Aya Nakamura Arrête d’écouter CNews !

Par Jean-Pierre Nucci

S’il est permis de critiquer Orelsan sans que cela fasse débat, il semble exclu de le faire pour Aya Nakamura. Pourquoi ? Parce que le premier n’est pas issu de l’immigration récente, la seconde oui. C’est une réalité que l’on ne peut que déplorer. Chacun doit rester libre d’apprécier ou de mépriser une œuvre artistique quelconque. Et l’on en vient à se demander s’il existe encore un droit d’opinion dans ce pays. Pourtant, la nomination de la chanteuse ne devrait pas faire polémique. Elle interprétera sans doute La Marseillaise le jour de l’inauguration des Jeux olympiques. Les partisans d’une certaine idée de la France ont dévoyé le débat au profit de l’infâme. Il n’est question pour eux que de dénoncer une dérive identitaire mal perçue. La jeune femme exprime pourtant la diversité française. Sa popularité est indéniable. Personne ne peut la contester, le chiffre des ventes de ses albums en atteste. Pour les réfractaires à toutes évolutions, la question porte sur la symbolique. En d’autres termes, elle ne serait pas la mieux placée pour représenter la chanson française ? Arrête d’écouter CNews !

La musique parle à tout le monde. C’est l’art suprême, quelques notes bien enchaînées, et l’émotion nous étreint. Nul n’y échappe, à moins d’être obtus, renfermé sur soi-même, insensible à la beauté. Bien des genres musicaux coexistent pour notre plus grand bonheur. La musique classique à l’influence omniprésente se faufile dans les compositions des autres genres comme le jazz issu de la banlieue new-yorkaise, le rock anglais qui a tant donné, les Beatles, les Stones, David Bowie, la pop avec ses stars, Michael Jackson, Madonna, l’électronique avec le duo Air, Daft Punk, le hip-hop, le rap… Au milieu de cette foison, se trouve un genre particulier : la Chanson Française : « On te voit venir avec tes gros sabots, arrête d’écouter CNews ! »Elle célèbre à travers ses auteurs la langue de Molière. Ceux-là la manient avec habileté (Delanoë, Étienne Roda-Gil…). Ce talent ne s’est pas éteint. Beaucoup d’artistes contemporains usent des voyelles et consonnes comme le faisaient leurs prédécesseurs jadis. Albin de la Simone, Benjamin Biolay, Emma Peters, Hoshi et bien d’autres vocalisent chacun dans leur style à merveille. À en croire les détracteurs d’Aya Nakamura, ses compositions se perdent dans un magma de sonorités agressives où la composition semble avoir été oubliée : « CNews je te dis !!! » Il n’y a là rien de choquant. C’est une opinion que l’on est en droit d’exprimer comme on pourrait le faire pour Orelsan.

Il est toujours heureux d’entendre des compositions aux textes bien ciselés caresser nos oreilles de leurs douces mélodies. Jacques Brel, animal sauvage, aimait la langue de Molière. Ses mots guidés par un idéal de beauté ne démentaient pas son amour pour la poésie :

Moi, je t’offrirai

Des perles de pluie

Venues de pays

Où il ne pleut pas

Je creuserai la terre

Jusqu’après ma mort

Pour couvrir ton corps

D’or et de lumière.

Ne me quitte pas.

Jacques Brel

Et que dire d’Aznavour ? Cet immigré arménien ciselait ses textes jusqu’à la perfection. Pas une faute de style, pas une faute grammaire, pas une faute de syntaxe ne ternissait son verbe :

Emmenez-moi au bout de la terre

Emmenez-moi au pays des merveilles

Il me semble que la misère

Serait moins pénible au soleil.

Serges Reggiani, immigré italien dont la voix suave exultait les paroles écrites par Georges Moustaki, Giuseppe Mustacchi de son vrai nom, un juif grec qui jouait à merveille avec l’alphabet :

Avec ma gueule de métèque, de juif errant de pâtre grec et mes cheveux aux quatre vents.

Avec mes yeux tout délavés qui me donne l’air de rêver, moi qui ne rêve plus souvent.

Avec mes mains de maraudeur, de musicien et de rôdeur, qui ont pillé tant de jardins.

Avec ma bouche qui a bu, qui a embrassé et mordu, sans jamais assouvir sa faim.

À l’âge de l’intransigeance, les intéressés dont je faisais partie, critiquaient de manière idiote la Chanson Française des années soixante-dix, surtout la variété. Ils s’enfermaient dans une forme de mépris qui les rendait aveugles, incapables d’apprécier d’autres genres musicaux que le rock ou la pop. Ce temps a bien changé. Avec l’âge, la raison s’est imposée à l’esprit. Et voilà qu’ils apprécient les textes d’interprètes honnis au temps de leurs jeunes années.

Il y avait à la mairie le jour de la kermesse

Une photo de Jean Jaurès

Et chaque verre de vin était un diamant rose

Posé sur fond de silicose

Ils parlaient de 36 et des coups de grisou

Des accidents du fond du trou

Ils aimaient leur métier comme on aime un pays.

Et c’est avec eux que j’ai compris

Au nord, c’étaient les corons.

Pierre Bachelet

En 1994, Youssouf N’Dour et Neneh Cherry évoquent dans le morceau « 7 seconds », les sept premières secondes positives de la vie d’un nouveau-né qui ne connaît pas encore les problèmes et la violence de notre monde :

Boul ma sene

Boul ma guiss madi re nga folkni mane.

Khamouna li neka this ama souf ak thi guinaw

Bad to the bone

Battle is not over

Even when it’s won

J’assume les raisons qui nous poussent de changer tout,

J’aimerais qu’on oublie leur couleur pour qu’ils espèrent.

Beaucoup de sentiments de race qui font qu’ils désespèrent.

« 7 seconds » est une chanson multiethnique, chantée en trois langues (wolof, anglais et français) par le chanteur, compositeur et musicien sénégalais Youssouf N’Dour et la chanteuse suédoise d’origine africaine Neneh Cherry. Tous deux ont célébré à leur manière la chanson française à l’instar d’Aya Nakamura aujourd’hui. Il faut s’en féliciter plutôt que de le regretter. Cette inclinaison pour les sonorités africaines répond à l’évolution des cultures européennes. Les jeunes l’apprécient en masse. C’est un autre chemin, pas absolu pour autant. Des artistes de renom, on l’a vu, consacrent la langue française d’une manière traditionnelle comme Brel ou Nougaro. Chacun peut y trouver son compte. Mais tous ces artistes aux styles différents répondent aux exigences du dictionnaire. Ils nous bercent avec leurs mots, d’histoires censées éveiller nos esprits repliés. Elles réchauffent de leur prose les cœurs refroidis, et nourrissent la réflexion de pensées romantiques. Ils parlent d’amour, de désamour, de souffrance, de joie, de voyages : « Arrête d’écouter CNews ! »

Il a la dick facile, j’suis une hit machine

Pas une fille facile, j’me donne dix sur dix

Hit machine, j’suis une hit machine

Pas une fille facile, j’me donne dix sur dix.

Hypé.

Aya Nakamura

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