Les jeux du cirque

 Edito

Par Jean Poletti

Jamais une présidentielle n’aura atteint ces abysses d’inepties. Certes le Covid nimbe la dialectique des candidats. Mais par quelle alchimie mystérieuse ampute-t-elle toute idée prospective chez ceux qui postulent au mandat suprême ? L’imagination n’est pas au pouvoir ! Tel ressasse des formules éculées. L’autre campe sur des vieilles lunes. Ici, on parle d’emmerder, là de ressortir le Kärcher, ailleurs un doigt d’honneur. L’un au nom d’une France éternelle unit Pétain et de Gaulle. Son ennemie intime gommant ses échos d’aspérité emprunte le crédo humaniste. Les champions de l’écologie balaient l’ensemble du spectre sociétal en mettant sous l’éteignoir le thème environnemental. Ils applaudissent à la fermeture de centrales nucléaires, mais ne disent mot sur la nécessité de réactiver la production de charbon pour subvenir aux besoins en électricité. Et sont muets comme des carpes face au palliatif des éoliennes, pas loin d’être qualifiées d’un cruel « c’est du vent ». Où que le citoyen tende l’oreille ou tourne son regard, ce ne sont que vaines diatribes, polémiques de circonstances et philippiques subalternes. Les projets ? Enfouis dans les sables mouvants de l’oubli. Les petites phrases et slogans masquent la vacuité des programmes d’une campagne orpheline d’offres étayées. Le citoyen ne sait plus vraiment à quel saint se vouer. Il perd son latin entre les adorateurs de Jeanne d’Arc, ceux de Maurras, ou qui avec Jean-François Revel clament ni Marx ni Jésus. Dans ce maelström qui symbolise l’affaissement global du socle politique, la gauche mérite non pas le bonnet phrygien mais celui des cancres. Triste spectacle, aurait dit Lévi-Strauss, qui fait se retourner dans sa tombe François Mitterrand et trépigner de manière posthume Jaurès, Blum et tous ceux pour qui camarade était un mot sacré. La candidate du poing et de la rose, désignée par le fait du prince, rabâche dans le vide une logorrhée inaudible. Et telle une naufragée de réclamer, en ultime planche de plausible salut, la convergence des forces habillées du vocable de progrès. Triste tentative collectivement repoussée sans autre forme de procès. Un refus laissant place aux velléités opportunistes d’une Taubira s’autoproclamant icône salvatrice, confondant rêveries chimériques et réalités électorales. Sait-elle cet adage majeur du socialisme refusant tout sauveur suprême ? A-t-elle oublié les leçons de sa propre expérience ratée ? Celle d’une présence qui priva Jospin d’une présence au second tour ? La donne n’est certes pas similaire aujourd’hui, mais les ressorts psychologiques demeurent, fomentant cet étrange besoin de paraître incontournable. Miroir, mon beau miroir ! Freud au secours, ils sont devenus fous ! En politique, il n’est pas de coïncidences mais des logiques qui conditionnent le succès ou l’échec. Le glas sonne pour la gauche. Sa désunion n’est finalement qu’une conséquence et nullement la cause d’une litanie qui s’apparente à une chronique de disparition. Elle a abandonné ses fondamentaux, oublié de s’adresser au cœur de son électorat, préférant aux masses laborieuses traditionnelles le sous-prolétariat immigré, prêtant ainsi le flanc aux accusations d’islamo-gauchisme. Au mépris de la laïcité. Un flambeau essentiellement repris par le Rassemblement national, qui en profite aussi pour labourer le champ social, laissé en jachère par ceux qui en étaient les cultivateurs patentés. Dans une sorte de révolution copernicienne « changer la vie » et autres « lendemains qui chantent » sont par défaut l’apanage de Macron, Pécresse, Le Pen et Zemmour. Telle est la réalité. Le reste n’étant qu’analyses de salon, vaines explications, commentaires oiseux et fades éclairages. Cette redistribution annoncée de l’échiquier démocratique interroge en incidence sur l’avenir de la Corse. Sans jouer les augures, rien n’interdit d’imaginer quelle perception aura l’Élysée à l’égard de notre île. Si l’actuel hôte était reconduit reviendra-t-il à ses premières amours girondines, abandonnées dans les allées du pouvoir ? En cas d’onction populaire l’une ou l’autre des compétitrices auront-elles une vision favorable au particularisme ou privilégieront-elles le concept de l’indivisibilité de la nation ? En toute hypothèse le temps ou un président clamait haut et fort Corses, soyez vous-mêmes ! paraît enseveli sous les poussières de l’histoire. Les jeux du cirque sont ouverts. Le public s’indigne ou s’en amuse. Dans l’attente de pointer en toute liberté le pouce vers le haut ou le bas… 

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