Ange Santini : Sa vérité à l’oreille de Darmanin 

Photographie Olivier Sanchez

L’inamovible maire de Calvi s’impose dans le camp libéral comme l’un des interlocuteurs privilégiés de Gérald Darmanin. L’élu local qui fut aussi président du Conseil exécutif a d’expérience une double approche des problématiques insulaires. Elle allie la proximité et la vision globale. Une dualité complémentaire qui lui permet, sans ostentation, de livrer en haut lieu son avis écouté, apportant sa pierre à l’édifice pour construire la Corse de demain. 

Par Jean Poletti 

D’emblée une formule qui à ses yeux vaut doctrine. « L’autonomie n’est pas une fin en soi. » Afin de bannir le quiproquo ou éviter l’amalgame réducteur, Ange Santini affirme sans fards que le mot ne lui fait nullement peur. Son analyse est autre, fuyant l’incantation ou le concept, qui à ses yeux mélangerait l’essentiel et l’accessoire. Elle n’opérerait pas une claire distinction entre les moyens pour atteindre un objectif, préalablement défini, et une sorte de postulat excluant par définition l’expertise. 

Sa dialectique semble rejoindre la formule de Mac Mahon « nous sommes pressés, allons lentement ». Une manière de dire et souligner qu’il serait préférable de dresser le constat exhaustif « de ce qui va et ce qui ne va pas ». En clair et pour schématiser pourquoi figer le débat sur une nouvelle avancée institutionnelle alors qu’à maints égards la spécificité insulaire est reconnue et que maints hiatus peuvent s’inscrire dans le droit constant. 

En évitant tout jugement de valeur l’édile relève, en forme d’évidence, que l’île fait partie d’un État, d’une communauté européenne immergée dans un monde instable. Une incidence aux dimensions géopolitiques pétries d’incertitudes qui nourrit à ses yeux l’illusion qu’une autonomie serait la panacée et synonyme de bonheur. Lui a une approche autre. Qu’il veut pragmatique et aux antipodes d’un préalable qui cristallise, faisant l’alpha et l’oméga du progrès insulaire. Distancié du débat, qu’il croit prisonnier de la symbolique, il se veut sans conteste disciple d’un argumentaire prosaïque. D’où son leitmotiv « améliorons ce qui peut et doit l’être sans faire de prosélytisme exacerbé ». 

Les chemins du possible 

Sans trahir sa pensée, disons simplement que s’il ne renvoie pas l’autonomie dans le giron du tabou, il aspire essentiellement à ne pas lui donner la parenté du remède miracle. En conscience, Ange Santini affirme qu’explorer les chemins du possible sont une ardente nécessité qui ne doivent pas être obérés par la revendication constitutionnelle. Et de professer qu’à n’en point douter cela équivaudrait à maints égards à lâcher la proie pour l’ombre. Sans jouer les augures il pense sincèrement que miser exclusivement sur cette plausible réforme porte en germe le risque de la désillusion, tant les résultats risquent de ne pas apporter les remèdes espérés. 

« La parfaite raison fuit toute extrémité et veut que l’on soit sage avec sobriété. »L’adage de Molière entre à l’évidence en résonance dans l’esprit du maire de Calvi. Pas d’ukases ou de formules abruptes, dont sont friands certains pour les mettre au rebus sitôt assénées. Nulle outrance verbale ne parsème son long parcours politique pourtant forgé par les convictions. Une attitude aux atours de sérénité qui a vraisemblablement séduit Gérald Darmanin, sanglé dans ses habits de « Monsieur Corse ». Dire qu’il est son confident serait sans doute exagéré. Il en bannit d’ailleurs le qualificatif. Pour autant nul ne peut légitimement contester qu’il murmure à l’oreille du ministre de l’Intérieur. Sans être le porte-parole de la mouvance libérale, sa dialectique nourrit partiellement la réflexion du côté de la place Beauvau. En percer les raisons équivaut à s’aventurer sur les voies subjectives. Mais on peut toutefois légitimement penser qu’au-delà d’une amitié réciproque, ses mandats successifs locaux et territoriaux le plaçaient dans le giron des interlocuteurs. En incidence ne souhaitant plus briguer quelque mandat régional, Ange Santini a sans doute cette liberté de ton qui lui permet, lors des rencontres officielles, de transcender le protocole au bénéfice d’échanges spontanés où le tutoiement est de rigueur. 

Les symboles d’une décoration 

Il est en toute hypothèse des signes qui ne trompent pas. Le chevalier de la Légion d’honneur qu’il est sera bientôt décoré des insignes d’officier de cet ordre par un certain Gérald Darmanin lors de sa prochaine venue dans l’île. Une cérémonie n’ayant rien d’anodin car au-delà de cette signalée distinction se manifeste l’attention que porte le ministre au représentant de la cité Semper Fidelis, en l’occurrence la bien-nommée. Elle se traduisit récemment encore par une visite qui se solda par un chèque de quelque dix millions d’euros pour la ville et un propos du maire qui après les remerciements d’usage prit une tournure laissant percer des échos politiques, certes feutrés mais significatifs. « Je peux vous dire que chez nous, nos concitoyens ont besoin de logements, nous parlent de retraite, de cherté de la vie, de la place dans les cantines et dans les crèches, de social. Le quotidien des gens l’emporte sur tout reste. » Dans un non-dit éloquent le message s’imprégnait du peu d’importance du débat sur l’autonomie au sein de la population. Et comme en écho celui qui fut naguère premier magistrat municipal de Tourcoing de renchérir « Je sais à quel point la commune est la base de la démocratie, c’est un lieu d’échanges où se tissent les liens avec la population, où les choses complexes peuvent être expliquées. Le président de la République m’a demandé de réfléchir à un nouveau système de renforcement des moyens de l’État en Corse pour aider les collectivités locales. Et je pense qu’il faut imaginer que tout n’est qu’une première étape et que l’investissement sera toujours accompagné comme il l’a été. »

Nationalistes ou pas, un crédo

Sans tirer de plans sur la comète disons qu’en filigrane ces deux-là parlent souvent le même langage : la préoccupation du citoyen. Celui qui tempête contre le fait que l’île soit la région la plus pauvre alors que le coût de la vie est le plus élevé. Ici, malgré une fiscalité avantageuse l’automobiliste doit davantage bourse délier que sur le continent. La liste est loin d’être exhaustive. Elle intègre hausses des prix de l’immobilier encore accru par le phénomène pervers du logement spéculatif. Ou encore l’accès aux soins, sans oublier la marche funèbre de la ruralité. Bref, si comme le disait Emmanuel Arène, la Corse est une île entourée d’eau, cette situation loin de l’épargner en est le facteur aggravant. Celui qu’il convient de rayer des tablettes de l’histoire en transformant le handicap naturel en atout. Comment ? C’est là que le bât blesse et que l’affaire se corse. 

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