Domaine de Murtoli

Au fil des années, en ajoutant au domaine des activités pastorales et agricoles, Paul Canarelli a créé une entreprise unique en Corse. Ici, se côtoient à la fois l’espace, la nature, la tranquillité, l’authenticité, l’accueil, l’art de vivre, la gastronomie. Trente ans de travail sur un site naturel exceptionnel et préservé, qu’il transmet aujourd’hui à ses enfants. De transmission, il en a toujours été question à Murtoli, car elle est éternelle de génération en génération. Entretiens croisés.

Par Anne-catherine Mendez

Paul Canarelli, comment pourriez-vous définir le domaine de Murtoli que vous avez créé ?

J’ai créé un hôtel dans ma ferme et non pas l’inverse. J’ai regardé ce qui se faisait ailleurs dans l’agritourisme haut de gamme sur des concepts existants déjà à l’étranger, qu’il fallait adapter aux critères originaux et patrimoniaux de la Corse, le respect du bâti ancien et des produits identitaires de grande qualité. Les parties agricoles et hôtelières se nourrissent l’une et l’autre. Le domaine est une structure dans laquelle se déclinent tous les métiers de l’hôtellerie, de la restauration, de l’agriculture, de l’élevage et des loisirs tout en restant une réserve naturelle intacte, peuplée de sangliers, de lièvres, de perdreaux et de colverts.

Murtoli est aussi un investissement permanent, un lieu en perpétuel devenir. Entre l’exploitation agricole, l’élevage, l’hôtellerie, l’entretien, les travaux, l’animation, la promotion et la commercialisation du domaine, j’y ai consacré tout mon temps, été comme hiver, c’est l’œuvre de ma vie.

Le domaine, c’est donc mon histoire personnelle et celle de ma famille sur quatre générations. Quand mon grand-père m’a légué ce domaine en 1993, il était occupé par ses vaches et des sangliers, il m’a fait jurer de le préserver et de le transmettre à mes enfants. Un rêve d’enfance devenu réalité et aujourd’hui l’histoire continue.

Peut-on parler du domaine comme d’une entreprise familiale à transmission patrimoniale ?

En effet, il s’agit d’une histoire de transmission réelle dont la dernière génération est mes enfants qui sont aujourd’hui, tous les trois partie prenante de la gestion de l’entreprise. En fait, j’ai transmis en étant toujours là, mais grâce à eux, à leur enthousiasme, leur force de travail, leur ténacité, je m’en détache peu à peu. Au-delà du fait de leur laisser un lieu exceptionnel, je leur laisse un outil de travail hors du commun que ce soit dans le secteur du tourisme ou dans celui de l’agriculture. Ils ont chacun pris des responsabilités dans leur sphère de prédilection. Santa est devenue la directrice générale, Paul gère la partie hôtellerie/restauration à ses côtés, et Toussaint le domaine agricole. 

Comment s’approprient-ils leurs nouvelles fonctions ?

France, Corse du Sud (2A), Domaine de Murtoli, bergerie Arba Barona (vue aerienne)

Ils apportent un nouveau regard, celui de la jeunesse certainement mais pas seulement. Ils ont tous les trois suivis des études qui leur permettent d’avoir les compétences pour évoluer chacun à leur poste. C’est une véritable valeur ajoutée pour l’entreprise. Ils mettent également à profit toutes leurs jeunes années passées à parcourir ce lieu qu’ils connaissent par cœur. La relation avec la clientèle, le respect de la nature, la valeur travail sont des notions qui leur ont toujours été familières. La philosophie de Murtoli fait partie de leur ADN, l’attachement à cette terre est viscéral. Cela va au-delà d’une simple transmission d’entreprise.

Quel est votre sentiment personnel ?

Je suis fier que tous les trois aient pris cette décision, d’une part de travailler ensemble et d’autre part de poursuivre cette aventure. Le Domaine de Murtoli est un cadeau de la nature, une Corse en réduction, à la fois dure et douce, exclusive et généreuse quand on la respecte, avec son maquis, ses rivages, ses pistes, ses cultures, ses produits, ses rochers, ses bergeries… Mais c’est avant tout un domaine agricole et une entreprise familiale. 

Santa, Paul et Toussaint Canarelli respectivement 22 et 20 ans pour les jumeaux sont aujourd’hui pleinement investis dans la gestion du domaine. Ils ont tous les trois pris la décision de revenir travailler auprès de leur père et de poursuivre l’épopée familiale. 

Santa est titulaire d’un bachelor en management hôtelier décroché auprès de la prestigieuse école Vatel. Elle assure aujourd’hui la direction générale après avoir fait ses armes auprès du domaine Les Crayères à Reims, du Monte-Carlo Beach ou de l’hôtel de Paris à Monaco. C’est avec un peu d’appréhension qu’elle a pris les rênes de l’entreprise. Aujourd’hui, elle est en partie rassurée : « J’étais à la fois contente et stressée à l’idée d’intégrer le domaine, j’avais peur de ne pas être à la hauteur des attentes de mon père. Il a mis la barre tellement haute. Puis finalement, le passage de relais s’est fait très naturellement, dans la concertation. Nous n’avons pas forcément la même vision des choses, mais avant toute décision, nous en parlons ensemble, tous les quatre. C’est un peu comme s’il était devenu notre consultant… Il nous donne les clefs, c’est maintenant à nous d’ouvrir les portes. »

Paul, son binôme sur le terrain de l’hôtellerie et de la restauration, est un peu comme elle le définit « son couteau suisse, il a l’œil sur tout ». Après trois ans passés au sein de l’école hôtelière Médéric, à Paris, il savait qu’un jour ou l’autre, il rentrerait travailler sur le domaine. « On a toujours eu le choix de nos orientations professionnelles, mais je savais que je reviendrais. Ce serait très bizarre pour moi, précise-t-il, de savoir que quelqu’un d’autre pourrait travailler ici, à ma place. Les rôles entre nous sont bien répartis, j’ai souvent des moments de doute mais mes erreurs sont bénéfiques. Mon père est très exigeant, parfois dur avec nous, mais il est juste, les valeurs qu’il nous a inculquées sont ancrées à tout jamais. »

Toussaint, après ses études dans un lycée agricole à Paris et près d’Aix-en-Provence, est celui qui gère tous les aspects agricoles du domaine, de l’élevage bovin à la vigne, il est à la tête d’une des plus grandes exploitations de polyculture élevage en Corse, avec 400 brebis, plus de 150 vaches, 15 hectares d’oliviers plantés et de maraîchage, 10 hectares de vigne, 3 hectares d’immortelles. Le domaine, c’est aussi une fromagerie moderne avec une cave d’affinage pour la tomme de brebis, et plus surprenant une production de gin aromatisé aux herbes sauvages. « Je ne pensais pas rentrer si tôt, mais maintenant que nous avons pris cette décision, je m’épanouis pleinement dans mes nouvelles responsabilités, je gère à la fois la production mais également la commercialisation de nos produits que l’on trouve dans les épiceries fines de la région, de Paris, de Lyon, ou d’Aix par exemple. En 2022, nous allons faire nos premières vendanges, c’est une aventure passionnante. » Dumé, 67 ans, le couve du regard, il travaille au domaine depuis l’âge de 16 ans, il a commencé avec l’arrière-grand-père de Toussaint. Aujourd’hui, il est aux côtés du jeune homme qu’il a vu naître et lui donne encore quelques conseils… L’histoire se poursuit, se transmet.

Dans dix ans, tous trois se voient à la même place, auprès de leurs propres enfants, ils souhaitent seulement que les jeunes de leur génération aient la même soif d’entreprendre, la même envie de travailler pour cette Corse qu’ils respectent intensément. « Je suis inquiète pour la jeune génération, s’exclame Santa, j’ai du mal à recruter des Corses qui souhaiteraient travailler à nos côtés. Je me pose souvent des questions : que font-ils ? Comment vivent-ils ?  Trop peu ont de l’ambition pour le développement de notre île. »

Les projets, ils en ont plein la tête mais ces dernières années ont été celles d’importants investissements avec la réhabilitation de nouvelles bergeries, des loisirs comme la réalisation du golf, le développement des activités agricoles et d’élevage et des productions agroalimentaires pour les restaurants du domaine et la vente. « Pour le moment, il faut encore et toujours améliorer l’existant, conclut Santa, nous avons l’avenir devant nous. »

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