SOIGNER L’AUTISME

Dans sa très exhaustive et monumentale Histoire de l’autisme (1), Jacques Hochmann fait une présentation de l’individualisation progressive de l’autisme comme maladie (ou modalité originale) du développement de l’enfant depuis son plus jeune âge pour la distinguer d’autres entités cliniques comme la schizophrénie et les psychoses infantiles (ou l’état habituel « normal » pour les autistes savants), en inférant la proposition de différentes techniques de traitement dans les cas de défaillance cognitive ; le chiasme qui menaçait de se produire à une époque entre psychanalyse et comportementalisme semble aujourd’hui pouvoir être évité et dépassé avec des expériences combinant pédagogie et thérapie comme celles des « ATELIERS-CLASSES » d’Annick Hubert-Barthélémy. 

Par Charles Marcellesi, médecin 

DÉVELOPPEMENT NORMAL ET PATHOLOGIQUE

Les faits spécifiques de l’humain sont le langage, y compris sous son aspect d’écriture, et la préhension tactile de la main. Dans le développement normal, l’accès au langage suppose comme le soutenait le Pr. Jean Bergès que l’immaturité même du nourrisson le lance dans une anticipation de ses potentialités d’expression langagières à laquelle va répondre la possibilité de la mère, en tant que représentante d’un grand Autre social, de faire des hypothèses sur les besoins à satisfaire de son enfant. Cette opération transitiviste fait que le fonctionnement du langage est d’emblée présent des deux côtés, de l’enfant et de la mère, comme potentialité du côté de l’enfant et comme réalisation effective par la parole qui formule des hypothèses du côté de la mère. Ainsi l’enfant sort du chaos effrayant de ses perceptions (« La Chose ») grâce à l’humanisation venue du sens que leur donne la parole de la mère lorsqu’elle manipule l’enfant, le porte et le soigne. Les pulsions de son corps peuvent accéder ainsi au registre d’une représentation (« représentance ») qui fait le lien entre perception de ce qui vient du somatique et parole laissant dans la mémoire des traces de ce qui est ressenti, vu et entendu (un savoir donc). Chez l’enfant autiste, cette mise en place de la représentation n’a pas lieu, entraînant une faillite de la relation de l’enfant avec son environnement, ce dont pourrait rendre compte le dysfonctionnement de certaines structures cérébrales comme le noyau caudé (il y aurait alors atypie neurologique), la vulnérabilité génétique n’étant évoquée qu’à titre d’hypothèse. En termes de fonctionnement, il peut y avoir (par un mécanisme d’hallucination négative ?) un vécu comme s’il manquait certaines parties du corps : ainsi ce sujet déjà grandi qui passait son temps allongé pour que le contact d’une certaine partie de la paroi abdominale avec le sol fasse suppléance (ventouse) et qui ne supportait pas qu’on le nourrisse, ce contre quoi il se défendait en introduisant sa main au plus profond de sa bouche et de son appareil digestif pour récupérer et ôter les aliments. 

LA PROBLÉMATIQUE DU BORD

La main joue un rôle essentiel dans l’autisme, pas simplement expressif avec les stéréotypies, mais surtout parce qu’elle permet l’édification d’un bord comme dans le cas de la petite Laurie cité par Bruno Bettelheim : elle colorie une feuille de papier de taille standard puis tout en regardant le plafond parvient à la transformer en un long ruban de six mètres de long en la déchirant concentriquement à partir d’un bord de la feuille jusqu’à en atteindre le centre ; ce ruban lui permettait de délimiter un espace à l’intérieur duquel elle se tenait et reliant les objets qui lui appartenaient (son lit, son landau). Des auteurs comme Laurent et Maleval ont théorisé cette problématique du bord qui permet au corps de l’autiste de se coupler de façon solidaire avec un objet qui donne consistance à ce corps, cet ensemble ainsi constitué corps+objet fait frontière avec l’espace de l’Autre social. C’est la possibilité de faire entrer cet objet insolite, bizarre et érotisé dans un échange et une négociation avec autrui qui donnera au sujet autiste le moyen de s’en séparer et de s’y désaliéner. Comme par exemple cesser de se laisser fasciner par le papillon prisonnier dans une bouteille en plastique transparente (en la secouant toutes les fois que l’insecte se pose…) pour au fil du temps acquérir le goût de la collection de papillons et d’insectes et ses nécessités de gestion par l’échange avec d’autres lépidoptéristes.

LES ATELIERS-CLASSES

Psychologue clinicienne ayant eu une expérience d’enseignante, Annick Hubert Barthélémy tire de sa longue observation et prise en charge d’enfants présentant des troubles envahissants du développement (TED) et des troubles du spectre autistique (TSA), l’élaboration d’une approche d’enseignement qui met au cœur de sa démarche l’objet pédagogique comme voie d’accès à la relation intersubjective (intersignifiante, aurait dit Lacan), et cela en appliquant simultanément des techniques comportementalistes ( méthode ABA sans toutefois les « renforçateurs sociaux ») et d’inspiration psychanalytique. Ces enfants entrent ainsi dans les apprentissages et accèdent à des connaissances, se forment de nouveaux attributs et accèdent à une subjectivité permettant l’expression de demandes et de désirs.

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