Nouvelles priorités nationales
La Corse tributaire de la valse gouvernementale

Le changement dans la continuité ? Sébastien Lecornu a promis la rupture. Mais une telle assertion liminaire fut-elle sincère renvoie à de multiples inconnues parlementaires nourries par un climat d’extrême méfiance. Une nouvelle fois, l’île est dans l’expectative. Au-delà des problématiques nationales, quel sera le sort réservé à la question institutionnelle mais aussi aux transferts budgétaires. Parmi eux figurent entre autres la continuité territoriale et les subventions aux collectivités.
Par Jean Poletti
La situation est paradoxale. Alors que dans la rue et au sein de l’Assemblée nationale se manifeste une volonté d’en finir avec l’actuelle politique élyséenne, Macron choisit le plus intime de sa garde rapprochée pour occuper Matignon et mener une politique radicalement différente. N’est-ce que poudre aux yeux ou véritable révolution de palais ? Par quelle curieuse alchimie le Président même singulièrement affaibli acceptera que sa doctrine soit jetée par-dessus les moulins ? En incidence même dans cette hypothèse son premier ministre parviendra-t-il à rassembler des forces disparates, fut-ce sur un programme commun le plus modeste qu’il soit ? Telle est l’équation aux multiples inconnues qui désormais bordent les allées du pouvoir qui a perdu son aura et laissé en chemin l’essentiel de son autorité. Rétablir une confiance brisée. Redonner ses lettres de noblesse au compromis qui n’a nulle parenté avec la compromission. Voilà le socle sans lequel rien de concret ne se bâtira. Cela implique, au-delà de tenter de résoudre la déroute économique financière et sociétale, que dans sa fin de mandat le Président ne rechigne pas à l’autocritique. Voilà l’élément psychologique peu ou pas souligné et qui pourtant est l’indispensable sésame pour un éventuel sursaut collectif bâti sur le renouveau. Mais nul besoin de convoquer Freud ou Lacan pour affirmer qu’un tel exercice mental n’est pas aisé pour qui se targue d’être au gré des périodes Jupiter ou Vulcain. Tel est le nœud gordien qui devra être tranché, en adoptant la célèbre maxime de Molière « La parfaite raison fuit toute extrémité et veut que l’on soit sage avec sobriété. »
Les élus qu’on mérite
Aussi le béotien s’interroge à l’envi sur le véritable mandat assigné au chef du gouvernement. Et quand bien même il aurait les coudées franches, aura-t-il l’envergure pour naviguer jusqu’aux rivages du consensus. L’habileté ne suffira pas, il faudra comme le disait naguère le syndicaliste Bergeron du grain à moudre. Ceux qui étaient auréolés du titre de négociateur ou de madré à l’image de Michel Barnier ou François Bayrou l’apprirent à leurs dépens. L’un fit un passage éclair et tomba sans panache après avoir été le vassal de circonstance de Marine Le Pen. L’autre ne voulant pas subir un épilogue similaire voulut contourner l’obstacle infranchissable en tentant de sortir par le haut. Mais là aussi n’est pas Mendès France qui veut et son baroud qui se voulait d’honneur s’acheva en une sorte de commedia dell’arte. Triste République faite de jeux interdits alors que le pays croule sous les dangers, aux lisières d’une faillite et de la fracture sociale que dénonça en son temps Jacques Chirac. Faut-il dans ce florilège malheureux se remémorer l’assertion de François Fillon lors d’un déplacement en terre insulaire « Je suis à la tête d’un État en faillite » ? Mais l’homme qui aimait se faire offrir costumes et montres tout en confondant attaché parlementaire et petite entreprise familiale fut rattrapé par la justice alors que les sondages le donnaient possible vainqueur à la présidentielle.
Ainsi va la haute sphère politique. Faite de faux sauveurs dissimulés derrière leurs prébendes ou credo improbables. Mais en l’occurrence, il convient sans esprit de flagellation se souvenir du mot de François Mitterrand : « On a les élus que l’on mérite. » Précepte sans doute valable aujourd’hui et vraisemblablement demain.
Onde de choc annoncée
Ces quelques digressions, par définitions parcellaires, sont utiles pour fixer les esprits. Elles indiquent en creux mais de manière probante que l’insularité ne préserve nullement, tant s’en faut des secousses, cassures et fuite en avant désespérée d’un pouvoir aux abois. Inévitablement l’onde de choc frappera nos côtes. L’essentiel étant de savoir avec quelle intensité. Car en ces périodes d’incertitudes nul n’est épargné et ce sont bien évidemment les régions déjà fragiles qui ont le plus de mal à supporter le choc. Tandis que les dossiers ouverts et diverses subventions répondant à la continuité de l’État risquent d’être écornés par le spectre des sévères restrictions budgétaires.
Le projet d’autonomie devient un véritable serpent de mer. L’eau a coulé sous les ponts charriant les incertitudes. Il y a loin en effet où Macron lors de sa première campagne présidentielle vint annoncer sa démarche girondine et en corollaire son adhésion à une nouvelle avancée institutionnelle. Au début de son mandat, il eut pu lancer le chantier avec quelque chance de succès car il avait alors une majorité au Palais Bourbon. Simple expectative ? Le croire benoîtement s’avèrerait restrictif. Il fallut en effet le guet-apens fatal à Yvan Colonna par un codétenu islamiste pour que Gérald Darmanin vint réactiver l’idée d’autonomie pour tenter d’apaiser la révolte de la jeunesse. Dès lors, la comparaison avec les statuts Defferre et Joxe permet de dire, en bannissant tout jugement de valeur, qu’ils procédaient d’une volonté politique de François Mitterrand, alors que celle du missi dominici dépêché en urgence répondait à d’autres considérations. Une différence notable même si le ministre de l’Intérieur devenu garde des sceaux démissionnaire mit du cœur à l’ouvrage en faveur du projet. Son successeur Place Beauvau partisan de la République une et indivisible n’hérita pas du dossier Corse. Si tel avait été le cas, nul doute que Bruno Retailleau eut au mieux classé ce dossier dans les affaires annexes, tout en s’employant à le renvoyer aux calendes grecques. Rejoignant ainsi la position de son ancien collègue et ami du Sénat : Gérard Larcher.
Le cas Rebsamen
Fort heureusement pour le camp évolutionniste fédéré par Gilles Simeoni, ce fut François Rebsamen qui prit le relais. Celui qui fut le conseiller de Pierre Joxe demeura un ardent défenseur d’officialiser le particularisme insulaire et de l’inscrire dans le marbre constitutionnel. Dans un volontarisme d’airain, il considéra comme nulles et non avenues les réserves du Conseil d’État et s’en tint à la mouture initiale cosignée par l’Assemblée de Corse. Cela fit grincer des dents au sein même du gouvernement, certains évoquant à bas bruit une flagrante atteinte à la plus haute juridiction administrative. Tandis que Alexis Kohler alors puissant secrétaire général de l’Élysée par sa proximité avec Emmanuel Macron dit en aparté a un groupe de députés d’En Marche « Ne vous inquiétez pas, ils n’auront rien. » Propos gratuit sans lendemain ? Peut-être. Mais cela indique en incidence que les réticences n’épargnaient pas l’épicentre du pouvoir.
Dans ce parcours à tout le moins chaotique d’une plausible réforme, il convient de mettre en exergue un fait pouvant paraître accessoire, mais ayant toutefois son importance. Rebsamen n’était nullement en odeur de sainteté certes à droite mais aussi au Parti socialiste. Du côté du Poing et de la Rose, des responsables le vouaient aux gémonies pour avoir délaissé ses camarades pour devenir un compagnon de route du macronisme. Devant de telles jérémiades Lecornu qui entend s’appuyer sur le centre gauche se trouva d’emblée confronté à une alternative. Entendre les doléances et sacrifier Rebsamen ou passer outre au risque d’ajouter aux tensions. Sans être médiatisé, ce dessous des cartes serait un élément pouvant à la marge constituer un obstacle supplémentaire à la quête, sinon unioniste, à tout le moins susceptible d’éviter une motion de censure.
Le processus au creux de la vague
Dans cet écheveau qui nous concerne directement osons dire que l’affaire se corse davantage encore. Hormis ces péripéties multiples et variées, une double interrogation se profile. D’une part qui peut assurer sans crainte d’erreur que le chapitre autonomie sera toujours d’une grande acuité à Matignon ? D’autre part quand bien même cela était le cas la réponse immuable incombera d’abord aux deux parlements, puis au congrès les réunissant à Versailles et nécessitant une majorité des trois cinquièmes.
Dans cette grisaille peu engageante se profile cependant une petite éclaircie. En effet, Lecornu reçut les élus du groupe Liot dont font partie, nul ne l’ignore, Michel Castellani et Paul-André Colombani. Un signe d’en finir avec le jacobinisme parisien ? D’ouvrir le chantier de la décentralisation ? De cet un échange les deux députés retinrent que leur interlocuteur se montra favorable au processus institutionnel insulaire. Un propos qui s’inscrit sans conteste dans le droit fil élyséen, mais qui en regard des circonstances ressemble étrangement à une simple déclaration d’intention. Dans un aveu aux échos de sincérité, Lecornu affirme être le Premier ministre le plus faible de la cinquième République. Aussi dire que sa marge de manœuvre dans ce dossier comme dans d’autres est ténue relève de la litote. Sa feuille de route est tellement parsemée d’obstacles, divers et variés, que ses assertions s’apparentent à tirer des plans sur la comète sans qu’il puisse en prédire l’esquisse du début d’une réalisation.
Si Cozzano m’était conté
Aussi, focaliser comme le font certains sur la volonté gouvernementale relève de la vision tronquée. Le pouvoir d’adouber ou de rejeter la démarche appartient exclusivement à l’Assemblée nationale et au Sénat. On sait que ce dernier prône sans ambages le statu quo. Tandis la première est percluse d’inconnues tant elle est morcelée et qu’un tel sujet pourrait transcender la discipline de vote même dans l’hypothèse ou un conglomérat dit de non censure s’esquissait.
Bref, chacun admet que celui qui s’occupait de la grande muette essuie un véritable baptême du feu en endossant l’uniforme de Premier ministre. Faut-il rappeler qu’il gagna ses galons en initiant et organisant le cycle du grand débat national dévolu à faire oublier la crise dite des Gilets jaunes ? Macron alors déstabilisé lui en fut gré. À ce titre, tous deux se revirent d’ailleurs à Cozzano. Une première officielle dans l’île pour Lecornu, en marge de vacances estivales en compagnie de Darmanin lors d’une location d’une villa près du Golfe de Lava que gère Christelle Godani compagne de Gilbert Casanova.
En incidence, se posera une fois encore la fameuse rallonge de l’enveloppe dite de continuité territoriale. N’étant pas sacralisée, elle est tributaire du bon vouloir des députés. L’an dernier cinquante millions d’euros furent accordés. Qu’en sera-t-il cette fois ? Entre budgets contraints et comptes d’apothicaire cette somme sera-t-elle reconduite ? Sans jouer les Cassandre rien n’interdit de remarquer que précédemment déjà il fallut toute la ténacité des parlementaires nationalistes et de Laurent Marcangeli pour que cette somme tomba dans l’escarcelle insulaire. Il fallut aussi la mobilisation des salariés du maritime, de l’aérien et des chambres consulaires pour obtenir satisfaction.
L’île orpheline
Dans le climat actuel s’instaure un leitmotiv peu encourageant consistant à faire mieux avec moins ou sans dépense supplémentaire. Cela vaut pour maints sujets, même si demeure le secret espoir que notre service public aérien et maritime ne sombre pas dans cette doxa, corollaire de comptes publics avoisinant la cessation de paiement.
Par ailleurs, à l’heure des réductions annoncées les subventions aux collectivités locales ou territoriales seront-elles singulièrement réduites mettant ici et là des programmes à l’arrêt ? Qu’en sera-t-il des projets intercommunaux, du nécessaire investissement dans le rural qui peine déjà à survivre. Et des opérations factuelles de maires tentant d’enrayer l’exode de ceux qui s’accrochent encore à leurs villages.
Devant toutes ces contingences, la lucidité commande à dire que le dossier Corse ne relève plus de la priorité, si tant est qu’elle le fut depuis les avancées du pouvoir socialiste. Cette fois elle pourrait être, comme d’autres régions, logée à l’enseigne de la frugalité. Si tel était le cas nul doute que le coup de massue serait plus sévère ici qu’en des lieux ou malgré tout la vitalité est encore perceptible. Mais nul besoin de rouvrir le domaine des évidences pour admettre que l’île traverse des turbulences majeures fondant dans un même creuset économie et social. L’État providence même atténué est vital ici. La population ne peut se satisfaire de l’État gendarme, même si celui-ci relève de la nécessité.
Tous touchés
Rares sont ceux à qui il faut déciller les yeux pour qu’ils voient clairement que des coupes claires dans les transferts budgétaires provoqueraient, en implacable effet, une paupérisation accrue, proche de l’insoutenable. Gel des retraites, aide à l’apprentissage rognée, nouvelle année budgétaire blanche, absence de programmes dans les travaux publics, cruelle inadéquation entre coût de la vie plus élevé qu’ailleurs et revenus plus faibles. Tel est finalement le constat et ses plausibles perspectives. Une dichotomie qui n’incite nullement à la sérénité. Rendant aléatoire jusqu’aux bons principes et louables sentiments du successeur de l’éphémère Bayrou, ayant lui-même occupé le fauteuil du météore Barnier. Siège éjectable ? Jamais deux sans trois, dit la maxime populaire. Si cela devait être inscrit dans le marbre, l’équation actuellement ardue de la Corse deviendrait critique. Elle renverrait à un futur aléatoire les quelques espérances de conserver, fut-ce partiellement, une part des subsides étatiques.
Le pire n’est jamais sûr, mais il couve tel le feu sous les cendres. Ce qui semblait être des droits acquis, ou au pire des moyens financiers provisoires régulièrement reconduits, pourraient cette fois buter sur l’obstacle de la réduction des déficits qui clouent la France au pilori. Supposer que l’onde de choc d’une telle débâcle épargnerait l’île relève de l’optimisme béat. Elle sera inévitablement perceptible, reste à savoir qu’elle en sera la violence. Tout le reste étant à reléguer dans le domaine de l’utopie ou l’absence de réalisme. D’ailleurs de manière explicite ou confuse population, socioprofessionnels et classe politique sont plongés dans une réelle crainte. Le petit entrepreneur renonce à recruter. Les carnets de commande dans la construction affichent des pages blanches. Le salarié ne parvenant plus à joindre les deux bouts et en ombre portée le risque d’un décrochage de l’ensemble de l’activité tant chez nous l’économie est captive et interdépendante. Elle ne supportera pas un nouveau coup de rabot.
Le vice-roi est nu
Le terme de paupérisation, qui semble écorcher certaines lèvres préférant l’euphémisme, peut rapidement devenir d’une criante évidence. Car au risque de s’appesantir dans la redite notre communauté est si friable qu’elle ne supportera pas le remède de cheval concocté pour le pays. Dont le discours de politique général devrait donner un aperçu. Certes la ciguë de quarante-quatre milliards imaginée sans concertation par l’homme de Pau sera vraisemblablement atténuée. Mais tout indique que le remède que tente à grand peine d’initier le nouveau Premier ministre se heurte à des oppositions contraires, qui constituent un front du refus. D’un côté les forces syndicales affirmant en chœur et selon la formule « qu’il n’y pas de grain à moudre ». De l’autre le grand patronat refusant une taxation supplémentaire. Le chemin est d’autant plus périlleux que celui qui parle de rupture est un vice-roi nu. Il ne peut compter sur aucune majorité au Palais Bourbon où les troupes macronistes ont fondu comme neige au soleil au lendemain de la dissolution. Voilà détour qui inlassablement ramène la réflexion à l’essentiel. Nous sommes entrés dans un régime d’assemblée, qui rappelle à maints égards à la défunte quatrième république. Elle avait droit de vie et de mort sur les gouvernements. Un tel scénario est redevenu d’actualité.
Sans explorer dans ses diverses probabilités les mesures générales qui seront concoctées pour l’Hexagone, la préoccupation insulaire préoccupe naturellement sa communauté. De manière triviale nombreux sont ceux qui maugréent à quelle sauce allons-nous être mangés ?
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