Bâtir tous ensemble une paix durable

Par Jeannine Ciabrini / Conseillère départementale, chef d’entreprise

numero-50-defLes armes se sont tues. Les causes de la révolte sont mieux entendues par l’État et très largement partagées par la population. Qu’il s’agisse de la défense du patrimoine et de l’identité insulaire ou encore de la satisfaction du besoin de donner à la Corse les moyens de reprendre son destin en main. La chape de plomb qui asphyxiait le débat public s’est fendue grâce au courage d’élus qui ont osé se battre contre les clivages partisans obsolètes. La lutte contre la pression foncière, la sauvegarde de la langue, la reconquête économique, la différenciation ne sont plus de vilains mots ; ils constituent des objectifs qui font consensus ; ils sont la direction que s’est choisie le peuple corse.
Cependant, la victoire des nationalistes lors de la dernière élection territoriale ne constitue pas un aboutissement, encore moins la mainmise durable d’une famille politique sur le pouvoir. Les défis à relever sont nombreux, les incertitudes grandes et les chemins à emprunter particulièrement longs. Tout est à écrire, ensemble et sans exclusive. Ne pas prendre garde aux efforts nécessaires pour parvenir à une Corse libre et prospère ruinerait la détermination des Corses à vivre en paix.
C’est là le sens de mon engagement politique. Chef d’entreprise, je vois la souffrance qui détruit nos proches et la misère dans laquelle nos enfants souhaitent, souvent en vain et comme hier, s’extraire. J’ai aussi à connaître un ascenseur social qui ne fonctionne plus et l’angoisse du déclassement en raison de la permanence de formes modernes de ce qui étaient hier les clans. Face à cela, l’intérêt général doit triompher. C’est pourquoi, j’ai accepté quand il me l’a demandé de suivre Jean-Jacques Panunzi. Il a dans la gestion des administrations locales le même souci de l’éthique, du partage, de l’équilibre et du bien-fondé des décisions que je peux avoir dans la vie professionnelle.
Si le vaudeville qui s’est joué le 2 avril 2015 au département de la Corse-du-Sud m’a affectée en raison, tout à la fois, de l’injustice sur laquelle il s’est conclu et de la résurgence d’une conception conservatrice de la pratique du pouvoir, il m’a surtout fait prendre conscience de l’urgence pour notre société de répondre avec efficacité aux besoins qu’elle exprime fondamentalement depuis des décennies. C’est au sein d’une démarche dite «corsiste», à laquelle j’avais déjà contribué auprès de Toussaint Luciani, que j’ai ainsi choisi de m’investir.
Un tournant historique
L’enjeu est capital. Les générations de demain et leurs parents ont soif d’une Corse apaisée, débarrassée des tensions et des féodalités. Ils sont animés par l’envie de faire avancer leur terre. Nous sommes a un tournant historique. C’est une chance pour bâtir le futur. Il faut la saisir et je n’économiserai aucune force pour accompagner ce mouvement populaire qui a fait le choix de se dresser face aux injustices et à la fatalité.

À cet égard, la décentralisation doit être dépassée. Elle n’apporte qu’un bienfait limité, en incapacité à donner, dans un monde qui ne cesse d’évoluer, l’élan nécessaire au progrès. Les nouvelles phases de la décentralisation opérées par l’État central ne peuvent suffire. Elles sacrifient souvent la cohérence pour heur- ter le moins possible. Elles sont illisibles et jamais abouties. Avec la décentralisation, les collectivités territoriales demeurent la continuation de l’État. Elles ne disposent d’aucune fiscalité propre. Les recettes proviennent des taxes décidées par l’autorité centrale. Toute latitude est bornée. Quant à la réglementation, dans le domaine de l’environnement, de la santé publique, de la sécurité civile, elle appartient toujours au préfet. Même avisé par de nombreuses commissions locales, ce dernier conserve les privilèges du pouvoir exécutif, celui du gouvernement.

Le temps de la refondation
Que ce soit pour la Corse ou les autres régions, une refondation s’impose. Une fédération dans laquelle chaque territoire pourrait disposer de compétences élargies et d’un droit à la spécificité législative permettrait de déverrouiller un système dépassé qui bloque les énergies. Les pouvoirs régaliens laissés à l’État, les régions et la Corse auraient enfin la possibilité d’agir au mieux des intérêts de leur population. La langue corse pourrait s’émanciper sans écueil constitutionnel. La continuité territoriale serait imaginée au plus près des besoins; émergeraient des échanges plus adaptés à l’économie insulaire. Un outil de santé performant, irriguant le rural, serait offert à tous les Corses. Un droit de la propriété, conforme à nos valeurs, serait introduit pour que le travail de nos parents ne soit plus soumis aux droits de successions. Cette perspective n’est pas impossible. Elle est le sens de l’histoire. Dans une France où les fractures sont béantes et le marasme érigé en institution, l’urgence de la réconciliation exige une accélération du processus. Déjà, réussir la collectivité unique est fondamental.
Car cela légitimera la satisfaction de revendications plus concrètes comme le statut fiscal et social spécifique à la Corse. Pour cela, nous devons anticiper et faire reculer l’archaïsme.

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