La politique sous la pression

Par Vincent De Bernardi

C’est une tentation de beaucoup de gouvernements, mais celui de Jean Castex en a fait une habitude, presque une méthode. Céder sous la pression, lâcher ce qu’il avait refusé jusqu’à présent. Ce fut le cas lors des dernières émeutes en Guadeloupe, lorsqu’il s’est dit prêt à parler d’autonomie pour calmer l’incendie. C’est encore plus net avec ce qui s’est passé en Corse. 

Par Vincent de Bernardi 

L’inflexibilité du gouvernement de lever le statut de « détenus particulièrement signalés » (DPS) aux condamnés du commando Érignac, ce qui aurait permis leur rapprochement dans l’île, a volé en éclat en une semaine. Et les fautes politiques se sont enchaînées. La première est d’avoir annoncé, quelques jours après l’agression dont il a été victime qu’Yvan Colonna n’était plus sous statut de DPS, alors qu’il était entre la vie et la mort. La deuxième, c’est d’avoir fini par en faire bénéficier Pierre Alessandri et Alain Ferrandi, 48 heures plus tard, renonçant à une solide doctrine appliquée jusque-là. La troisième, c’est d’avoir laissé entendre qu’il était prêt à parler d’autonomie avec l’exécutif insulaire, alors qu’Emmanuel Macron avait fermé les portes de discussions approfondies en février 2018 lors de son voyage dans l’île à l’occasion des 20 ans de l’assassinat du préfet. Une volée de cocktail molotov, une flopée de policiers et gendarmes blessés. Il fallait éviter, coûte que coûte, l’embrasement.

Fidèle à sa méthode du « en même temps », Emmanuel Macron s’était dit prêt à reconnaître la spécificité Corse en l’inscrivant dans la Constitution mais sans modification statutaire majeure. La visite du ministre de l’Intérieur dépêché sur place pour « renouer le dialogue », est un classique du genre. Elle débouchera peut-être, après les élections présidentielle et législatives, par un nouveau processus, annonçant une énième évolution statutaire. Mais que restera-t-il de l’autorité de l’État ? 

Révélateur des incohérences 

Ces trois fautes politiques viennent la mettre à mal. Pourtant, le Macron jupitérien du début du quinquennat en avait fait un marqueur. 

L’approche du scrutin présidentiel n’explique qu’en partie cette faiblesse. Certes les images de manifestations violentes, les bâtiments publics incendiés comme les slogans anti-français, peuvent avoir une influence mauvaise sur l’électorat. Mais, il y a une autre raison qu’il convient de prendre en compte. La Corse a toujours été un sujet compliqué, pour ne pas dire un boulet, pour tous les gouvernements, quels qu’ils soient. Elle est le révélateur de leurs propres incohérences, de leur incapacité à sortir d’un schéma de pensée sclérosé, d’un rapport difficile avec des territoires qui revendiquent une différence et attendent de l’État un traitement particulier sans pour autant s’en détacher. Les Espagnols, les Italiens l’ont fait. Nous sommes restés prisonniers d’une conception d’un l’État central rigide et figé. Jusqu’à ce qu’un « fait divers » carcéral fasse tout voler en éclats ! 

Dès qu’il s’agit de la Corse, la prudence s’impose. C’est particulièrement éclatant dans le discours des principaux candidats à l’élection présidentielle. Si des manifestations aussi violentes comme celles de Bastia ou d’Ajaccio avaient eu lieu, pour d’autres motifs, sur le continent, que n’aurait-on entendu ! Là, les critiques se sont faites mezza voce. Ils sont bien peu à avoir dénoncé le laxisme, la volte-face du pouvoir. Le vent de l’autonomie s’est mis à souffler sur cette vieille République une et indivisible. Quelques voix se sont élevées pour dire que la Corse était française et le resterait, comme si la question se posait à la faveur des événements ! Et la campagne a repris son cours. Le sujet Corse, qui avait fait sa place dans une actualité dominée par le conflit en Ukraine, repassera sous le radar des médias, jusqu’à la prochaine fois. 

Oublis et dérobades 

Comme le souligne Charles-Henri Filippi, dans son dernier ouvrage La Corse et le problème français, l’île reste illisible aux yeux des continentaux. Tout à la fois, ils y voient une destination de villégiature, dont les habitués pensent en comprendre toutes les complexités, y compris celle de l’âme des Corses, mais aussi un territoire à problème, gangrené par des revendications politiques et une violence endémique. Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, estimait même en 2017 que la violence était enracinée dans la culture corse. En réalité, la Corse reflète les problèmes qui se posent au pays. Lorsque le modèle républicain s’affaiblit, que l’État cherche à reconquérir sa légitimité par une autorité à géométrie variable, alors il oublie qu’il est le garant de la cohésion de la nation. Les événements récents en sont la parfaite illustration. La période post-électorale sera, à l’évidence, un moment crucial où chacun devra assumer ses responsabilités. 

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