Un pays cuit à l’étouffée

EDITO

Par Jean Poletti

La séquence surréaliste qui n’en finit pas de jalonner les allées du pouvoir n’a de politique que le nom. Elle s’enracine dans la peur viscérale du verdict populaire. Le reste n’étant qu’arguties sémantiques et postures qui fondent dans un même creuset le pensionnaire de l’Élysée et les leaders des partis de l’arc républicain. Emmanuel Macron tente par tous les moyens d’éviter une dissolution synonyme d’échec cuisant annoncé pour lui-même et accessoirement pour son dernier carré. En corollaire, maints députés redoutent un tel scrutin qui leur verrait mordre la poussière. Telle est la réalité. Ainsi sans jouer officiellement « embrassons-nous Folleville », le président et maints élus nationaux semblent dire encore une minute monsieur le bourreau. Bien sûr la sémantique parfaitement rodée de caciques évoquait à l’envi la vitale stabilité. Ils brandissaient le retour aux urnes comme un épouvantail, en espérant secrètement que cela demeure pure fiction. Entre égocentrisme présidentiel abonné aux artifices et maints édiles du Palais Bourbon se joue une sorte de poker menteur dont la finalité commune consiste à conserver postes et prébendes. Ces apprentis sorciers ne sont pas loin d’adhérer à la boutade si le peuple est mécontent, changeons le peuple. Propos sévères ? Nullement il n’est qu’à observer le tango d’un Retailleau pour s’en convaincre. Ardent partisan d’une participation au gouvernement, il en devient soudain opposé. La raison ? il est désavoué par ses troupes et subit l’opposition frontale de son ennemi intime Wauquiez. De l’autre côté de l’échiquier, Faure qui espérait Matignon multiplia les lignes rouges dont celle des retraites. On fera benoîtement observer que cette question ne fut même pas évoquée lors du dernier congrès du Parti socialiste. Aussi le premier secrétaire mit-il deux fers au feu. Ne pas censurer sans en exclure l’hypothèse au cas où elle serait inéluctable. Car il redouterait alors de trop froisser Mélenchon qui pourrait systématiquement mettre dans chaque circonscription, détenue par le poing et la rose, un insoumis synonyme de nombreuses défaites. Et que dire de ces présidentiables putatifs qui brûlèrent ce qu’ils adorèrent et ne sortirent de l’anonymat que lorsqu’ils furent nommés Premiers ministres par le fait du prince ? Ce sont finalement eux qui formulent les critiques les plus acerbes à l’endroit de Macron. Brutus et autres Judas savent pertinemment que pour avoir une chance à la présidentielle, ils doivent quitter le navire qui prend l’eau de toute part et faire oublier qu’un jour, ils en furent maîtres d’équipages. Que dire aussi d’Élisabeth Borne qui porta la réforme tant décriée des retraites jusqu’à activer le fameux article 49-3 ? Toute honte bue, elle plaida pour sa mise en parenthèse arguant qu’elle avait entendu la grogne du peuple. Ces jeux perfides sont aux antipodes de l’intérêt général et la réponse qui sied pour relever un pays à terre. Certes n’est pas Mendes France qui veut. Bien sûr chez chaque politique sommeille un Talleyrand. Cela se nomme la soif du pouvoir. Quoi qu’il en coûte. Fut-ce au prix de reniements. D’une surprise, l’autre, voilà que le discipliné Lecornu se qualifiait de moine soldat. On ignorait que la République avait besoin de Templiers pour mener une mission. Quel que soit l’épilogue de ce crépuscule d’un pouvoir dénudé, cet épisode laissera des séquelles profondes dans la société. D’une manière ou d’une autre la France s’en sortira. Mais le désamour déjà prégnant entre le peuple et ceux qui sont censés les représenter se cristallisera en divorce patent. Il risque de perdurer longtemps, ouvrant la voie à des émules du général Boulanger et autres ennemis de la démocratie représentative. Deux images valent mieux que digressions étayées ou superficielles. Tandis que se déroulait la tragi-comédie de Lecornu parti pour rester dans une mission impossible, Marine Le Pen arpentait les stands d’une foire agricole ou se rendait chez les sapeurs-pompiers. Cette dernière visite ployait sous le symbole. Celui d’une femme caracolant dans les sondages et s’évertuant à éteindre l’incendie allumé par d’autres et qui brûle le pays. Nul besoin d’être augure pour déceler qu’elle tira les marrons du feu de cette séquence digne de la course à l’échalote. Et reviennent en mémoire les mots d’un certain de Gaulle : « Ils font leur petite tambouille sur leurs petits réchauds, dans leurs petites cuisines. » C’était en 1947 peut avant que celui qui avait une certaine idée de la France ne démissionne. Mitterrand l’accusa à longueur d’années de coup d’État permanent. En forçant le trait, cela n’a-t-il pas quelque similitude avec ce qui se trame actuellement ? Et pour finir sur une note moins austère rappelons que le cas Lecornu n’est pas une première, contrairement à ce qui est dit et répété sur les plateaux de télévision. En effet, le cardinal Mazarin quitta son poste de Premier ministre mais fut rappelé dès le lendemain par Louis XIII. Mais nous étions sous la royauté et le bon plaisir du souverain, pas en République. Et si par extraordinaire, Jupiter songeait à ramasser sa couronne tombée dans le ruisseau du rejet, elle ne serait pas en lauriers. Que retenir de cette indigeste tambouille politicienne ? Qu’un pays est cuit à l’étouffée. Tout en évitant de remuer le couteau dans la plaie, rappelons que le maître queux fut élu à deux reprises par le peuple souverain. Cherchez l’erreur. Pas d’autoflagellation, mais une autocritique : on a les élus que l’on mérite.

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