Sous l’empire du mal

EDITO

Par Jean Poletti

Alfred Hitchcock dans son célèbre film Psychose avait admirablement décrit les ressorts psychologiques de l’individu confronté à l’inconnu. Albert Camus, en publiant La Peste, révélait les attitudes individuelles et collectives des êtres. Alliant mises en quarantaine, recherche d’antidote, spéculations, résistance. Dans une sorte de retour vers le futur, le roman devient singulièrement prospectif, campant au fil des pages l’actuelle réalité. Cruelle, forcement cruelle, aurait pu dire  Marguerite Duras. Cinéastes et écrivains, sans convoquer Nostradamus, dirent au fil du temps les  schismes liés aux phénomènes majeurs qui suscitent, comme en l’an mille, la grande peur. Eternel recommencement. Redites historiques. Vulnérabilité de l’espèce humaine. Voilà  la trilogie morbide qui efface d’un revers de virus  cette frénésie de mondialisation qui transforme les populations en vulgaires variables d’ajustement  d’une économie débridée. Le village people, tant vanté par nombre de financiers aboutit au-delà du drame planétaire à consacrer la Chine comme l’usine du monde. Tragique pied de nez,  c’est par elle que le fléau arrive !   Alain  Peyrefitte en rédigeant son essai sur l’empire du milieu ne pensait sans doute pas à ce genre de réveil. Mais les faits sont têtus. Et le résultat affligeant.   Plus de la moitié des composants médicamenteux  sont produits par ce pays. La quasi-totalité des fameux masques de protections sortent de leurs usines.  Deux exemples parmi bien d’autres qui suffisent à éclairer notre grande dépendance, fut-ce dans des domaines qui relèvent d’une vraie souveraineté, celle de la santé.  Tributaires d’un pays au nom de la rentabilité, nous voilà passablement démunis au point que certains  adeptes du libéralisme  plaident d’ores et déjà pour la relocalisation de certains moyens de production. A l’évidence le grand mirage du commerce sans frontières a vécu. N’avoir comme ligne d’horizon que les dividendes au mépris d’une gestion réaliste et pour tout dire à visage humain, ouvre aujourd’hui des plaies béantes. Et une nécessaire remise en question d’une stratégie que d’aucuns qualifiaient voilà peu encore d’incontournable.

 Bruno Le Maire, l’actuel hôte de Bercy, qui ne passe pourtant par un marxiste patenté, indique que le temps est peut-être  venu de revoir notre copie. Il est vrai qu’en plus de la  réelle désaffection de la clientèle apeurée par la contagion,  de nombreuses usines ne disposent plus de matières premiers ou de produits finis, acheminés par containers entiers depuis  Shanghai, Shenzhen, Canton ou Hong-Kong. Pire encore, Pékin,  réactualisant dans un souci mercantile les fameuses routes de la soie,  fait main basse  sur de nombreux ports européens comme à Trieste, au Pirée et ailleurs.  Le but caché ?   Créer des chaines d’approvisionnement  allant de la production   jusqu’à la vente  au détail, en Europe puis dans le monde.  Une offensive qui suscita récemment une réaction  bien tardive de Bruxelles accusant  un rival systémique risquant de pulvériser l’équilibre commercial. La présidente de l’exécutif communautaire  prévoit de hisser l’étendard de la révolte en initiant une « commission géopolitique ».  Riposte bien  ténue. Faiblesse de réaction. Réveil tardif après une coupable somnolence.  Sans verser dans la cruauté, rappelons ce verdict de Clémenceau : Quand on veut enterrer un problème on crée une commission !

Voilà ce que révèle en incidence le Coronavirus, laissant cette vieille Europe, pour citer Villepin,  désarmée et penaude.  Cela n’empêcha pas  le gouvernement de verser dans une attitude politicienne en  dégainant le fameux article quarante-neuf alinéa trois  concernant  le projet de retraite. Ou en maintenant le scrutin municipal.  Au mieux inélégant, et pour tout dire décisions  d’opportunité spéculant qu’en regard de la crise sanitaire elles rencontreraient inertie et silence. La France sous ordonnance ? Sans doute. Mais pas celle des marchands d’illusions. Celle des blouses blanches.  A l’heure où les princes qui nous gouvernent plagient enfin les décisions italiennes et parlent  d’union sacrée, chercheurs et  personnels hospitaliers  sont en première ligne. Eux aussi, sacrifiés sur l’autel de la rentabilité, et des comptes d’apothicaires acceptent d’oublier  dans leur mission altruiste qu’ils furent les parents pauvres de la stratégie gouvernementale. Légataires du service public ils se rappellent au bon souvenir. Car c’est exclusivement de ce grand corps, rendu financièrement malade par d’iniques restrictions,   que dépend la victoire finale de cette guerre contre un ennemi invisible. Le reste n’étant que gesticulations médiatiques et propos accessoires, que le vent de la triste réalité emporte dans l’infini de l’oubli…

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