Du dividende aux superdividendes : Attention aux idées reçues !

Une entreprise peut restituer des liquidités aux actionnaires de deux façons : verser des dividendes ou racheter des actions. À la lumière des événements sociaux du mois dernier, retour sur quelques idées reçues concernant le dividende, éternel incompris !

Par Sébastien Ristori, analyste financier, professeur de finance d’entreprise à l’Université de Corse, directeur d’entreprise et auteur aux Éditions Ellipses.

Les superprofits

Le thème des rémunérations a agité cette rentrée avec une crise sociale salariale suivie de grèves à répétition ! Le débat public des rémunérations s’est rapidement orienté vers une comparaison entre les dividendes versés et les salaires. Différentes propositions de taxes ont alors vu le jour, d’abord sur les « superprofits » puis sur les « superdividendes ». Les notions abusives de « super-profits » et « super-dividendes » incluent tous les profits qui ont été supérieurs à une activité estimée « normale » suite à des contextes économiques ou environnementaux exceptionnels qui conduisent à un accroissement des bénéfices. L’appréciation de cet excédent est donc très subjective. Par ailleurs, tout novice en économie sait très bien que les impacts de l’environnement sur une entreprise sont multiples, souvent peu récurrents et pas toujours prévisibles. 

Le mécanisme de la valeur

Les dividendes versés sur les profits records des dernières années ont attiré l’attention des syndicats et de certains politiques comme étant une rémunération indécente pour les plus riches et privant les salariés d’augmentation de salaire. Dissocions tout de suite les deux définitions : un dividende est la distribution en monnaie de la valeur obtenue par l’entreprise, valeur qu’elle a pu créer grâce aux investissements réalisés, eux-mêmes financés, sous forme d’actions, par de l’argent apporté par les actionnaires. La valeur d’une action est soumise aux aléas du marché et à la réussite financière des investissements. L’actionnaire court donc le risque de l’échec du projet et le risque d’observer la valeur de son action s’évaporer, et peut-être ne jamais pouvoir prétendre à retrouver la somme apportée. Ce sont les risques de faillite, les risques de liquidité et les risques de perte en capital supportés uniquement par l’actionnaire. La contrepartie de ces risques est l’obtention d’un taux de rentabilité exigé. Si les rentabilités économiques sont supérieures, l’entreprise crée de la valeur, si les rentabilités économiques sont inférieures à ce taux, l’entreprise détruit de la valeur. L’actionnaire en est immédiatement affecté. Quant au salaire, ce dernier est la contrepartie d’une prestation de travail apportée à une entreprise. Il est complété par des primes, par la participation et par l’intéressement, pour concilier l’ensemble des objectifs de création de valeur. Le salaire ne rémunère pas le risque. Il ne bouge pas, que l’entreprise crée ou détruit de la valeur. 

Un peu de théories financières

Le débat a eu le mérite d’exhumer au grand public le chapitre intitulé « la politique de dividendes » présent dans tous les manuels de finance pour rappeler une réalité trop souvent oubliée : le dividende n’enrichit pas un actionnaire. La théorie financière nous démontre que, dans l’hypothèse que les marchés soient à l’équilibre, le versement d’un dividende vient mécaniquement diminuer la valeur d’une action du même montant. Ainsi, un actionnaire qui détient une action d’une valeur de 50 euros, pour laquelle 3 euros de dividendes sont versés, détiendra instantanément 3 euros sur son compte bancaire. L’action dont il est propriétaire aura une valeur non plus de 50, mais de 47 compte tenu du détachement du dividende de 3. Soit 3 + 47 = 50 euros de patrimoine, totalement inchangé pour l’actionnaire. En fait, ce dernier ne peut s’enrichir qu’avec la création de valeur de son action. Plus l’entreprise crée de la valeur, plus la valeur de l’action grimpe. Imaginez un instant : s’il suffisait d’attendre le versement d’un dividende pour s’enrichir, vous et moi n’aurions qu’à attendre l’annonce par une grande entreprise de la date du versement de son dividende, nous n’aurions plus qu’à acquérir l’action la veille du détachement, encaisser notre dividende par action le lendemain et revendre l’action dans la foulée. C’est donc une logique qui ne tient pas ! 

Pourquoi alors verse-t-on des dividendes ? 

Pour les plus petites entreprises, non cotées, les dividendes sont souvent les seules liquidités que les dirigeants d’entreprise vont recevoir. Ils constituent une source de rémunération vitale pour les besoins personnels et privés. Dans les plus grandes entreprises, l’actionnariat est composé de membres de familles fondatrices, d’autres sociétés, de fonds privés ou d’institutionnels. Des investisseurs privés comme vous et moi pouvons également détenir des actions, mais cela ne concerne que 10%, en moyenne de la représentation des actionnaires divers au capital des sociétés cotées. Le dividende est une façon de restituer des liquidités aux actionnaires quand l’entreprise ne trouve plus d’investissement créateur de valeur. Plutôt que cumuler de la trésorerie inutile, elle liquéfie cette valeur et la rend. À charge pour les actionnaires d’investir dans d’autres entreprises, pour d’autres projets. En soi, restituer de l’argent aux porteurs de capitaux est sain pour l’économie, puisque cela favorise l’investissement. Par ailleurs, certains actionnaires sont attachés psychologiquement aux dividendes, ils préfèrent bénéficier de la création de valeur tout de suite plutôt que d’attendre une hypothétique augmentation ultérieure. Le dividende est aussi un signal pour rassurer les actuels et futurs actionnaires en cas de besoin d’apports en capitaux : il signifie au marché que l’entreprise se porte bien, et que l’entreprise dispose de ses pleines capacités d’assurer sereinement des décaissements. 

L’incompris

Le dividende est un incompris. Ceux qui le fustigent oublient trop souvent et à tort, que l’argent, dont le leur, n’est pas gratuit. Qui accepterait d’investir dans une entreprise 100 pour récupérer 90 dans un an ? Personne. De la même manière, qui accepterait d’investir 100 pour récupérer 100 dans un an ? Personne. L’argent est un outil, et le renoncement à une consommation immédiate est le prix d’une rémunération. Dans le cas de l’achat d’action, le taux de rémunération inclut le risque de toute activité. Les actionnaires espèrent que la valeur de l’action progresse compte tenu des résultats réalisés et des perspectives de la société. Nous pouvons tous être actionnaires. L’amendement déposé par un groupe de députés pendant ce mois d’octobre prévoyait d’accroître la taxe sur les dividendes perçus par les personnes physiques de 30 à 35%. Les actionnaires physiques ciblés par cette mesure sont des personnes ayant reçu des dividendes ou des rachats d’action de la part d’entreprises qui ont augmenté considérablement leur distribution par rapport aux 5 dernières années, d’où le terme de « superdividende ». Cette mesure idéologique ne survivra pas : d’abord, car il n’existe quasiment plus de personnes physiques qui détiennent directement des actions de sociétés cotées, et que tout actionnaire détient des actions par l’intermédiaire d’un plan d’épargne action ou d’une assurance-vie. Ensuite, parce qu’il n’est pas possible d’identifier qui rachète des actions par le principe d’anonymat. En tout état de cause, la recherche universitaire a également démontré que la politique de distribution d’une grande entreprise ne dépend pas de la fiscalité des actionnaires flottants. La théorie financière apporte aussi un autre éclairage qui va à contresens de cet amendement : un actionnaire privilégiera toujours le développement et l’investissement dans son entreprise. Il sait bien qu’en récupérant des dividendes, il amoindrit les perspectives de l’entreprise dont il détient toujours des actions. Vous l’aurez probablement compris à la lecture de ces lignes, le dividende n’a rien à faire au banc des accusés concernant le pouvoir d’achat ! Il est plutôt utile et sain pour l’économie.

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