RÉSILIENCE OU RÉSISTANCE

Dans le langage ordinaire et plus encore celui des médias le mot « résilience » fait florilège au point de se substituer au terme plus simple de « résistance ».

Par Michel Barat, ancien recteur de lAcadémie de Corse

Sans doute la mode linguistique, pour faire savante, nous a habitués à user d’un vocabulaire apparemment scientifique à la place des mots usuels. Ainsi nous entendons constamment dans la bouche des commentateurs télévisuels « narratif » pour dire « récit ». On ne combat plus une « généralisation » abusive mais une « essentialisation » hâtive. Le Trissotin contemporain a quitté les salons pour devenir présentateur de journal télévisé.

Et pourtant ces mots apparemment synonymes ne le sont pas et indiquent même des oppositions sémiologiques. La résilience est un concept psychologique qui décrit comment un individu arrive à se construire ou se reconstruire dans des circonstances traumatiques. Il ne s’agit pas de combattre l’élément traumatique mais d’y survivre positivement après l’avoir subi. Ce concept psychologique a été inauguré au cours du vingtième siècle par Norman Garmezy mais a été popularisé récemment en France grâce à Boris Cyrulnik. Être résilient, c’est être capable de continuer à vivre après un choc qu’il soit physique ou psychologique.

Dabord une acceptation

Ce n’est pas résister à une agression qui a blessé. Bien souvent c’est même accepter ce qui est advenu pour se reconstruire. Une cure psychanalytique, par exemple, n’efface en rien l’événement pathogène et traumatique mais permet de le faire remonter à la conscience et de vivre avec. Vivre avec et vivre bien avec un traumatisme telle est la résilience. Elle implique d’abord qu’on ait accepté la situation, qu’on ait accepté les faits pour pouvoir dépasser le stade de l’abattement et celui de la révolte.

La résilience suppose d’abord une acceptation pour devenir apte à surmonter un traumatisme.

Sous l’occupation allemande, les Français devaient continuer à vivre. Pour le faire, peu ont été dès le début résistants ; peu ont refusé la domination nazie. Le pétainisme sous cet aspect a été une manière de résilience comme l’a été le marché noir. La tendance à la résilience a d’abord été un obstacle à la résistance. En revanche un résistant est celui qui s’est maintenu dans le refus et la révolte et n’a pas cherché à vivre avec mais au contraire a pris le risque de sa vie.

Cela dit, la résilience peut parfois être une forme de résistance face à la disproportion des forces en présence. Les Tchèques dans leur histoire ont résisté à l’occupation soviétique non pas en prenant les armes mais par une passivité civique à la manière du « brave soldat Švejk ».

« Quand les temps sont à la résilience et non à la résistance, le pire peut advenir. À force de faire avec on se réveille avec l’insupportable. »

Facilité linguistique

Substituer résilience à résistance ce n’est pas simplement faire preuve de négligence et de facilité linguistiques, mais, quand cela devient répétitif, cela devient la marque des temps : on ne refuse plus, on ne résiste plus, on fait avec, on fait preuve de résilience. La vertu consiste alors à savoir rebondir quelles que soient les circonstances. Résister est passé alors de mode. C’est ce que certains veulent faire dire un peu rapidement au roman philosophique de Voltaire qui se termine par le conseil de « cultiver son jardin » et pourtant Voltaire sut résister à l’intolérance.

Choisir de résister, en effet, n’est pas facile. Préférer la résilience à la résistance est une pente « humaine, trop humaine ». Il n’en demeure pas moins vrai que quand les temps sont à la résilience et non à la résistance, le pire peut advenir. À force de faire avec on se réveille avec l’insupportable. On assiste au crépuscule des Lumières, au retour de l’obscurantisme. Les ténèbres gagnent comme le désert. Non seulement notre pays mais toute l’Europe se doit de choisir.

Au nom de la République

Si les Européens continuent de préférer la résilience à la résistance, à faire avec toutes les menaces intérieures et extérieures, alors, oui, ils connaîtront de nouveau l’obscurantisme et ensuite le totalitarisme. Ils ressembleront à l’Amérique d’aujourd’hui, celle de Trump qui ne la rend pas plus grande mais la rapetisse.

Cette résistance en France a un nom, elle s’appelle République.

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