Stéphane Deguilhen : Quand la nature inspire l’art

Stéphane Deguilhen est sculpteur depuis près de trente ans. Artiste au parcours atypique et autodidacte, son travail, inspiré de sa proximité avec la nature, est animé depuis toujours par la recherche de la force et du mouvement. Il reflète aussi une corsitude revendiquée qui le fonde. Ainsi c’est dans son atelier de Levie, que le sculpteur donne vie à des œuvres régulièrement distinguées aux quatre coins du monde.

Portrait

Par Karine Casalta


S’il en a fait aujourd’hui son métier et rencontre un réel succès avec ses sculptures largement inspirées de la nature, ce n’était pas pourtant la voie vers laquelle plus jeune, il se destinait. En effet, bien qu’initié par son père professeur de dessin à la sculpture en bas-relief pratiquée sur des meubles, l’artiste qui a grandi entre Sartène, où ses parents enseignaient, et Levie, son village d’origine, ne semblait démontrer plus jeune aucun talent artistique. 

Un parcours improbable

Plus orienté vers les sciences que vers l’art, il détient ainsi une maîtrise de biophysique obtenue après des études en physique chimie sur le continent, dans lesquelles il s’engage après son baccalauréat. « Signe avant-coureur, j’étais spécialisé à l’époque dans l’édification de structures moléculaires tridimensionnelles pour les scanners et IRM alors en plein développement. 

Le problème avec cette orientation qui me plaisait, c’était que les options de travail qu’elle m’offrait m’obligeaient à partir dans le nord de la France. Or je voulais absolument rentrer en Corse. Alors, j’ai tout plaqué pour pouvoir rentrer ! »

De retour en Corse à la fin des années quatre-vingt-dix, il reprend donc un travail en exploitation forestière, qu’il avait pratiqué plus jeune, tout en commençant à enseigner la physique chimie. Mais il va rapidement s’apercevoir que, contrairement à ses parents, il n’a aucune vocation pour l’enseignement. « En revanche, c’est à ce moment-là que de manière un peu fortuite, j’ai commencé à être attiré par la sculpture. Évoluant dans un milieu forestier, c’est en coupant du bois en forêt que j’ai commencé à y voir des formes et des volumes, et que je me suis lancé, guidé par mon intuition, avec à ma grande surprise une certaine aisance et des résultats assez rapides ! »

Amoureux de ce matériau noble, il s’adonne ainsi au départ à la sculpture sur bois à la tronçonneuse, et débute avec des démonstrations dans diverses foires locales qui le sollicitent pour des « performances en direct » sur les champs de foire. Des performances qui lui permettent peu à peu de se faire connaître jusqu’à être sponsorisé par une marque de tronçonneuse qui l’envoie, au-delà de l’île, se produire dans de grandes manifestations dans toutes les régions de France et gagner encore en notoriété. En parallèle, désireux d’approfondir la sculpture traditionnelle, il apprend là encore en autodidacte, la technique de la taille au ciseau à bois.

De la tronçonneuse au ciseau à bois

Durant cette période, c’est sa rencontre fortuite, lors d’une promenade en forêt, avec une racine qui va véritablement révéler son talent artistique « Sur une piste forestière que nous venions d’ouvrir, j’ai vu une racine de bruyère dessouchée et j’ai trouvé qu’elle ressemblait à une tête de taureau. Je suis passé plusieurs fois devant, sans me décider tout de suite à la travailler. Jusqu’au jour où j’ai décidé de la ramener dans mon atelier. Là, en la retouchant le moins possible pour lui conserver sa structure propre, j’ai réalisé une tête de taureau qui a été un détonateur pour ma carrière ! » Très remarquée par les visiteurs dans son atelier, sa création va en effet attirer l’œil d’un collectionneur qui lui demande d’en faire réaliser un bronze « il m’a ainsi donné l’adresse d’une fonderie à Paris où j’ai fait réaliser mon premier bronze ». Cette œuvre, qui deviendra emblématique de son travail d’interprétation des formes naturelles préexistantes, sera par la suite sélectionnée en 2010 pour le Salon d’automne, événement artistique qui se tient chaque année à Paris. 

À partir de là sa carrière décolle véritablement : en 2011, son travail est reconnu par la Société nationale des Beaux-Arts qui lui décerne pour cette pièce une médaille de bronze à l’occasion du salon annuel au Carrousel du Louvre, en 2015 le taureau est remarqué par les italiens qui lui offrent de participer à l’Exposition Universelle de Milan, en 2017, il expose au Grand Palais à Paris pour le salon « Art en Capital » , en 2019, deux de ses créations, dont une panthère, sont sélectionnées par la Royal British Society of Artists (RBA) et exposées au Mall Gallery de Londres. 

Ses œuvres ont ainsi été saluées au niveau national et international, avec une reconnaissance tant des institutions que des collectionneurs privés.

L’influence de son milieu d’origine

Un travail qui reste influencé encore aujourd’hui par son milieu d’origine, mais s’enrichit aussi d’autres horizons. Enfant des villages, comme il se définit lui-même, il a gardé un vif intérêt pour la vie sauvage et un attachement à l’environnement forestier « j’ai été élevé au village, et j’ai connu cette belle enfance qu’on avait avant dans les villages ; je travaille ainsi des matériaux intrinsèquement liés à nos régions. Et comme dans l’éducation de beaucoup de Corses, c’est en allant à la chasse que j’ai développé ma passion pour les animaux sauvages, que j’ai appris à les observer, à les connaître. C’est ainsi que mes premières pièces ont été des animaux locaux, rapaces, mouflons, sangliers ». Des créations artistiques pour la plupart de très grand format, qui dégagent un sentiment de de puissance. « Je me suis intéressé par la suite aux grands félins, en recherchant toujours cette notion de force et de mouvement, c’est ainsi qu’est née la série des lions et des panthères. »

 « Je suis un enfant des villages, j’ai connu cette belle enfance qu’on avait avant dans les villages, en étant été proche de la nature, ainsi j’ai évolué de très près avec tout ce qui s’y rapportait, y compris en milieu forestier. »

Des modèles originaux que l’artiste fervent, épris de liberté, aime à travailler seul dans son atelier de Levie, au cœur de la nature. Des sculptures créées à partir de bois, avec un travail traditionnel à la taille directe mais aussi en terre, après qu’il a exploré la technique de modelage et réalisé ses premiers travaux sur l’argile et la cire. Sans oublier la tronçonneuse, qu’il continue de manier parfois de façon exceptionnelle pour répondre à la demande de ceux qui faisaient appel à lui à ses débuts et à qui il souhaite rester fidèle. 

Ces œuvres font régulièrement l’objet de commandes pour des lieux publics ou des établissements de renom, telle sa sculpture « A Muntanera » réalisée pour la mairie de Serra-di-Ferro, ou la main géante en mouvement de préhension vers une racine, commande de la direction des milieux naturels aquatiques du Taravo, qu’il livrera bientôt, ou encore la panthère réalisée pour l’hôtel Balamina à Porto-Vecchio. Sans compter les collaborations, comme avec le restaurant A Pignata à Levie ou avec le domaine de Murtoli, qui offre à ses œuvres un écrin de qualité en adéquation avec sa démarche artistique. Heureux dans son village de montagne, il apprécie beaucoup d’en sortir pour visiter le monde, ce qui l’ouvre à de formidables rencontres.

Des commandes jusqu’au bout du monde

« J’ai la chance de pouvoir exporter mon travail, et tout en gardant mes bases, je m’enrichis énormément d’autres horizons, c’est très enrichissant intellectuellement et professionnellement. » Ainsi, après la Grande-Bretagne et l’Italie, il sera présent cet été à Sion, en Suisse, avec un taureau monumental réalisé en bronze, pour une exposition avec la Fondation Maeght à laquelle il est affilié. Plus étonnant, un de ses félins, un tigre, trônera prochainement au cœur d’un hôtel situé en lisière de la réserve de Ranthambore, dans le nord de l’Inde, où l’on peut observer des tigres du Bengale. « Un reporter photo responsable de ce parc national a apprécié mes panthères et m’a demandé de réaliser un tigre monumental qu’il souhaite exposer dans l’hôtel qu’il ouvrira bientôt à l’entrée du parc ! »

Ainsi le sculpteur est heureux aujourd’hui d’avoir réalisé son rêve de pouvoir vivre dans sa région d’un travail qu’il aime. Fier aussi de faire rayonner la Corse dans le monde !

Stéphane Deguilhen vous ouvre son atelier à Levie sur rendez-vous par tél. 06 18 95 32 26 ou par mail à stephanedeguilhen@gmail.com

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