O Schwarzy, parlà mi corsu !

Terminator 2 L’Ultima Sintenza, da Fiura Mossa

Pour beaucoup, il s’agit d’un rêve qui paraissait voilà peu encore inaccessible. Pourtant, celui-ci s’apprête bel et bien à devenir réalité, à partir du 7 décembre dans les salles obscures de l’île, grâce à l’engagement et au travail exemplaire de Fiura Mossa dont le but consiste en la réalisation de doublages en langue corse d’œuvres télévisuelles, cinématographiques ainsi qu’en la traduction de bandes dessinées à destination des plus jeunes. S’attaquer au blockbuster culte de James Cameron Terminator 2 : Le Jugement Dernier, une aventure exaltante pour les membres de l’association présidée par Sylvain Giannecchini, qui revêt un indéniable caractère stratégique en matière d’apprentissage et de promotion linguistique… Comme l’explique Jean-Yves Casalta, enseignant en langue et culture corse, et pilier de la démarche.

Propos recueillis par Petru Altiani

Jean-Yves Casalta, comment ce projet, un peu fou, de doubler le film culte Terminator 2 : Le Jugement Dernier de James Cameron en langue corse est-il né ?

Nous voulions proposer un film inattendu pour fêter les 10 ans de notre association, un film connu de tous qui soit une référence dans son genre. Terminator 2 a marqué toute une époque, c’est un classique de la pop culture qui a très bien vieilli et qui parle encore aux générations actuelles. Nous avons donc sollicité Studiocanal qui en détient les droits aux côtés de nos amis bretons et occitans des associations Dizale et Conta’m. Nous nous étions toujours dit qu’il fallait un jour essayer une demande groupée afin d’avoir plus de poids et optimiser nos chances de décrocher un film de cette envergure. Ne dit-on pas « Forti seremu s’è uniti semu ! » ? Studiocanal a été réceptif à cette demande, ils l’ont également fait remonter aux USA et cela a été accepté. Il existe donc désormais une version bretonne, une autre occitane et enfin une corse du film Terminator 2 de James Cameron !

Quelle organisation ce projet a-t-il impliqué ?

Pour l’aspect juridique, nous avons fait un contrat avec Studiocanal afin de pouvoir proposer une vingtaine de séances en salles de cinéma pour les scolaires ainsi qu’une édition en Blu-ray/DVD du film. Ce projet s’intègre dans un projet structurant plus global pour l’association qui est la création d’un studio d’enregistrement configuré spécialement pour la post-synchronisation. Nous avons donc reçu le soutien de la CDC et de l’Adec pour que cet outil performant au service de l’épanouissement du corse dans l’espace audiovisuel puisse voir le jour.

Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans l’adaptation des dialogues en langue corse ?

L’adaptation doit rester fidèle au sens mais elle ne peut en aucun cas être une traduction stricte car il faut aussi que le texte final soit synchrone avec les mouvements labiaux des comédiens afin de créer l’illusion qu’Arnold Schwarzenegger ou Linda Hamilton parlent corse. Pour un film emblématique comme Terminator 2, il y a aussi des répliques cultes qui doivent également « sonner juste » en corse afin de tenir la comparaison avec d’autres adaptations.

Quelles sont les voix corses qui ont été mises à contribution ?

Tous les comédiens ont été choisis suite à un casting organisé en janvier 2020, à l’exception notable du rôle du Terminator incarné par Arnold Schwarzenegger qui a été attribué à André Dominici avec qui nous avions déjà travaillé dans le passé et qui possède « la » voix que nous recherchions. Les autres personnages importants du film ont été doublés par Laetitia Damiani (Sarah Connor), Andria Casalta (John Connor), Philippe Ambrosini (le docteur Silberman), Éric Barre (Miles Dyson), Régis Martini (le T1000), Marine Raffalli et Jean-Philippe Salge (Janelle et Todd Voight, les parents adoptifs de John) et enfin Clemente Geronimi (Tim, l’ami de John).

Dans le teaser que vous avez dévoilé sur les réseaux sociaux, le fameux « I’ll be back » devient ainsi « Aghju da vultà » et ne perd en rien de sa saveur ! Rester dans l’esprit de l’œuvre originale, c’était pour vous essentiel ?

Comme je le disais précédemment, le film fourmille de répliques cultes que les fans connaissent par cœur, il est donc capital de les traduire de façon à ce que le public corsophone (ou non) puisse se les approprier sans peine. Seul le fameux « Hasta la vista, baby » est resté en espagnol comme cela a été le cas dans toutes les adaptations du film à travers le monde (à l’exception de la version espagnole où il parle alors en japonais « Sayonara, baby »).

Après 10 ans d’activité, avec Fiura Mossa, quel bilan dressez-vous ?

Les retours enthousiastes que nous témoignent parents, enseignants ou simples amoureux de la langue corse nous laissent à penser que ce bilan est bon. Tout d’abord parce qu’un film ou un dessin animé est un excellent support pour apprendre la langue en situation auto-immersive mais également parce que l’audiovisuel valorise fortement l’image que notre jeunesse peut avoir de sa langue qui est souvent perçue comme passéiste. Aller au cinéma pour voir un film en langue corse avec sa classe, c’est aussi pour l’enfant de manière subjective assimiler l’idée que le corse est bien une langue actuelle et moderne à la fois.

Vos précédents doublages concernaient plutôt des dessins animés tels que Yakari, Gruffalo ou encore Le Chant de la Mer, avec un blockbuster comme Terminator 2 votre association franchit un nouveau cap… Un cap majeur ?

Un cap majeur au niveau de la communication et du symbole sans doute, ne serait-ce que par l’audience que l’annonce du doublage de ce film engendre autour de nous. Également parce que pour la première fois un de notre projet s’adresse à un public d’adultes (ou d’adolescents âgés de plus de 12 ans) avec un film de James Cameron. Cependant, nous n’oublions pas que les précédents projets que vous avez évoqués sont importants car ils s’adressent d’abord aux enfants et nous restons convaincus qu’il faut les accompagner au mieux dans l’apprentissage de la langue corse, notamment parce que de nombreuses familles ne sont hélas plus en mesure de le faire.

Les dessins animés, le cinéma, deux champs à investir davantage, selon vous, pour la promotion et le développement de l’apprentissage de la langue corse ?

Oui complètement, on pourrait également rajouter celui des jeux vidéo ou des Youtubeurs pour coller parfaitement à notre époque. Que ce soit par l’entremise du doublage ou de la création insulaire, l’audiovisuel a un rôle crucial à jouer. Dans la réalisation de tels projets, il ne faut pas oublier que la maîtrise de la langue devient aussi une compétence indispensable pour le comédien, c’est un critère de sélection lors de nos castings. Il y a donc une motivation supplémentaire à se mettre au corse pour toute personne intéressée par le doublage. Pour en revenir à Terminator, on peut finalement se dire : « Si même Schwarzy se met à parler corse, pourquoi n’en serais-je pas capable moi aussi ? »

Sur quels partenariats pouvez-vous vous appuyer dans votre démarche ?

Nos partenaires financiers sont la CDC ainsi que l’Adec. Il faut aussi citer la chaîne ViaStella qui a toujours joué le jeu en diffusant les différents dessins animés que nous avons doublés depuis 10 ans. Nous pouvons également citer la Mairie de Bastia ainsi que le Centre Culturel Una Volta qui nous ont beaucoup aidés pour trouver un local où implanter notre studio d’enregistrement. Enfin, nous restons fréquemment en contact avec les associations bretonnes et occitanes Dizale et Conta’m pour partager nos expériences respectives. Que l’occasion nous soit donnée à travers cet entretien pour les remercier tous chaleureusement.

Le lien entre Fiura Mossa et les publics scolaires est important. Comment votre action s’articule-t-elle à ce niveau ?

Nous voulons notre démarche avant tout pédagogique. C’est pour cela que nous avons organisé l’opération Cinemascola en 2018 qui a consisté à programmer le film U Cantu di u Mare pour les scolaires dans 10 salles de cinéma à travers la Corse. Plus de 4 000 enfants ont ainsi pu le découvrir. Nous ambitionnons de pérenniser l’expérience avec nos futurs projets en essayant de toucher toutes les tranches d’âges, de la maternelle jusqu’au lycée. Enfin, nous espérons pouvoir organiser également des ateliers de doublage dans notre studio à Bastia.

De combien de personnes se compose l’équipe de l’association Fiura Mossa ?

L’équipe se compose d’une dizaine de personnes qui interviennent à des degrés divers mais nous sommes trois à être très impliqués dans le suivi des projets : Sylvain Giannecchini notre président, Petru Alfonsi qui est notre salarié depuis le mois de mars et enfin moi-même.

Quels sont vos projets ?

Tout d’abord bien préparer la sortie en salles « tout public » de Terminator 2 L’Ultima Sintenza à partir du 7 décembre 2020 au cinéma Le Régent à Bastia puis dans d’autres salles à travers l’île. Nous animerons également à Bastia des ateliers de doublages dans le cadre de A Festa di a Lingua. Nous sommes également en train de travailler à l’adaptation de deux films d’animation : E Fole Ritrose (Un conte peut en cacher un autre, en version française) ainsi que Steccu Umanu (Monsieur Bout de Bois). Tous ces films seront proposés aux scolaires pour une édition Cinemascola 2021, si toutefois la situation sanitaire nous le permet, puis édités en DVD/Blu-ray. Enfin, nous sommes en discussion pour obtenir les droits sur d’autres œuvres mais il serait prématuré d’en dire plus pour le moment…

Savoir +

Association Fiura Mossa

06 87 24 89 48 / https://www.fiuramossa.com/

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