Dissidence électorale

On pourrait croire que la crise des gilets jaunes à laissé des traces et modifiera profondément les comportements électoraux des Français. La réalité est plus complexe. Le mouvement de contestation est plus profond, plus ancien et la révolte des gilets jaunes qui a débuté, il y a an, n’en est qu’un symptôme.

Par Vincent de Bernardi

Pour s’en convaincre, rien de mieux que de se plonger dans les études d’opinion. La Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) et l’institut Opinion Way ont lancé une enquête inédite en interrogeant 3 000 personnes, tous les 6 mois jusqu’à la prochaine élection présidentielle. À la différence des autres sondages, celui-ci mesure l’attitude électorale des Français et non leurs intentions de vote. Il dresse une radiographie complète du vote protestataire, un peu à la manière d’un check-up.

La première vague réalisée cet automne dessine plusieurs tendances lourdes. La Fondapol a voulu mesurer les signes électoraux exprimant la contestation, le refus de l’offre politique, la défiance à l’égard des élites, en somme le rejet du système. Cette protestation n’est pas nouvelle. Elle s’est déjà exprimée lors de précédents scrutins. Elle n’est pas non plus propre à la France. D’autres pays ont connu des phénomènes de dissidences électorales, amenant au pouvoir des partis ou des coalitions populistes. En France, le phénomène n’a cessé d’augmenter. Dominique Reynié, directeur général de la Fondapol, rappelle que le vote protestataire qui regroupe le vote pour des partis anti-système, le vote blanc ou l’abstention, sont passés de 21% en 1965 à 61% en 2017. Pour lui, le pays entre dans ce qu’il appelle une « insurrection électorale ». La première vague de l’étude d’Opinion Way illustre ce phénomène puisque trois électeurs sur quatre envisagent de voter contre le système en 2022.

Le dégagisme toujours d’actualité

Le macronisme qui a fait irruption dans la vie politique française en 2017 n’a pas atténué cette tendance qui s’exprime de différentes manières. D’abord par un potentiel électoral élevé pour Marine Le Pen. 17% sont certains ou ont de fortes chances de voter pour elle en 2022 – ce qui, avec une abstention d’environ 25%, ferait un socle de 23% de suffrages exprimés ; et 31% au total disent possible de voter pour elle ; autant que pour Emmanuel Macron. Ensuite, les électeurs se disent ouverts à plusieurs attitudes. 53% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon de 2017 et 40% de ceux d’Emmanuel Macron n’excluent pas de voter blanc ; 32% des électeurs de François Fillon et 16% de ceux de Jean-Luc Mélenchon disent possible un vote pour le Rassemblement national en 2022. Enfin 90% des 47% Français qui soutenaient ou avaient de la sympathie pour le mouvement des gilets jaunes se disent prêts à choisir une solution protestataire (abstention, vote blanc, vote Le Pen, Mélenchon, Debout la France ou NPA). Guillaume Tabard soulignait récemment dans Le Figaro qu’à mi-mandat, les ressorts du dégagisme restaient bien présents. Le scénario du dégagiste dégagé pourrait donc bien se réaliser en 2022.

Aventure individuelle

Tous les ingrédients d’une élection présidentielle agitée sont là et tout porte à croire que nous sommes entrés dans une phase d’intense volatilité électorale. Les premières victimes en sont les partis au pouvoir. Dans ce paysage instable, le phénomène du « pourquoi pas moi » comme le dénomme Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’IFOP, est une hypothèse que les états-majors politiques envisagent. Emmanuel Macron en fut l’archétype en 2017. Inconnu du grand public trois ans avant, il a incarné une forme de rupture dans l’histoire politique et montré que l’on pouvait ravir le pouvoir sans être passé par toutes les étapes de construction d’une candidature. L’élection présidentielle offre désormais davantage place à l’aventure individuelle, en dehors des partis politiques dont la légitimité s’est émoussée et qui ne savent plus faire émerger de leadership. L’épisode des primaires à droite comme à gauche en témoigne.

Vote protestataire

Pour Frédéric Dabi, la fin de la bipolarisation des partis, leur affaiblissement, le non-cumul des mandats accentuent la probabilité de ce phénomène. Il note d’ailleurs que dans les déterminants du vote, la dimension personnelle du candidat a progressé de 14%. Le spectre du candidat charismatique, issu de la société civile, commence à inquiéter parce qu’il pourrait capter ce vote protestataire qui s’est renforcé ces dernières années et dont le potentiel représente désormais près des deux tiers des électeurs.

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