprime dans les media et tend à diviser la Corse en deux. Il n’est plus rare de lire dans une presse qui gagnerait à revendiquer son indépendance, des partis-pris séparatistes. Certains n’y verront que maladresses ou provocations bien venues, d’autres de dangereuses dérives sémantiques. Quoi qu’il en soit, cela conduit à installer un climat de tension et à vouloir réécrire l’histoire dans une tentative bien pauvre de traiter le sujet.

 

Principe civique

La question que l’on doit se poser est de savoir comment la République peut et même doit s’adapter aux bouleversements des modes de vie et aux manières de penser mais aussi et surtout quelle est sa réponse aux désirs d’émancipation, à la volonté d’autonomie de jugements des citoyens comme à la reconnaissance de leur identité.

Dominique Schnapper souligne que si «toute société est objectivement multiculturelle», et que l’Etat «doit reconnaître les cultures particulières», cela n’empêche pas que « les particularismes soient dépassés par l’utopie créatrice du principe civique ». Autrement dit, malgré leurs imperfections, les institutions républicaines sont les seules à garantir aux citoyens l’expression de leur liberté individuelle.

Dès lors quel peut être le destin collectif dans une île tiraillée entre un désir d’émancipation et un attachement à la République ? C’est tout l’enjeu pour ceux qui, à la tête de la collectivité unique, devront mettre en œuvre un projet de développement dans une relation renouvelée avec l’Etat.

Ces deux dimensions ne sont d’ailleurs pas totalement opposées. Elles s’appuient sur des valeurs communes et partagées qui unissent une même communauté attachée à la démocratie. Les évolutions politiques récentes l’ont indéniablement montré.

 

L’identité en commun

Elles doivent désormais permettre d’envisager l’avenir sans conduire à dresser les uns contre les autres. Il n’y a pas d’un côté les «républicains » avec leur histoire, leur langue, leurs lois et de l’autre « les démocrates » avec leurs propres références. Ils ont en commun une identité, une culture et une citoyenneté. Ils ont à cœur de transmettre les mêmes traditions et de défendre la liberté, l’égalité et la fraternité.

S’il y a en Corse une cohésion qui vacille, c’est à l’Etat d’en permettre l’expression parce que c’est lui qui garantit à chacun les mêmes droits, imposent les mêmes devoirs. C’est aussi aux Corses de se raconter leur histoire, sans tabou, sans en évacuer ce qui dérange. Comme le souligne le sociologue Patrick Weil, auteur avec Nicolas Truong d’un essai intitulé « Le sens de la République » paru au lendemain des attentats de 2015, le « récit national, ce n’est pas un roman magnifié ou une invention ». Pour lui, la raison de fond est que l’on ne se sent plus assez compatriotes, pas assez solidaires d’un destin commun.

C’est précisément là que se joue l’adhésion des Corses à l’évolution institutionnelle et politique de l’île.