Concessions de plages: le défi de l’interdépendance

Bien qu’inaliénable et imprescriptible, au cours de ces cinquante dernières années, le régime juridique du Domaine public maritime (DPM) a été progressivement assoupli pour favoriser l’émergence d’occupations privatives, sous certaines conditions, en particulier sur les plages, sièges d’utilisations conflictuelles durant la saison touristique.

Par maître André Celli, avocat au barreau d’Ajaccio

Pour réguler les activités concurrentes, le législateur a mis à disposition des autorités publiques un certain nombre d’outils juridiques. Le DPM connaît trois modes de gestion juridique.

– la convention de gestion à une personne publique ;

– la concession pour une exploitation conforme à la vocation du domaine l’article L.2121-1 du code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP);

– l’autorisation d’occupation temporaire (pour occupation privative), qui est précaire, révocable, et assujettie à redevance (article R.2122-1 CGPPP).

Il convient de préciser que la qualification de contrat ne confère pas pour autant une stabilité à l’occupant. Contrairement aux idées reçues en plus d’être précaire, le titre d’occupation sur le DPM est incessible et intransmissible, l’autorisation étant personnelle. Depuis le décret n° 2006-608 du 26 mai 2006, les collectivités peuvent solliciter de l’État l’octroi de concessions d’une durée maximale de 12 ans pour l’aménagement, l’entretien et l’exploitation des plages sises sur leur territoire. L’État confie à la collectivité cocontractante des obligations générales de sécurité, d’entretien et de conservation de cette portion domaine public maritime que constitue la plage. À son tour, la collectivité peut choisir de sous-concéder à des prestataires une partie de la surface et du linéaire de la plage aux fins d’y exercer une activité économique sous certaines conditions.

Les vagues de l’actualité

En Corse ces dernières semaines, l’actualité s’est révélée assez agitée. Pour quelle raisons? Plusieurs motifs peuvent l’expliquer. D’abord, parce que sur l’île se pose avec une acuité particulière la question du difficile équilibre entre préservation de l’affectation originelle du DPM naturel et son exploitation économique. Ensuite, parce que ce décret de 2006 n’a pas trouvé à s’appliquer, exception faite très récemment sur une commune de la Rive Sud du Golfe d’Ajaccio. Depuis toujours les acteurs économiques (en règle) qui occupaient les plages étaient titulaires de contrats d’occupation du DPM qui ne comportaient aucune obligation de service public. Ils étaient très peu contrôlés et aucune obligation de publicité et de mise en concurrence n’était imposée pour l’obtention de leur autorisation. Il était d’usage de renouveler dans ses droits précaires le titulaire de l’AOT. Or aujourd’hui en Corse, les services de l’État envisagent de ne pas renouveler certaines autorisations et incitent fermement les communes à devenir concessionnaires. Ce qui a conduit à l’incompréhension de certains professionnels qui perçoivent les obligations de mise en concurrence et de démontage en fin de saison comme une injustice. Enfin, parce que le Padduc, voté par l’assemblée de Corse en octobre 2015, comporte un volet valant Schéma de Mise en Valeur de la mer (SMVM) dont les services de l’État entendent visiblement faire respecter les dispositions, conformément à ce qui est prévu dans le Padduc : « la délivrance des actes du domaine public et l’utilisation par l’État de son propre domaine tiennent compte des dispositions du SMVM » (prescription du préambule de l’annexe 6).

Stratégie contractuelle

Ainsi ont été définies les plages à vocation naturelle, celles à vocation naturelle fréquentée, celles à vocation semi-urbaine et celles à vocation urbaine. Plus que l’institution de cet outil, c’est l’approche nouvelle opérée qui soulève des difficultés. Désormais les demandes d’occupations du DPM ne sont plus seulement instruites par l’État voire les futures communes concessionnaires au regard du seul régime du DPM mais aussi en fonction du Padduc. Ce qui s’avèrera particulièrement complexe. Pour les plages, toute la difficulté sera de définir des usages compatibles avec leur vocation. Sujet d’importance qui ne pourra faire l’économie d’une concertation locale préalable avec l’ensemble des acteurs pour prendre en considération les différentes attentes et ainsi définir une stratégie contractuelle permettant la mise en œuvre d’une solution équilibrée acceptée de tous. La concession de plage est un outil offrant la possibilité de maîtriser les conflits d’usages et de trouver une phase transitoire. Quel sera l’interlocuteur direct des professionnels ? L’État ? Pour l’heure encore mais ce dernier semble vouloir charger les communes de cette lourde tâche. Pourquoi pas, mais celles-ci ont-elles toutes la capacité de l’assumer ? Qu’il soit permis d’en douter tant leur champ d’intervention est vaste et leurs moyens limités. Et revoilà le sempiternel problème du transfert de compétences sans les moyens indispensables à leur exercice.

L’enjeu

Peu importe l’interlocuteur, l’enjeu des années à venir sera de préserver l’intégrité physique et l’affectation des plages tout en maintenant des activités économiques qui ont vocation à s’y développer harmonieusement. À ce jour, la concession est un outil qui permet de concilier ces objectifs, que d’aucun s’obstinent à opposer, mais qui se révèlent véritablement interdépendants.


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