Zonza fait de la Résistance

Niché au cœur de l’Alta Rocca, le village dont le maire est Nicolas Cucchi baigne dans la mémoire de ces combattants de la liberté qui refusaient le martèlement des bottes fascistes et nazies. Un musée communal fut ouvert, mais les gardiens de cet emblématique lieu veulent amplifier le souvenir afin d’en faire un rendez-vous privilégié des jeunes, qui pourront aisément s’imprégner du message laissé par ces héros des maquis.

Par Jean Poletti 

L’histoire se dilue parfois avec la fuite du temps. Le fameux Chant des partisansdemeure certes ancré dans l’imaginaire collectif, mais il ne renvoie plus forcément à ces « bandits d’honneur », pour reprendre l’expression de Maurice Choury. Ceux qui luttèrent parfois jusqu’au suprême sacrifice, écrivant en lettres d’or leur refus de l’Occupation. 

Zonza veut valoriser son mémorial du souvenir. L’amplifier, l’étendre, lui donner un nouvel essor. Pour les responsables de l’initiative nul doute n’est de mise. Ce lieu doit être enrichi, complètement ouvert, immergé dans la société et propice aux visites de la jeunesse. Il se concrétisera par de nouveaux locaux, collections, documents et autres témoignages laissés par ces êtres pétris de courage et qui contribuèrent à faire de la Corse le premier département libéré. Huit mois avant le débarquement sur les plages de Normandie. 

Jean-Noël Aïqui, fervent collectionneur de cette période, de l’ancienne municipalité qui apporta en son temps sa pierre à l’édifice, d’autres encore tracèrent un sillon que certains veulent semer des graines du renouveau. Un comité de pilotage fut récemment constitué afin de concrétiser cette future étape. Adossée à l’existant, elle permettra d’enrichir et d’optimiser ce haut lieu qui ploie sous la symbolique. Celle qui transcenda les différences politiques ou cultuelles pour inscrire au fronton des générations le mot liberté, si souvent galvaudé de nos jours. 

Approche sociologique 

La réunion revêtait une signalée importance, puisqu’elle regroupait notamment des associations d’anciens combattants et amis de la Résistance ou encore A Bandera, des représentants de l’université, des élus locaux et territoriaux. Marie-Jeanne Nicoli, petite-fille du héros de San-Gavino, martyrisé et décapité, siégeait en qualité d’invitée d’honneur. Tous s’accordèrent sur une notion à leurs yeux essentielle. Ce futur espace d’exposition ne devra pas être circonscrit aux domaines purement militaires, mais aborder les thématiques de la Résistance par l’approche anthropologique et sociologique. Cela implique d’enrichir le devoir de mémoire par un travail d’historien et ainsi témoigner de la fidélité des évènements passés. Une démarche fort bien résumée par Marie-Laure Salvi directrice des affaires culturelles de la commune, que préside Nicolas Cucchi. 

Au fil des discussions fourmillant de projets, le passé s’invitait drainant l’émotion. Ainsi Jean-Claude Lucchini, maire de Zerubia, laissait percer l’image de son père surnommé Ribeddu, terreur de l’occupant. Un combattant dont de Gaulle, lors de sa première visite dans l’île au lendemain de la Libération, ne manqua pas de faire l’éloge. L’homme à l’évidence n’avait pas froid aux yeux et ses faits d’armes en portent témoignage. Attachant, cultivé, il égrainait aux interlocuteurs, dont je fus, ses actions clandestines d’une voix doucereuse dans un langage châtié. Exemple : « J’ai braqué l’officier des chemises noires en lui disant à l’oreille tu me laisses fuir ou tu meures. » Et alors que s’est-il passé ? « Il ferma les yeux que voulais-tu qu’il fit. » Qu’en termes élégants ces épopées sont dites. 

Rayonner dans toute l’île

Et l’imagination aidant d’aucuns semblaient entendre les ultimes mots de Nicoli à sa famille, griffonnés sur un bout de papier à cigarettes peu avant sa sauvage exécution « Ne pleurez pas, souriez-moi, soyez fier de votre papa, il sait que vous pouvez l’être. La tête de Maure et la fleur rouge, c’est tout le deuil que je vous demande. »

Voilà quelques exemples parmi d’autres qui indiquent mieux que longs discours le bien-fondé de ceux et celles qui veulent non seulement pérenniser mais faire rayonner du Cap à Bonifacio le seul et unique musée de l’île consacré aux années sombres à nulles autres pareilles. Pour cela, comme souligné par divers intervenants, il s’agira de construire un véritable réseau de la Résistance. En corollaire, un groupe scientifique, constitué d’historiens et de spécialistes de cette époque, aura mission d’investiguer les collections et legs. Un recensement qui dans un second temps permettra de définir le message pertinent qu’il conviendra de privilégier afin que ces quatre années de sang et de larmes ne soient pas figées dans le temps, mais rencontrent une résonance avec l’époque actuelle et celle de demain. 

Nul ne s’y trompe, sensibiliser les jeunes générations est l’enjeu majeur. Leur dire par l’image le texte et le récit qu’il y a quelque quatre-vingt ans, des hommes et des femmes se dressèrent contre l’abjecte folie d’Hitler, Mussolini et autres suppôts du mal. Parfois secondés, ici aussi, par des disciples de la collaboration. 

Nécessaire intemporalité 

Amputer le passé équivaut à prendre le risque qu’il se répète dans l’avenir. « Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde. » La formule de Bertolt Brecht gagnerait à ne pas être oubliée. En cela la belle et prégnante décision qui prend sa source à Zonza doit être saluée avec toute l’attention qu’elle mérite.

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