Le concept d’autonomie

EN SOURDINE DANS LA POPULATION

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Entre espoir et expectative le débat institutionnel semble rencontrer une relative indifférence dans la société insulaire.
Trois éléments majeurs se conjuguent pour forger l’attentisme ambiant. D’abord le fait que le projet ne soit pas finalisé. Ensuite que l’inconnue parlementaire et étatique jalonne le processus. Enfin les difficultés économiques et sociales qui occupent le quotidien de nombreux foyers, occultant les réflexions collectives sur l’avenir.


Par Jean Poletti

L’autonomie est à n’en point douter la mère des batailles incarnée par Gilles Simeoni. Il peut en toute logique convoquer le verdict des urnes qui lui donna la victoire absolue, dont le programme mettait en exergue la réforme institutionnelle. Est-ce à dire que cette révolution de velours allait être un long fleuve tranquille? Seuls les béotiens le pensaient. Il suffit à cet égard de souligner que durant son premier quinquennat Emmanuel Macron, détenant une majorité parlementaire, ne s’investit pas dans le dossier, oubliant l’esprit girondin qui l’avait animé durant sa campagne. Dans ce droit fil, faut-il rappeler que ce fut l’onde de choc de l’agression mortelle subie par Yvan Colonna qui brisa la léthargie gouvernementale. Dans la précipitation et afin de calmer le climat émeutier, Gérald Darmanin vint sur place et brisa le tabou en prononçant le mot d’autonomie, lui conférant les atours non seulement du possible mais aussi du souhaitable. Hasard du calendrier, dans le même temps ou presque, des émeutes en Guadeloupe suscitèrent une offre similaire de la puissance étatique. Comparaison n’est certes pas raison. Il n’empêche qu’une analyse sommaire accréditait l’idée que le pouvoir agissait sous la pression, sans qu’un authentique esprit décentralisateur soit chez lui une doctrine, sinon une préoccupation majeure.

REMPLIR LE FRIGIDAIRE

Pour autant, ici les évolutionnistes ne se voulaient pas plus royalistes que le roi. Ils saluèrent l’officialisation de cette avancée, en rupture avec le centralisme et étrangère à l’indépendance. Un chemin réitéré par

le ministre de l’Intérieur lors de la commémoration de l’assassinat du préfet Claude Érignac et conforté par le président de la République à l’Assemblée de Corse. Mais de telles annonces, aussi novatrices qu’elle fussent, rencontrèrent l’assentiment. Mais aussi dans la capitale et la haute sphère administrative une hostilité frontale, et chez nous feutrée. Voilà un des facteurs qui interpella du Cap à Bonifacio. En corollaire, le bon sens populaire décelait les obstacles notamment dressés par le Sénat et la fragilité au palais Bourbon des troupes macronistes. Le doute se propagea insidieusement dans les villes et le rural laissant percer le sentiment que l’entreprise risquait de se briser sur les écueils réfractaires.

À ces considérations générales puisées dans l’impressionnisme, se greffe et se superpose l’actuelle situation d’une île happée par la précarité. Maintes familles se débattent dans les difficultés dans une région au triste classement de plus pauvre de l’Hexagone. «Ce n’est pas l’autonomie qui va faire bouillir la marmite.» Ou encore «Elle ne va pas remplir mon frigidaire.» Telles sont les formules lapidaires qui dénotent mieux que doctes explications le ressenti populaire. Précaires, chômeurs, jeunesse proie au doute, cherté de la vie, difficultés pour le gîte et le couvert ne sont à l’évidence pas propices à transcender le dur quotidien pour s’interroger sur un plausible futur.

PROSPER YOP’ LA BOUM

De telles réactions aux antipodes de l’analyse politique sont toutefois compréhensibles quand, comme le chantait Ferrat, l’esprit est accaparé par la lutte obstinée de ces temps quotidiens. De manière prosaïque disons que pour un nombre sans cesse croissant la priorité est ailleurs. Elle est illustrée par la fréquentation massive des organismes caritatifs qui ne peuvent plus répondre à la demande. Ou encore de cet accroissement de travailleurs pauvres, des retraités qui doivent résoudre le cruel dilemme de se nourrir décemment ou se chauffer. Digressions exagérées? Il n’est qu’à se rendre dans des colloques contre la misère pour être pleinement édifiés. Les intervenants et le public évoquent à l’envi les remèdes pour en finir avec cette insulte à l’humanisme, sans que jamais ne soit évoquée la thérapie institutionnelle. Pour autant, refuser de regarder par-dessus l’épaule équivaudrait à isoler ces réactions regroupant partisans du changement, indifférents ou attentistes. Cela n’est pas une première. Des précédents en portent témoignages. Ces attitudes, alors que la situation économique n’était pas si alarmante, divisèrent la société. Le statut Defferre fut âprement contesté par une partie de la classe politique et de la population. À telle enseigne qu’un chapelet d’attentats ponctua l’élection de la première assemblée régionale devant porter

à la présidence le radical de gauche Prosper Alfonsi. Et le journal Libération, jamais avare d’humour, de titrer «Prosper Yop’la boum!»

OMBRES ET LUMIÈRES

JEAN, LE RETRAITÉ, VIT AVEC UNE MODESTE PENSION.
IL SONGE TOUTEFOIS À LA JEUNESSE EN QUÊTE DE DÉBOUCHÉS.
« SERA-T-ELLE MIEUX LOTIE ? » IL OSE L’ESPÉRER TOUT COMME IL VEUT CROIRE À LA RÉDUCTION DE LA FAMEUSE FRACTURE SOCIALE.
MAIS IL REDOUTE AUSSI QUE LES VOYOUS PROFITENT DU RETRAIT DE L’ÉTAT DANS PLUSIEURS DOMAINES POUR ACCROÎTRE LEUR EMPRISE.

LE RÉFÉRENDUM INVISIBLE

Une décennie plus tard la nouvelle architecture insulaire ne passa pas commeune lettre à la poste. Il fallut le charisme et la constance de Pierre Joxe pour surmonter chausse-trapes et dénigrements. Il dut faire face à une virulente alliance de circonstance entre les émules du statu-quo et une partie des nationalistes. Une levée de boucliers commune chez ceux qui annonçaient urbi et orbi «un toboggan vers l’indépendance». Tandis que le FLNC, alors uni, décrétant que cela ne répondait pas aux attentes du peuple corse annonçait péremptoire « Il n’y aura pas de troisième voie. » D’aucuns se remémorent même cette épisode de Corte où des édiles écharpes tricolores en bandoulière et de nombreux citoyens accueillirent Joxe aux cris de séditieux. Il en fallait sans doute beaucoup plus pour faire vaciller un ministre de l’Intérieur mandaté par Mitterrand et assuré d’un vote favorable à l’Assemblée nationale. Doit-on également évoquer la candidature à la présidentielle de Lionel Jospin qui dans le sillage des fameux «lundis de Matignon»(…)

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