LE RETOUR DU RELIGIEUX

Tous les observateurs ont remarqué et signalé à l’occasion de Pâques que le nombre de catéchumènes et le nombre de baptêmes catholiques augmentaient d’une manière importante.

Par Michel Barat, ancien recteur de lAcadémie de Corse

Cette augmentation est d’autant plus significative qu’il s’agit pour la plupart de baptêmes d’adultes et surtout de jeunes adultes comme si l’Église renouait avec ses premiers temps. Et pourtant la France est un pays qui s’est fortement déchristianisé comme le montre l’effondrement du nombre de prêtres. Malgré tout la pratique religieuse chrétienne semble de nouveau attirer à l’instar de la revendication d’appartenance des jeunes musulmans.

La coïncidence, cette année, du Carême et du Ramadan, a entraîné cette observation comparative. On pourrait penser qu’il s’agit d’une réplique identitaire chrétienne à une manifestation tout aussi identitaire des jeunes musulmans. On pourrait tout aussi bien penser que dans les deux cas il s’agit d’une renaissance du désir de transcendance dans une société qui se marchandise de plus en plus. D’ailleurs, même si la revendication identitaire et l’aspiration spirituelle peuvent être intellectuellement conflictuelles, les deux mouvements dans leur concomitance peuvent entraîner une confusion périlleuse. Charles Maurras politiquement était un partisan de l’ordre institutionnel catholique, mais ne croyait pas du tout en Dieu. Son catholicisme affiché était politique mais absolument pas spirituel au point que son mouvement, « L’Action française »et lui-même furent, au grand dam de nombreux catholiques, condamnés par le Pape Pie XI, le 20 décembre 1926. Il lui était reproché de réduire le religieux au politique et surtout d’avoir un catholicisme expurgé du Christ.

Régression réactionnaire

Si le regain tant chrétien que musulman se réduisait à la revendication politiquement identitaire, l’on n’assisterait pas à un renouveau religieux mais à une régression réactionnaire politique. Cette tendance n’est pas que française, elle est envahissante partout en Europe et victorieuse outre-Atlantique avec Donald Trump dont le christianisme proclamé est tout le contraire des textes évangéliques. Si jamais il en était ainsi, les progrès indiscutables du concile de Vatican II seraient oubliés. La force spirituelle d’un Paul VI ou d’un Jean XXIII aurait été vaine. Un nouvel obscurantisme chrétien ne serait donc que réplique à un obscurantisme islamique qui lui-même a trahi depuis longtemps la foi musulmane. Ce serait de fait le retour du pharisianisme. Ceux qui se revendiquent ainsi du christianisme crucifient de nouveau le Christ. On croirait relire le roman de Nikos Kazantzákis, Le Christ recrucifié. À la fin du roman, le prêtre Fotis murmure : « En vain, mon Christ, c’est vraiment en vain. Deux mille ans se sont écoulés et les hommes te crucifient encore. Quand vas-tu naître, mon Christ, pour ne plus être crucifié, mais vivant parmi nous pour l’éternité ? » Comme pour les habitants de Lycovrissi qui jouent tous les sept ans la Passion du Christ, le retour du religieux serait la répétition d’une histoire funeste qui se renouvellerait encore.

« Si le regain tant chrétien que musulman se réduisait à la revendication politiquement identitaire l’on n’assisterait pas à un renouveau religieux mais à une régression réactionnaire politique. »

Crise contemporaine

La lecture du roman de Nikos Kazantzákis, écrit en 1948 et publié en grec, sa langue originelle qu’en 1954, permet de comprendre toute l’ambiguïté du regain religieux et toute sa contradiction. Alors que les notables rejettent des émigrés grecs chassés par les ottomans, les jeunes acteurs issus du peuple qui rejouent la Passion du Christ, les accueillent avec bienveillance. Pareillement le renouveau religieux contemporain est à la fois un repli identitaire qui rejette toute altérité et l’espérance d’un monde de spiritualité fraternelle. Certains prétendent que nous changeons de monde, mais on l’avait déjà dit à plusieurs occasions auparavant, à chaque crise. De toute façon il s’agit bien d’une crise et chaque crise au sens strict du mot exige un choix.

Le retour du religieux manifeste bien la crise contemporaine tant sur le plan politique que civilisationnel. C’est la croisée des chemins entre le repli identitaire, le populisme, le nationalisme et l’espérance en une transcendance nouvelle qui ouvre l’universel et la fraternité.

Le risque et lespérance

« C’est la croisée des chemins entre le repli identitaire, le populisme, le nationalisme et l’espérance en une transcendance nouvelle qui ouvre l’universel et la fraternité. »

Ce réveil religieux est un risque d’un retour à l’obscurantisme, à l’intolérance, au régime autoritaire si ce n’est totalitaire. Mais il est en même temps espérance d’une renaissance des Lumières tant de l’esprit que de la raison ainsi que d’une démocratie authentiquement républicaine.

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