RADIOGRAPHIE de la COLÈRE BLANCHE

Le collectif des praticiens libéraux de Corse perd patience.
Regroupant quelque trois cents adhérents, il n’accepte pas le véto par l’Assurance maladie de reconnaître les spécificités de la médecine dans l’île alors que l’Outre-mer enbénéficie depuis longtemps déjà.
Une telle distorsion aggrave encore l’accès aux soins déjà prégnant chez nous.

Par Jean Poletti

Le refus est tombé. Tel un couperet. Il rejette de manière arbitraire les revendications formulées de longue date par le collectif. La future convention médicale ne reconnaîtra pas «le statut île-montagne. L’autorité administrative lui avait pourtant demandé de lui soumettre un dossier étayé. Ce qu’il fit. Ainsi a été une nouvelle fois énuméré le particularisme d’une profession de généralistes. Une distorsion liée notamment aux déserts médicaux et autres contraintes factuelles et structurelles sur lesquels se greffe une revalorisation jugée insuffisante de l’acte. Au-delà du véto, c’est la méthode de la Caisse maladie qui interpelle. Elle parut d’emblée sensible à la problématique et incita les praticiens à lui remettre un cahier des doléances. Ils s’attelèrent à cette opération vérité. Et durant quatre mois listèrent les différences fondamentales, qui à leurs yeux impliquaient tout naturellement une réponse différenciée prenant en compte le panel de différences notables par rapport à l’Hexagone. «Nous avons été floués.», maugrée sans ambages le docteur Cyrille Brunel porte-parole du collectif. Et de supputer que la décision avait été prise et dissimulée bien avant que soient demandées des précisions et l’argumentaire aux plaideurs.

La réalité bafouée

Bref, il s’agit de la confirmation d’un strict alignement à la règlementation nationale. Une sorte de prêt-à-porter médical alors que le simple bon sens, que l’on dit pourtant chose du monde la mieux partagée, nécessite du sur-mesure. Dans ce dossier et sans convoquer le jugement de valeur, chacun est en droit de percevoir que sur le fond et la forme l’organisme de tutelle plaça le dialogue et la transparence aux abonnés absents. Est- il acceptable sur un sujet aussi sensible de

éclamer un audit à la corporation alors qu’en silence le refus était acté, rayant d’un trait de plume le plaidoyer pragmatique et reflétant la réalité ? Cette fin de non-recevoir qualifiée de «double gifle» et de «duperie» suscite une atmosphère de rancœurs et provoque des réactions pouvant avoir de fâcheuses conséquences pour les patients. D’ores et déjà en effet certains médecins annoncèrent prendre leur retraite. D’autres se disent prêts à quitter l’île. Il en est même qui s’apprêtent à sortir du conventionnement. Voilà qui signifierait que les consultations ne seraient plus remboursées. Combien seront-ils à opter pour ce changement radical? Assez nombreux est-il rétorqué. Suffisamment pour dégrader davantage encore l’équité aux soins, qui fonde la doctrine de la politique publique en ce domaine.

Déconventionnent acté

Clairement et en occultant l’euphémisme cette décision instaurerait une santé à deux vitesses. Le malade qui n’est pas en peine de payer pourra consulter immédiatement, tandis que la population aux revenus modestes sera contrainte de s’orienter vers un conventionné, sans espoir d’avoir un rendez-vous rapide. Cette pratique a déjà cours dans plusieurs pays d’Europe, mais rares sont ceux qui auraient imaginé qu’elle touche un jour nos rivages. Dans une île la plus pauvre de France et prise dans la spirale de la précarité qui ne cesse de s’amplifier. Le collectif ne lance pas un avertissement sans frais. Il persiste et signe. La stratégie est initiée et assumée. Avec en point d’orgue ce mois de mars à Bastia la tenue des Assises des médecins généralistes. Un moment pédagogique pour expliciter les mutations qu’ils sont contraints d’opérer en réaction à l’attitude de l’institution nationale. Tout naturellement, les débats rejoignent à maints

égards les carences de l’offre médicale insulaire publique et privée. Car transcendant le déni à l’endroit des généralistes, les dysfonctionnements embrasent l’ensemble des prestations pénalisées par l’inadaptation criante.

Ministère claquemuré

Ainsi, s’agissant du nouvel hôpital de Bastia l’expectative prévaut. Celui de Falconaja est vétuste et ne peut répondre aux besoins de la moitié de la population insulaire. Les cris d’alarme sont nombreux. Le fameux Ségur de la santé n’eut pas chez nous les résultats escomptés. De promesses en atermoiements, les réalisations nécessaires jouent l’Arlésienne. Dans ce dossier aussi l’attentisme du ministère concerné prend l’apparence d’un abandon sans autre forme de procès. Des urgences en passant par l’ensemble des services, les personnels tentent par une disponibilité sans faille à juguler, autant que faire se peut, un dispositif obsolète. Il ne peut plus absorber les besoins que sont en droit d’attendre ceux qui sont admis sur des lits de douleur. Une association de défense des usagers s’est constituée, elle clame une authentique remise à niveau, prône avec d’autres la création d’un centre flambant neuf. La mairie offre gracieusement un terrain

pour aider à cette innovation. Des rapports se succèdent, demeurant lettres mortes sur un bureau des éphémères ministres qui sitôt assis dans leur fauteuil sont remplacés ou démissionnent. Difficile devant cette valse des portefeuilles de trouver un interlocuteur fiable. Il faut sans cesse remettre sur le métier l’ouvrage. Expliciter à perdre haleine les impératifs au gré des interlocuteurs sans cesse renouvelés, qui écoutent d’une oreille distraite les démonstrations éculées à force d’être employées.

Législation méprisée

Un scénario qui se retrouve également dans l’avènement d’un Centre hospitalier universitairequiprendaufildesanslestraits d’un mirage. Pourtant la Corse est la seule et unique région de métropole et d’Outre- mer à en être privé. Dérogeant ainsi malgré elle aux principes de la loi Debré prévoyant une telle unité dans chaque région, suivant

le découpage administratif en vigueur. Mais ici, on nous impose une spécificité inique tant refusée dans d’autres domaines. Alors que par exemple Angers et Nantes possèdent deux CHU tout comme Montpellier et Nîmes ou encore Brest et Rennes. Vérité au-delà, erreur en deçà. Par quelle curieuse alchimie notre île est-elle privée d’une structure au mépris de la législation? Par quel curieux hasard des agglomérations dont la population n’excède pas la nôtre disposent depuis fort longtemps d’un tel établissement ici interdit ? L’entendement chancelle devant ce fameux cas de non-droit caractérisé. Bien sûr, édiles et représentants de la société civile donnent de la voix et des motions. Praticiens insulaires et continentaux dénoncent. Nos quatre députés, tels des Mousquetaires, portent le fer au Palais Bourbon. Ils essuient en retour des réponses laconiques aux accents d’éléments de langage systématiquement ressortis des tiroirs sans l’once d’une nouveauté. Vous

avez dit force d’inertie? Cécité volontaire? Sédatif du dédain? En terre continentale, nombre de CHU opérationnels reçoivent au fil des budgets de confortables subventions pour en améliorer le fonctionnement ou dans un but de restructuration. Mais tandis que l’opulence et le «quoi qu’il en coûte» est d’actualité sous d’autres cieux, ici prévaut le règne de la portion congrue.

Vision amputée

Inutile d’épiloguer plus avant pour dire que ces trois cas d’école attestent que dans le domaine de la santé aussi la vision parisienne s’habille d’un arbitraire qui entachent les principes cardinaux de la République. Dont l’on nous rebat par ailleurs les oreilles depuis les salons lambrissés et les allées du pouvoir. Et pendant ce temps-là, tout un pan de la ruralité manque cruellement de praticiens. Les normes nationales de la distance pour accéder à un centre de soin relèvent ici de l’utopie. Les plateaux techniques sont fréquemment en retard de nouveauté faute de remplacement. Passer un scanner et autre IRM nécessite de ronger son frein. Rarement le qualificatif de patient n’aura été si approprié! Et la nave va. Sans que les mouvances étatiques ou institutionnelles autorisées ne daignent décrypter une problématique dans sa globalité. Pourtant, il s’agit d’une mission cardinale, qui rejoint le sacro-saint principe d’égalité des citoyens du traitement des maladies. Si certains sont privilégiés par rapport à d’autres, la rupture est non seulement médicale mais également morale et occulte le concept même d’humanité.

La thérapie de l’avion

Le sort fait à la Corse est indécent. Il laisse affleurer le proverbe Baccala per Corsica en mettant une population à une homéopathie contrainte. Il n’est que temps de faire entendre raison à ceux qui sur les bords de la Seine font la sourde oreille. Sans aller jusqu’à employer le terme d’ostracisme, il n’est pas usurpé d’avancer que la santé ne peut plus se satisfaire d’être laissée sur le bord du chemin et vouée à cette indigence trop longtemps mise sous l’éteignoir. À moins que de guerre lasse les malades confortent l’adage «Le meilleur médecin, c’est l’avion.» Est-ce cela l’avenir d’une île qui se targue par ailleurs de s’ériger en autonomie? Osons espérer que le pire ne sera pas sûr. Pour inverser cette situation, il conviendrait que s’instaure et s’amplifie une démarche populaire qui créerait une force de pression telle que l’ignorer serait difficilement tenable par la capitale.

Riposte citoyenne

Dans le même temps une telle révolution citoyenne, nourrie de pétitions et de rassemblements, donnerait encore plus d’envergure aux élus dans leurs entrevues avec ceux qui se sont engoncés dans une torpeur sinon condamnable à tout le moins irresponsable.

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