Manghjà corsu
Agri’Cultura cullettiva
Se différencier pour agir AltriMente
Initiée, il y a tout juste un an, l’Associu di i Paisani Corsi regroupe Casgiu Casanu, Robba Paisana et l’Associu di i pruduttori Taravu Valincu Sartinese. Ils ont décidé en janvier dernier de se fédérer autour d’une marque collective pour mettre en avant la production agricole fermière, sur le modèle basque qui a élaboré la charte de production fermière : Idoki, il y a près de 30 ans.
Par Vannina Angelini-Buresi
Ce qui les a réunis autour de ce nouveau projet de label, c’est le besoin de valoriser les produits fermiers et les savoir-faire, pouvoir les distinguer des autres, était leur objectif. Souvent cloisonnée dans des filières sur le modèle qui est porté en France, l’agriculture fermière en Corse doit se démarquer pour être mieux comprise par le consommateur et ne plus se contenter d’être seulement protégée par des symboles de qualités tels que l’Appellation d’origine protégée (AOP) et l’Appellation d’origine contrôlée (AOC), de plus ces appellations n’existent pas sur tous les produits comme par exemple, le fromage.
Les produits dits « de Corse » ou « corses » et parfois même ceux seulement « affinés en Corse » sèment le trouble sur les étals et perturbent le consommateur qui ne recherche que l’authenticité. La Corse, malgré elle, a comme héritage une société agropastorale que l’on a essayée pendant de nombreuses années de préserver, de perpétuer et qui est plus que jamais en danger aujourd’hui. Et où règnent incompréhension et confusion.
Court-circuiter les filières, une nécessité
La Corse est une terre d’agriculture, elle est riche de ses espaces, autrefois tous entretenus et cultivés. Cette terre de bergers ne peut nier son histoire passée ni ses ressources agropastorales. Au moment où il est question de projet de société, d’avenir, on ne peut se contenter du modèle actuel. Il faut être ambitieux pour « se construire » autrement, de se développer et s’épanouir en conservant sa culture et son identité propre. Cela implique d’harmoniser tradition et modernité. Il ne s’agit pas là d’un retour en arrière mais seulement de se réapproprier les gestes ancestraux et les appliquer avec la possibilité de travailler dans de meilleures conditions. C’est en ce sens que veulent s’organiser les membres de l’Associu di i Paisani Corsi.
Les filières et leurs symboles de qualité français et européens ont été mis en place pour protéger les races locales, les différentes variétés et les savoir-faire du terroir. Ils ont leur utilité bien souvent dans le domaine de l’exportation du produit. Cependant, le consommateur local recherche plus de garanties, il se soucie surtout de savoir comment il est fait et où. Nelly Lazarini est installée en élevage caprin, au-dessus de Nocetta, elle est la présidente de l’APC et de Casgiu Casanu également, deux associations qui valorisent et défendent la production fermière. « Pour peupler la Corse, il faut qu’il y ait de petites exploitations agricoles fermières », dit-elle. Nelly Lazarini ne dit pas se battre et multiplier les initiatives pour contrer les industriels loin de là, mais elle milite pour préserver et identifier un « sapè fà » qui lui a été enseigné il y a plus de 20 ans par son oncle et son mari, elle qui n’est pourtant pas d’ici a voulu et continue à travailler ainsi. Ces savoir-faire sont en lien avec les territoires, ils s’adaptent au lieu et au climat et à la saisonnalité « je ne me suis pas posé de question, pour moi il fallait reproduire ce qui s’était toujours fait ici ». Élever des chèvres corses adaptées à leur territoire, pratiquer encore aujourd’hui A Muntagnera, sont des choix qui se retrouvent dans la qualité de ses produits transformés. Vouloir préserver une tradition ancestrale n’est pas une vision passéiste de l’agriculture bien au contraire. C’est une démarche sociétale d’occuper le rural, les lieux et les villages. « Nous, petits exploitants agricoles fermiers, on occupe l’espace, on entretient les sentiers et faisons bien d’autres choses encore. »
Éthique et philosophie
Pour Magali Ori Sayag, présidente de l’association qui a ouvert la boutique Robba Paisana à Corti, la marque collective c’est avant tout une éthique et une philosophie. « J’ai besoin à ma petite échelle de laisser quelque chose à la Corse. La philosophie de Robba Paisana, et aujourd’hui de la marque, c’est la cohérence dans les démarches quelles qu’elles soient. » Magali est éleveuse porcine avec son mari Stéphane, ils sont à la tête de l’exploitation « A Stella » à Corti, et si aujourd’hui se sont installés aux quatre coins de l’île des magasins associatifs de producteurs, c’est un peu grâce à eux. Il y a maintenant huit ans, ils ont créé le premier magasin qui regroupe tous les adhérents de l’association qui porte le même nom. Un magasin ouvert toute l’année qui a su grâce à son concept redonner l’habitude aux consommateurs de se nourrir en fonction des saisons, plus sainement et en circuit court. Proposer, en toute transparence à leurs clients, des produits du terroir parfois délaissés. Ce n’est pas l’aspect économique qui oriente leurs décisions ou plutôt ce n’est pas le facteur déterminant de toutes leurs démarches mais pour les quatre-vingt adhérents de l’Associu Robba Paisana aujourd’hui « apporteurs » au magasin, c’est le lien social et la reconnaissance de la qualité de leur travail.
Des producteurs triés et choisis en fonction des matières premières qu’ils utilisent, avec la garantie qu’ils les produisent pour la transformation, lait, viande… Et pour les artisans présents dans la boutique, il en est de même. Dans la mesure du possible. Mais le respect de la charte et le savoir-faire sont leur ticket d’entrée.
Magali et Stéphane sont des précurseurs car depuis 2015 d’autres agriculteurs se sont également regroupés pour ouvrir eux aussi leur marché permanent sur le modèle de Robba Paisana. À Petrettu, on retrouve le même type de magasin qui a rejoint leur démarche et plus récemment se sont organisés d’autres producteurs indépendants à Purtivechju et à Aiacciu avec deux nouvelles enseignes.
Un modèle qui a donc fait ses preuves, où la clientèle peut rencontrer les producteurs qui assurent à tour de rôle des permanences. C’est tout au long de l’année que l’on peut découvrir des produits issus d’exploitations à taille humaine et derrière, des agriculteurs qui travaillent de façon écoresponsable.
D’induva vene u prudottu è cumu hè fattu
Pour rejoindre Robba Paisana aujourd’hui et avoir une visibilité au sein de leur structure, il convient de proposer un produit fermier issu de la production d’un agriculteur déclaré, qui transforme sa matière première et présente un produit de qualité. « On est obligé de refuser ceux qui ne remplissent pas ces conditions », confie Magali Sayag.
La production agricole qui remplit ces critères, offre une garantie de traçabilité du produit, elle se différencie de ce qui est proposé sur les étals des supermarchés. C’est également la vitrine de l’agriculture de montagne. Les adhérents ont su amplifier la vente directe sur l’exploitation qui se faisait plus rare, pour des raisons géographiques, de désertification du rural et un changement de comportement.
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