L’INSEE en Corse : quand les données racontent le territoire
Rencontre avec Christophe Basso, directeur régional de l’INSEE

Il y a des institutions qu’on croit connaître sans vraiment les comprendre. L’INSEE – Institut national de la statistique et des études économiques – en fait partie. Pour beaucoup, ce nom évoque une image vague : des chiffres, des graphiques, des publications parfois arides… Pourtant, derrière l’acronyme, se cache un acteur clé de notre vie quotidienne et de la décision publique. À Ajaccio, Christophe Basso dirige l’antenne régionale de l’INSEE. Il nous a ouvert les portes de cette maison des données où l’on mesure la Corse pour mieux la comprendre, et surtout mieux la piloter.
Par Anne-Catherine Mendez
« Mesurer pour comprendre »
C’est la devise de l’INSEE. Et elle prend tout son sens en écoutant Christophe Basso parler de son métier, avec autant de précision que de passion. « On ne produit pas des chiffres pour remplir des rapports. On les met au service des décideurs, des élus, des administrations… et des citoyens. Notre rôle, c’est d’éclairer les choix publics, en apportant une lecture rigoureuse et neutre des réalités. Et ces réalités sont nombreuses : emploi, logement, pauvreté, démographie, aménagement du territoire, consommation d’énergie… L’INSEE est présent sur tous ces fronts, souvent en coulisses, mais toujours avec rigueur. »
Combien sommes-nous ? Où vivons-nous ? Que faisons-nous ?
La mission la plus connue de l’INSEE reste le recensement de la population. Tous les cinq ans pour les petites communes, tous les ans par sondage pour les grandes comme Ajaccio, Bastia ou Porto-Vecchio. « Le recensement permet de connaître la population de chaque commune, mais aussi sa structure : âge, diplôme, activité professionnelle, type de logement… Ce sont des données essentielles. »
Ces données sont bien plus que de simples chiffres : elles déclenchent des décisions concrètes qui touchent directement la vie des habitants. Par exemple, elles servent à calculer le montant des aides financières versées par l’État aux communes, comme la Dotation Globale de Fonctionnement (DGF). Elles déterminent également le nombre d’élus dans chaque conseil municipal, en fonction de la population recensée. D’autres dispositifs en dépendent tout autant : l’implantation d’une pharmacie, d’un bureau de tabac ou encore d’une station de taxis, est encadrée par des seuils de population. Même les politiques locales de gestion des déchets s’appuient sur ces statistiques pour définir les volumes, les fréquences de collecte ou les financements. Au total, ce sont plus de 350 textes réglementaires qui reposent directement sur les données produites par le recensement. On comprend alors à quel point le travail de l’INSEE est à la fois discret… et absolument essentiel.
À l’INSEE de Corse, 45 personnes travaillent au quotidien pour collecter, traiter, analyser, publier. Parmi elles, une quinzaine de chargés d’études, mais aussi six enquêtrices réparties sur l’ensemble du territoire. La structure produit des données localisées, souvent à l’échelle du quartier, mais toujours anonymisées. « Le secret statistique est sacré. Aucune information individuelle n’est transmise, ni à d’autres administrations, ni à quiconque. » La statistique publique repose sur une confiance forte entre l’institution et la population. Et la rigueur de l’INSEE est encadrée par la loi.
Chômage, emploi, précarité : mesurer l’économie réelle
L’INSEE ne se contente pas de compter : elle mesure les tendances de l’économie régionale. L’une de ses enquêtes phares : l’enquête Emploi en continu, qui détermine le taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT). « Il ne suffit pas d’être inscrit à France Travail pour être considéré comme chômeur. Il faut ne pas avoir travaillé du tout la semaine précédente, chercher activement un emploi, et être disponible immédiatement. » Cette méthode permet des comparaisons internationales et interrégionales fiables.
Résultat : la Corse est actuellement en dessous de la moyenne nationale en termes de chômage, contrairement à certains clichés persistants.
L’INSEE au service du territoire… et pas seulement de Paris
Contrairement à ce que l’on croit, l’INSEE n’est pas une tour d’ivoire parisienne. En région, elle est en contact direct avec les acteurs économiques et institutionnels.
« Je vois régulièrement le préfet, les responsables de la DREAL, de la DREETS, de l’AUE, de l’ADEC… Nous avons des partenariats réguliers. On travaille avec eux pour répondre à leurs besoins. » Et ces besoins sont nombreux : diagnostic sur la pauvreté, analyse des déchets, couverture numérique, emploi, logement, évolution de la population… L’INSEE peut tout traiter. Et elle le fait à prix coûtant, en toute indépendance.
« On n’est pas une agence de communication. On est là pour dire ce qui est, pas pour faire plaisir. »
Des fonctions régaliennes peu connues mais vitales
Au-delà de sa mission d’analyse, l’INSEE remplit également un rôle administratif central, souvent méconnu. C’est notamment elle qui gère le répertoire SIRENE, indispensable pour attribuer à chaque entreprise un numéro unique d’identification. Elle enregistre aussi l’activité principale exercée (le fameux code APE), qui peut influencer les conventions collectives applicables ou l’éligibilité à certaines aides économiques. L’institut administre par ailleurs des données issues de l’état civil, à des fins purement statistiques : naissances, décès, mariages ou divorces sont pris en compte pour mieux suivre les évolutions démographiques. Et depuis 2016, c’est encore l’INSEE qui tient à jour le répertoire électoral unique, utilisé pour établir les listes électorales avant chaque scrutin. Ce travail de gestion peut avoir des conséquences très concrètes. Par exemple, lors du décès d’un individu, l’INSEE informe immédiatement les organismes concernés : Sécurité sociale, caisses de retraite, banques, administrations. Une erreur de traitement – rarissime mais possible – peut alors bloquer toutes les démarches : versements suspendus, comptes gelés… D’où l’extrême rigueur qui entoure chaque opération.
La Corse vue par les chiffres… et les hommes
Depuis un an et demi en poste à Ajaccio, Christophe Basso observe la Corse avec un regard bienveillant et lucide. « C’est un territoire attachant, magnifique, mais complexe. Il y a de vraies spécificités : une forte dépendance saisonnière, des inégalités territoriales, une concentration des administrations en Corse-du-Sud, des difficultés d’interconnexion entre Haute-Corse et Corse-du-Sud. » L’INSEE mesure aussi les tensions économiques, la place des microentreprises, la faible mobilité interrégionale ou les effets de l’insularité sur les prix, l’emploi, le logement.
Observer, expliquer, anticiper
L’INSEE de Corse ne se contente pas de publier des chiffres d’ensemble. Elle s’implique activement dans des études ciblées, qui répondent aux préoccupations concrètes du territoire. Parmi les travaux récents ou à venir, une étude sur la couverture numérique en Corse doit paraître à l’automne. Elle permettra de mieux cerner les zones encore mal desservies, dans une région où la fracture numérique reste une réalité. D’autres analyses sont en cours, notamment une étude sur les bénéficiaires de la CAF, pour mieux comprendre les profils concernés, les dynamiques sociales à l’œuvre, et les éventuelles disparités entre zones rurales et urbaines. Les projections de populations ont déjà été réalisées alors que la consommation énergétique est encore à l’état de projet, en lien avec la hausse estivale de la population et l’usage accru de la climatisation. Enfin, l’INSEE participe à plusieurs travaux d’évaluation sur des sujets clés comme les zones blanches, les transports ou encore la gestion des déchets. « On éclaire les politiques publiques. On aide à choisir. On met du focus. On est un outil neutre, indispensable », résume Christophe Basso, avec une formule qui illustre bien le rôle de l’institut : celui d’un acteur discret mais central, au service du débat public.
IA, cybersécurité, avenir : l’INSEE se modernise sans trahir sa mission
Face à l’intelligence artificielle, l’INSEE reste prudent : « C’est un bon stagiaire, mais il faut vérifier son travail. » Et surtout, les données sensibles ne peuvent être exposées. Le secret statistique est un pilier non négociable. Un environnement fermé est en cours de développement au niveau national, pour travailler avec l’IA tout en protégeant les données.
Et demain ? L’INSEE corse à l’heure de l’autonomie
Et si la Corse accédait à un statut d’autonomie renforcée ? L’INSEE serait-elle encore là ? « Bien sûr. Nous savons produire des statistiques régionales, y compris un indice des prix propre à la Corse si les pouvoirs publics nous le demandaient. On le fait déjà dans les DOM. » Mieux encore : l’INSEE constitue un observatoire existant, solide, reconnu, sur lequel la collectivité pourrait s’appuyer. L’INSEE n’est pas une institution éloignée. Elle est partout autour de nous. Elle connaît nos territoires, respecte notre vie privée, et fournit des clés pour mieux comprendre, décider, anticiper. « Le rôle de l’INSEE, conclut Christophe Basso, c’est de mesurer pour comprendre. Et si on comprend, alors on peut agir. »
Pour aller plus loin :
- www.insee.fr
- www.insee.fr/fr/statistiques/accueil (statistiques régionales)
- Études régionales en accès libre sur les sites des partenaires (AUE, ADEC…)
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