Délations mortifères

Par Jean Poletti

Mortel engrenage. Les digues sont rompues. Les surenchères se multiplient. Inexorables. Comme si la boîte de Pandore ouverte par des illuminés devenait une norme. Presque une doctrine. Samuel Paty, sacrifié sur l’autel de l’intégrisme et du mensonge, ne serait-il qu’un épisode sanglant annonçant d’autres innocentes victimes ? Se voiler la face, demeurer atone équivaut à baliser le chemin de ces délateurs. Abrités dans l’anonymat, ils transforment en cibles vivantes ceux qui prônent la liberté d’expression. Ou appellent tout simplement à la réflexion. Ici, un flot grossissant d’insultes sur les réseaux sociaux. Là, d’ignominieuses accusations placardées sur les murs d’une école. De Trappes à Metz, des enseignants furent récemment cloués au pilori de l’implacable vindicte. Ils rejoignent la longue cohorte de leurs collègues d’infortune passés sous les fourches caudines des idéologues de l’obscurantisme. Vingt-cinq doctorants de Sciences-Po Paris menacés de décapitation. À l’Institut de Grenoble, deux professeurs ayant programmé des cours sur l’islam dans la France contemporaine sont voués aux gémonies et vivent sous protection policière. Les exemples se multiplient, puisant dans des méthodes fascisantes une volonté de bâillonner le concept de laïcité au profit d’une vision manichéenne nourrie d’extrémisme religieux. Jusqu’où ? Jusqu’à quand ? « La question n’est pas de savoir si un autre enseignant va être assassiné, mais quand. » Le propos d’un proche du ministre de l’Éducation nationale fait froid dans le dos. Il indique mieux que fumeuses explications, aux lisières de l’excuse, l’offensive de ces fous de Dieu qui mettent le Coran au-dessus des lois de notre République. Dans une somnolence des esprits, rares furent ceux qui jouèrent les lanceurs d’alerte. Et les travaux de ces pionniers reçurent en échos l’indifférence, les quolibets ou l’insulte. Stratégie de l’évitement, politique du renoncement. Coué roi ! Requiem pour l’idée même de ces lieux où se dispensaient les humanités. Ce savoir forgé dans l’esprit critique, la saine confrontation d’idées. Et cette évolution créatrice chère à Bergson. Certes la généralisation serait outrancière. Nul ne doit s’y complaire au risque de verser dans les outrances qu’il convient de combattre. Mais si Descartes a raison, alors rien n’interdit de poser la question de l’islamo-gauchiste et autres déviances, qui polluent et dessinent en ombre portée la peur et l’autocensure comme compagnes d’infortune. Par quelle alchimie mortifère le siècle des Lumières s’est-il éteint sous les rafales du vent mauvais ? L’urgence commande d’en débattre, tant ces multiples diktats se fondent désormais dans un fait de société. Détourner le regard équivaut à laisser le champ libre à tous ceux qui de manière pernicieuse ou frontale veulent imposer une vision sociétale aux antipodes des élémentaires règles de la démocratie. L’arme fatale de ces destructeurs est d’une simplicité biblique. Elle forge l’autocensure comme antidote aux éventuelles représailles. Avec en point d’orgue la mise à l’index publique qui transforme l’esprit critique en coupable désigné. Dénigrement, diffamation deviennent loi d’airain dans une folle surenchère. Trouvant une résonance opportune dans la délation. À un degré moindre et d’une amplitude plus modeste, cette pratique n’échappe pas à notre île. Des bombages assimilent tel ancien leader nationaliste à un mafieux tandis que des peintres de la nuit jettent des noms en pâture. Faut-il rappeler en incidence que sous son indicible règne le préfet Bonnet recevait quotidiennement une dizaine de lettres anonymes d’indicateurs zélés, souvent sans l’esquisse de l’ombre de l’élémentaire vérité ? Cette simple parenthèse démontre à l’évidence que chez nous la fameuse omerta relève du mythe, par ailleurs sciemment utilisée comme obstacle à la non-élucidation des nombreux crimes de sang. Mais revenons à l’essentiel. Un événement suffira d’ailleurs à en démonter la prégnance. Il vaut toutes les explications et en souligne la gravité. Le maire de la commune d’Ollioules souhaitait rebaptiser le collège des Eucalyptus du nom de Samuel Paty. Mais devant une intense levée de boucliers et quelques tweets explicites, l’idée fut abandonnée. Montesquieu réveille-toi, ils sont devenus fous !

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